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mardi 20 novembre 2012

Origines de l'architecture à Champagne-sur-Seine


Champagne-sur-Seine, Et l’usine créa la ville…(2011)
Auteur : Nicolas Pierrot
Littérature régionale et patrimoine. Moins de cent pages pour un petit guide, fruit d'un travail collectif, bien construit autour de trois parties. Richement illustré, et qui se lit sans difficulté.
Cette ville du bord de Seine, situé à une dizaine de kilomètres de chez moi, se signale par son architecture atypique par-rapport à ses voisines. Ce patrimoine industriel attire immanquablement le regard quand on traverse la ville en train, en voiture ou même quand on la surplombe de la rive d'en face, à Veneux-les-sablons.

Tout commence en 1901. Ce qui nous paraît naturel aujourd'hui, l'éclairage urbain, le fonctionnement du métro, naît à cette époque. Pour suivre le mouvement de cette industrialisation, les usines Schneider, sous la conduite de l'ingénieur Oscar Helmer, décident de s'implanter à Champagne. Atouts du village: la desserte ferroviaire, la Seine, la platitude des terrains et une main d'oeuvre plus facile à recruter qu'au Creusot, terre d'origine de la dynastie Schneider.

Paul Friesé, architecte, sait penser le dialogue entre les machines et le bâti. Il fait élever l'usine cathédrale avec sa nef haute de 23 mètres, ses hautes parois de meulières blanches et ses deux clochetons horloge et sirène. La production: commutatrice pour le métro, dynamos, etc...
Source de l'image


Guerre de 14-18, l'effort de guerre, c'est ici qu'on fabrique les gros obus. Après guerre, c'est l'alliance avec la société américaine Westinghouse (ce qui explique les lettres SW boulonnées au fronton, 280 kilos chacune) qui détient des brevets indispensables, l'arrivés d'ouvriers russes fuyant la révolution bolchevique.

C'est après la deuxième guerre mondiale, forte demande des 30 Glorieuses, que les usines de Champagne connaissent leur âge d'or. Il faut doubler en cinq ans la demande d'électricité, et équiper les centrales. Champagne nous renseigne sur les cycles de l' évolution industrielle: le stator et le rotor, convertir le courant alternatif en courant continu, les ignitrons, la soudure verre-métal, et les efforts constants de l'électronique de puissance avec les diodes au silicium, et les thyristors. Bien sur, tout ce vocabulaire relatif aux sciences dures est de l'hébreu pour moi mais ça poétise le réel en le réifiant.


La petite église Russe témoigne de la présence d'une centaine d'exilés russes. 
Les ouvriers russes de Jeumont-Schneider ont eut bâti leur église


Puis c'est l'alliance avec Jeumont, dans un contexte de concentration industrielle, fabrication de circuits imprimés, pompes hydrauliques, téléphonie et informatique au début des années 80. Le geek qui sommeille en moi, en voyant les images d'archives, se dit, tiens, et si nous avions eu des inventeurs géniaux, une "silicon valley" aurait pu s'installer ici...Mais au lieu de ça, les usines dépérissent peu à peu et l'usine ferme en 1994. Aujourd'hui, le site principal continue de construire des machines dans l'électro-mécanique.

La deuxième partie du livre nous parle du développement architectural de la ville autour de l'usine, sous l'impulsion d'Édouard Delaire. On crée des quartiers, avec ses maisons blocs pourvues de l’électricité, l'eau distribuée, une voirie en avance sur son époque, le tout à l'égout, la lumière dans les rues. L'accession à la propriété est encouragée, manière d'enraciner et de moraliser les populations ouvrières.

La troisième partie nous propose quelques itinéraires dans la partie industrielle de la ville, prétexte à des balades livre à la main. On apprend l'histoire du lycée La Fayette, celle de la mairie, de l'école, la maison des célibataires, les logements des cadres, les escaliers en ciment armé facilitant le lavage et évitant les incendies, les carreaux en damier, les monogrammes en ciment moulés sur le fronton des bâtiments, le stade, le vélodrome construit en 1926, long de 250 mètres, une vraie curiosité quand on découvre Champagne.

vélodrome de Champagne-sur-Seine

Bref, un petit guide très complet et détaillé -au juste prix: 9,50 euros- qui fourmille de termes techniques. C'est ce que j'aime dans ce genre de littérature: relier l'histoire locale à la grande histoire, pouvoir nommer les choses, connaître l'origine d'une architecture qui détonne parmi les villages du bord de Seine. Réveiller la banalité du quotidien en sentant vibrer le passé.

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