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mercredi 14 mai 2014

La Promesse de l'aube, élégance de Gary

La Promesse de l'aube, Romain Gary, 1960, Gallimard.

 On va fêter les 100 ans de sa naissance. Le bouquin traîne dans la bibliothèque.
Du même auteur sur le blog: Les Racines du ciel. 

C'est un "vieux Gallimard", au papier jauni et un peu taché,  aux pages massicotées, édité en 1960. 
Voilà un grand livre,enthousiasmant et drôle, avec un mélange de drame et de burlesque, et  des pirouettes d'autodérision qui rendent immédiatement Romain Gary sympathique. Parce que si on y réfléchit bien, on comprend qu'il avait mauvaise presse dans les années Sartre: compagnon de la Libération, militaire et fier de l'être, gaulliste, un peu vieille France.

Il construit sa légende avec ce livre, se peint en Don Quichotte plein de lucidité. J'imagine Romain Gary comme un danseur de tango, le sourire triste, le regard lointain, qui fait mine de chuter pour faire rire l'assistance. Et puis, on connaît la fin, on sait que l'auteur est allé au bout de son projet à la pointe du revolver. Juste après avoir berné le monde littéraire qui le croyait fini avec La vie devant soi. L'oeuvre montre une terrible cohérence avec l'homme.

Je feins l'adulte, disait-il...

Le livre: 
C'est un récit au cordeau, il y a trois parties et 41 chapitres introduits chacun par une phrase qui donne le ton.

Au début, je suis surpris par la limpidité du style, la facilité de lecture. Premières impressions: élégance de l'auteur, dans le style et l'attitude. Une sorte de gentleman anglais. Garder le même humour, souligner les ridicules (sa mère et lui), dans les bonheurs comme dans les revers de fortune. L'histoire avance de chapitres en chapitres qui se bouclent souvent sur eux-mêmes. Cela donne une impression d'aisance, de facilité, c'est sûrement très travaillé, mais l'auteur fait tout pour que ça ne sente pas l'effort. Une forme classique qui met en valeur un univers particulier.

J'oserais la comparaison avec le jardin à la française : une belle géométrie et régularité de la forme, la perspective des années qui passent avec le point fixe de la maman dont l'auteur va sans doute s'éloigner...Et, à l'intérieur de cette forme, on se permet le spectacle, des anecdotes drôles et tragiques. Avoir des ambitions mégalomanes poussé par la maman, mais ne jamais se prendre pour ce qu'on est pas.

RÉSUMÉ:
Roman Kacew est un futur grand homme, sa mère en est sûre: en 1932, il a gagné la médaille d'argent du championnat de ping-pong de Nice.

1944. Roman Kacew accourt vers sa mère en pleine Libération de la France. Il sait qu'elle peut être fière de lui:  il a reçu la Croix de la Libération, il est sous-lieutenant. Il a fait parler de lui en publiant  Éducation européenne, qui lui a même valu de rencontrer le premier Ministre anglais. Les journalistes viennent le photographier à la descente de son avion.

Retour dans le passé. Romain a 13 ans. Sa mère veut qu'il devienne un grand artiste. Mais il n'a aucun talent musical, et elle refuse qu'il devienne peintre, trop de héros maudits dans cet art....
« Nous nous résignâmes à la littérature, malgré le péril vénérien »


«  Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. »
La tendresse maternelle rendra toute chose Mariette, la bonne...
Pour sa mère, le jeune Romain distribuera des gifles. Il développera son sens du ridicule « J'ai appris (...) à perdre le pantalon en public sans me sentir le moins du monde gêné. »
Il voudra se suicider, sera sauvé par un chat :
 « C'était un incroyable matou pelé, galeux, couleur de marmelade d'oranges, aux oreilles en lambeaux et avec une de ces mines moustachues, patibulaires et renseignées que les vieux matous finissent par acquérir à force d'expériences riches et variées. »
Mr Pikielny, la "souris triste", croit au destin glorieux de Romain. C'est un des plus beaux chapitres (le 7) du livre et je m'en voudrais de trop en dévoiler. On se demande tout de même s'il a vraiment dit à la reine d'Angleterre....

Après la pauvreté, sa mère connaît un certain succès: Romain est couvert de professeurs. Dans la cour du 16 de la Grande-Pohulanka, à  Wilno il apprend à risquer sa vie avec la diabolique Valentine, il découvre des trésors :
« Je demeurais, assis sur la terre nue, à rêver devant les vieux atlas, les montres cassées, les loups noirs, les articles d'hygiène, les bouquets de violettes en taffetas, les habits de soirée, les vieux gants comme des mains oubliées. » 
et surtout les choses de la vie, belle leçon de style de Gary quand il parle du regard des enfants sur le sexe, sans y toucher, et en le reliant à l'art.

