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samedi 6 février 2016

Sylvain Tesson sur l'Axe du loup

SYLVAIN TESSON    L'AXE DU LOUP   (Pocket)
De la Sibérie à l'Inde, sur les pas des évadés du goulag. 

Sylvain Tesson, en 2003, se lance un défi surhumain : partir sur les traces de Slawomir Rawicz, un évadé de Sibérie qui a fait le trajet jusqu’en Inde et en a fait un livre culte du voyage: A marche forcée. Mais ce livre a été controversé, beaucoup d’autres voyageurs ont pointé ses erreurs et on a douté de la véracité du récit. Sylvain Tesson refait l’itinéraire pour se faire une opinion. 

Il a une belle plume efficace. On l’accompagne au jour le jour, il nous fait ressentir les ciels sans fin, le baiser des vasières, le danger des orages, la peur des ours dont il sent la présence et voit les empreintes. Avec lui nous conquérons la Sibérie à la rencontre du peuple russe oublié dans ces contrées lointaines et chez qui il cherche des témoins de l’époque de Rawicz, dans la constellation de misérables cabanes noyées dans l’infini des forêts. 

Le marcheur peut abattre 40 km sans avoir rien avalé. Il rencontre des sibériens aux tatouages de prison, des sibériennes “belles, maigres et racées comme des louves électriques “, se fait offrir une cellule dans un monastère...Un seul livre comme viatique: son anthologie poétique qu’il déclame, parlant de plus en plus à voix haute. On lui sert des thés si fort qu’à peine avalé le coeur s’emballe...Chaque soir de cette marche au long cours le cueille dans un état de totale hébétude...
Il ne fait pas que marcher, il enfourche aussi une bicyclette qui lui donnera mal aux genoux, arrêt obligatoire de quelques jours et obligation de se ménager, il fait bien ressentir la torture du sportif de haut niveau obligé de s’arrêter, du voyageur qui a peur de renoncer. 
« Fidèle à ce principe qu’il faut mépriser les alarmes de son corps en lui déléguant le soin de se réparer tout seul. »


Comme Rawicz, il expérimente de se trouver au sommet de l’échelle de la résistance physique et de la détermination morale. Autre chose qu’on rencontre chez d’autres marcheurs, ce besoin de respecter l’itinéraire à la lettre : s’il ne peut franchir une frontière, il revient en arrière, prend l’avion et recommence la marche presque au même endroit de l’autre coté...
En Mongolie, la steppe est faite pour les cavaliers, la bipédie n’est pas de mise. Il baptise son cheval Slawomir, un canasson hérétique qui raffole du cannabis sauvage et du coeur des chardons qu'il attendrit avec son sabot.  
Le marcheur exalte la solitude, un état qui lui est devenu nécessaire, sur ses cahiers en papier de riz. 

Désert de Gobi, où est la vérité, Rawicz la compare à un océan de dunes là où le marcheur français ne voit qu’un glacis semi-aride aux endroits où il a du forcément passer. La marche ici ressemble à un long couloir de journées identiques les unes aux autres, une seule tranche de vie insécable, à la recherche des puits, points vitaux indiqués sur la carte pour s’abreuver, lui et son cheval. 
Au Tibet, il marche en compagnie de moines facétieux, méprisant les contingences, 
« il brûle au fond de leur être la douce flamme de l’indifférence », avant de retrouver Priscilla Telmon, une âme inapprivoisable: 
« Elle surgit, belle, tannée par le chemin, révélée par l’effort, taillée comme un louve... »

Au final, il laissera le bénéfice du doute à Slawomir Rawicz, ne tranchant pas la question : oublis, reconstruction de la mémoire, Sylvain Tesson nous aura emporté et fait ressentir les huit mois de son périple le temps d’un livre de poche de 275 pages. Grand plaisir de lecture. 

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