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lundi 2 décembre 2013

Jean-baptiste Malet - En Amazonie

Jean-baptiste Malet - En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes. Fayard. 2013.


Dès le début, le ton est donné: ambiance menaçante, le style évoque l'entrée dans une prison high tech: le métal claque, les travailleurs sont scrutés par la surveillance vidéo, le silence est lourd   « Pour tuer le temps, un homme en noir fait tapoter dans la paume de sa main gauche le bout de son détecteur de métaux, long comme une matraque...»

Jean-Baptiste Malet est un journaliste infiltré dans un entrepôt logistique d'Amazon, dont la devise est WORK HARD/HAVE FUN/MAKE HISTORY.  Son patron, Jeff Bezos est milliardaire. Dans chacun de ses entrepôts, usines à produire des colis, des panneaux lumineux affichent chiffres et records historiques de production.
Dans mon récit, l’économie numérique s’incarne par des visages : ce sont des humains qui la font tourner. Il n’y a pas d’économie sans individus. L’internaute doit savoir que lorsqu’il clique, il y a quelqu’un derrière l’écran. Je voulais briser ce rapport très technique, très froid, ce mirage technologique que ces sociétés de vente en ligne entretiennent.  interview à l'Humanité 
Ce qui motive Jean-Baptiste Malet à s'infiltrer : « Dans le cadre d'un reportage, je m'étais heurté au refus systématique des travailleurs, entrant et sortant du site logistique, de me parler, ne serait-ce que pour évoquer d'un mot leurs conditions de travail. Tous, sans exception, m'avaient répété qu'ils n'avaient absolument pas le droit de s'exprimer, qu'ils n'étaient pas autorisés à donner la moindre information sur la vie de l'entrepôt...»

Il décrit la période du recrutement par une responsable de l'agence d'intérim au discours bien rôdé qui insiste sur la motivation et n'élude pas la pénibilité du travail. Jean-Baptiste Malet est embauché comme pickeur. Il fait plus de 20 km par nuit dans l'entrepôt pour prélever les articles et les déposer dans un chariot.
Marcher, donner un coup de gâchette au scanner, prélever un article, marcher, marcher encore à travers le dédale de marchandises et de cartons, et recommencer sans fin....
 L'espoir, c'est d'être pris en CDI par Amazon. En attendant, ils sont renouvelés de semaine en semaine, restant embauchés par l'agence d'intérim pour le compte d'Amazon. Toute la nuit, les managers derrière leurs écrans regardent évoluer instant après instant les statistiques. Le but est de constamment augmenter la productivité.
« Plusieurs fois pendant la nuit, le lead vient vous informer de votre productivité...au fil des semaines, la courbe de productivité de chacun doit obligatoirement être en perpétuelle croissance. » Le travailleur est tracé en permanence par son scan wifi qui transmet en continu toutes les informations qu'il enregistre. 
Ce que j'aime dans ce livre: Jean-Baptiste Malet est allé au charbon, il écrit bien et il décrit le travail qu'il a effectué et surtout les conditions dans lesquelles il l'a fait. J'ai été frappé par l'ambiance de surveillance généralisée qui se dégage. La force d'Amazon vient peut-être de cette hyper rationalisation du travail en vue de la rentabilité maximale. Exemple page 90:
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Ce qui m'a gêné et qui explique que sur Babelio, il recueille un certain nombre de critiques négatives (Lisez par-exemple ce qu'écrit Canel: « Bref, la mauvaise foi de l'auteur et les exemples fallacieux ne manquent pas.Am@z*n est certes condamnable à bien des égards, son opacité vis à vis de la presse en est l'une des multiples preuves, mais soyons lucides, ceci est loin d'être un cas unique. Ce leader de la VPC, du e-commerce me semble faire figure ici de bouc émissaire, ce qui décrédibilise l'ouvrage, même si j'adhère au propos dans un contexte plus général. ») ou ce qu'en a pensé le Spicilège .

  Il y a une volonté de faire un portrait à charge d'Amazon comme entreprise qui fait de la destruction créatrice d'emploi, bénéficie de subventions publiques et ne paie pas d'impôts en France. Du coup il est parfois un peu lourd sur les effets de style. Ça nuit à sa démonstration. Je crois qu'une description sobre sans pathos dénonce  mieux.  Il est parfois un peu léger sur certaines affirmations exemple page 79, Amazon est un formidable outil de diffusion de textes hostiles à la démocratie.
Il insiste aussi un peu trop sur la pénibilité du travail, il a le coté naïf du travailleur intellectuel face à un travail physique. En tant qu'intellectuel qui ait surtout fait des boulots salissants dans le bâtiment, la pénibilité dans l'entrepôt, les vingt km par jour ne m'ont pas choqué. Par-contre, la surveillance généralisée, les vigiles à l'entrée et à la sortie (le screening), l'acculturation du travailleur, l'ambiance d’ultra compétition, la fausse convivialité organisée par le groupe qui s'ajoutent à l'exploitation du travailleur méritent d'être dénoncés. Malet pèche sans doute par naïveté mais son bouquin apporte tout de même le témoignage intéressant de quelqu'un qui s'est mouillé pour montrer l'envers du décor.

Dans tous les cas, un livre de 150 pages qui permet de donner une consistance à cette économie dématérialisée. Et qui peut apporter une pierre à un travail sociologique de plus grande ampleur comme pour le livre sur le flux tendu chroniqué ici. Bien que j'ai un doute : est-ce du flux tendu ? Étonnamment, le système amazonien ressemble plus aux systèmes anciens du fordisme ou même du stakhanovisme. Mais je manque de connaissances sur sur ces sujets. La question reste ouverte.

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