C'est un homme qui feint l'adulte, qui se sent vieillir et se souvient de sa jeunesse, et qui reste modeste, ne croyant pas aux conseils des hommes âgés:
« La vérité meurt jeune. Ce que la vieillesse a "appris" est en réalité tout ce qu'elle a oublié, la haute sérénité des vieillards à barbes blanches et au regard indulgent me semble aussi peu convaincante que la douceur des chats émasculés...»
L'enfant passe tout près de la mort, la mère s'endette, l'enfant guérit, il découvre avec éblouissement la mer - une paix illimitée, l'impression d'être rendu -
« Chaque fois que je la regarde, je deviens un noyé heureux. » Varsovie, puis l'exil en France, le grand pays qui doit lui apporter les succès.

A Nice, si la mère de Romain ne tirera rien de l'argenterie russe qu'elle a amené avec elle, elle prendra la gérance d'un hôtel et pourra envoyer Romain à Aix, puis à Paris, pour qu'il étudie le droit. Elle veut qu'il devienne un ambassadeur, ou consul. Mais le temps presse, le jeune homme en est conscient, car sa mère est victime du diabète et se fait des dizaines de piqures d'insuline tous les jours.

A Paris, il réussit à faire publier deux nouvelles dans Gringoire ,lien vers l'article de Wikipédia où on peut lire:
« Romain Gary publia deux nouvelles dans le Gringoire : L'Orage (le 15 février 1935), puis Une petite femme (le 24 mai 1935), sous son véritable nom, Roman Kacew. Lorsque le journal, considéré comme fortement orienté à droite, puis à l'extrême-droite afficha des idées fascistes et antisémites, Gary renonça à envoyer ses écrits, malgré l'importante rétribution versée à la publication (1 000 francs la page — six colonnes — en 1935).»
En Suède, il aperçoit sa première croix gammée sur un avion. Patriote ayant une haute idée de la France, Romain Kacew fait sa préparation militaire et il est incorporé à Salon-de-Provence comme élève officier dans l'armée de l'air. Il vivra très mal de ne pas recevoir son insigne d'officier, à cause de ses origines.
Il n'a jamais envisagé que la France puisse perdre la guerre. Ni que les généraux puissent se soumettre aux allemands.
« Cette inaptitude atavique à désespérer, qui est en moi comme une infirmité contre laquelle je ne puis rien, finissait par prendre l'apparence de quelque heureuse et congénitale imbécillité, comparable un peu à celle qui avait poussé jadis les reptiles sans poumons à ramper hors de l'Océan originel et les avait menés non seulement à respirer, mais encore à devenir un jour ce premier soupçon d'humanité que nous voyons aujourd'hui patauger autour de nous. »
Tous les généraux, sauf un : De Gaulle. Il essaie par tous les moyens de le rejoindre en Angleterre. C'est le début des noms d'avion qui parsèment le texte: Amyot 372, Bloch 210, Den-55, Dewoitine-520, Morane-406, Potez-25, Potez-540, Quadrimoteur Farman, bombardier Boston, Simoun.

Et aussi, le début de la litanie des compagnons disparus. Gary semble s'appliquer à n'oublier aucun nom de tous ceux qui ne sont pas revenus. Il compare la sensation à une
«...brûlure de solitude soudaine et totale dont plus de cent camarades tombés devaient plus tard me marquer jusqu'à me laisser dans la vie avec cet air d'absence qui est, paraît-il, le mien. »

C'est l'Afrique du Nord, la medina de Meknès, puis Gibraltar, et enfin Glasgow avec toujours pleins d'aventures .
« Le voyage de Gibraltar à Glasgow dura dix-sept jours et je découvris que le bateau transportait d'autres "déserteurs". »
Ce fut la première fois dans l'histoire de la RAF qu'un pilote aux 3/4 aveugle parvint à ramener son appareil au terrain.

Là-bas, encore des histoires. Gary se moque de lui-même qui court après l'héroïsme et ne parvient qu'à enterrer une caisse de guinness à la place d'un camarade suicidé ou à se battre en duel dans les couloirs d'un hôtel contre des polonais, tout ça pour une fille - un sphincter buccal- dont il veut se débarrasser.

« Je tiens à le dire clairement: je n'ai rien fait. Rien, surtout, lorsqu'on pense à l'espoir et à la confiance de la vieille femme qui m'attendait. Je me suis débattu. Je ne me suis pas vraiment battu. » La vieille femme qui continue de lui envoyer des lettres au cours des quatre années d'escadrille, et dont le souvenir l'accompagne sans cesse. 
Au cours de la campagne d'Afrique, il percute un éléphant en avion, épouse une jeune indigène d'une beauté irréelle marquée des premiers stigmates de la lèpre, il manque mourir de la typhoïde et survit à l'atterrissage de son bombardier avec un pilote devenu aveugle.
C'est fini. L'homme grisonnant de 44 ans s'est souvenu. Récit qui nous a emporté.

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