Pages

jeudi 23 janvier 2014

La Conjuration de Philippe Vasset

Philippe Vasset, La Conjuration (Fayard). 200 pages.

Un personnage, dont on ne saura jamais le nom, raconte ses explorations urbaines d'arpenteur des villes qui s'intéresse aux zones blanches de Paris et de sa proche banlieue. Il retrouve une ville qui a changé, d'anciens lieux de squat ont disparu, ses anciens fiefs sont envahis par les grues. La ville s'est bouchée pour le marcheur qui avait des cachettes secrètes dans tout Paris, une collection de portes dérobées, des issues de secours disséminées en ville. Le narrateur préfère être un rôdeur de la marge ayant une préférence pour l'inutile, le caché et le transitoire plutôt que de mener une vie où il faut voter, aimer et travailler. 

La capitale était pour moi une sorte de livre de chevet, une trame familière que je ne cessais d'organiser en formes nouvelles. 
http://xaviercourteix.com/index.php/zones-blanches/

Face au risque de clochardisation, le narrateur accepte la proposition d'André, une ancienne relation en rupture de ban, de l'aider à créer une secte. Il va enquêter sur les meilleurs lieux pour les cérémonies secrète, et inventer le meilleur story-telling. 

Le point de bascule est la rencontre de Jeanne, l'amazone, ex du service opération du renseignement extérieur. Elle l'initie aux infiltrations dans les espaces privés. C'est la séquence aventure de ce roman, courte et mystérieuse. 

Nous visitâmes des entrepôts bourrés de marchandises, des laboratoires sécurisés et des cabinets d'avocat.
Et nous avons un final atmosphérique avec cette conjuration muette d'êtres déclassés bannis "des espaces normés du travail rémunéré" devenant peu à peu des figures transparentes. Comme des pions en trop sur un jeu d'échec et obligés d'être en perpétuel mouvement pour ne pas être repérés, sautant de cases blanches en cases blanches. 
Voilà une semaine que j'ai réussi à entrer dans la tour. Progressant par cercles concentriques à partir des bureaux auxquels j'avais accès, j'ai peu à peu étendu mon périmètre d'exploration à tout le bâtiment.P.163

J'ai aimé ce roman qui s'inscrit au fond dans une longue tradition des narrateurs de la marge, des piétons solitaires et paranoïaques observateurs du monde dit "normal". Il a des points communs avec Chien de Nizon mais on peut le rapprocher des romans de la trilogie New yorkaise de Paul Auster. A travers son exploration des interstices parisiens, l'écrivain réinvente et ré-enchante les lieux inhabités. Je suis en terre familière, je ne pouvais que m'identifier au personnage. 

samedi 18 janvier 2014

Les Outrepasseurs tome 1

Littérature "young adult".
Les Outrepasseurs, de Cindy Van Wilder.
Tome 1: Les Héritiers. Gulf Stream éditeur.

Le livre est déposé dans la boîte aux lettres. Envoyé par l'éditeur en service de presse dans le cadre du partenariat avec Babelio. Critiques du livre sur Babelio.

 Créé en 1982 sous le nom "Les Éditions Gulf Stream", Gulf Stream Éditeur, installé à Saint-Herblain (44), est un éditeur de livres et d'images. Gulf Stream Éditeur publie des livres pour enfants et adolescents en espérant être comme le courant qui porte son nom, plein d'énergie, de chaleur et de vie.

C'est un livre épais avec une belle couverture blanche et des ornements. Au centre de la couverture, un trou dans un O ouvre sur une illustration marquée du chiffre 1 en lettre d'or. Symbole de la mise en abyme du texte.
Le risque, ce serait de ne pas aimer un livre qu'on vous envoie gratuitement. Pas de souci, je l'ai lu en deux fois, on ne le lâche pas.

Le talent principal de  Cindy Van Wilder, c'est de réussir à faire exister des personnages si différents. Il y a le jeune Peter qui ouvre le roman. Il rêve d'une carrière de footballeur comme beaucoup de jeunes de son âge. Au-moment où l'entraîneur le remarque enfin, son destin bascule. Deux chiens noirs l'attaquent dans la nuit et il va devoir renoncer à une vie normale, non sans tourments, non sans souffrance.

Il y a le Frère François qui traverse le pays l'hiver en direction de Paris et qui se sent obligé d'aider des villageois persécutés par des événements surnaturels. Il y a Niels, ce père en colère qui ne peut pas aimer ce fils aîné qui ne lui ressemble pas. Et il y a le Chasseur, cette créature qui incarne le mal surpuissant qui domine outrageusement les humains qui lui font face. Nous voyons évoluer ces personnages au cours du roman, nous savons que certains vont revenir, d'autres vont forcément mourir...Et il y a ces communautés villageoises du Moyen-âge qui pensent que pour anéantir le malin il faut dresser des bûchers...
Les événements s'enchaînent sans qu'on s'y attendent, et, une fois terminé, le roman nous reste en mémoire grâce à sa construction ingénieuse: les plongées, les souffles, qui sont autant de métaphores d'une mise en abyme, d'un aller retour entre présent et passé.

Comment définir le plaisir ressenti à la lecture? On a un style simple et efficace totalement au service des descriptions de l'univers médiéval et des péripéties qui s'enchaînent. Des familles qui nous ressemblent avec leurs qualités leurs défauts et qui sont les jouets de créatures surnaturelles et d'un sort maléfique. On sait que ces êtres ordinaires deviendront cruels à leur tour. Et métamorphosés... Ça se boit sans soif, comme on dit. L'univers est mis en place, le premier affrontement a eu lieu que va-t-il se passer dans les souterrains obscurs de la Reine trois fois née trois fois morte ? Qui remportera la guerre ?


Pierre était le dernier. Il adressa un salut moqueur au garde et respira une dernière fois la brise qui agitait les arbres. Il avait tant aimé cette terre, il s'en rendait compte maintenant. Il se laissa tomber dans le précipice qui s'ouvrait à ses pieds et qui venait d'engloutir les siens. Sa seule famille. Après son passage, la porte se referma. Comme si rien n'était jamais arrivé. 

vendredi 3 janvier 2014

Thomas Clerc - Intérieur

   Publié chez Gallimard / l'arbalète en septembre 2013.

Après avoir arpenté son quartier, le 10è arrondissement, en l'explorant de A à Z et en avoir tiré un livre: Paris musée du XX è siècle, Thomas Clerc change d'échelle. 
IL décrit son appartement avec le plus de précision possible. Il part de la porte d'entrée, et s'occupe de chaque pièce, l'une après l'autre. Il enferme un espace parisien dans les 386 pages d'un livre, créant non un livre-monde, mais un livre-appartement, ce qui n'est pas si différent, car chaque élément décrit, meuble, éraflure, ustensile, livre, vêtement, a une histoire qui le renvoie à l'extérieur et le lecteur à sa propre histoire, notre vie avec nos objets à nous, notre comportement dans un lieu habité. Loin de nous enfermer dedans, le texte avec son concept radical possède ainsi une vraie force centrifuge.

C'est une lecture apaisante. Le regard se promène d'une pièce à l'autre, d'un objet à l'autre. On accorde de l'importance à ces objets du quotidien vus mais rarement observés. Ils ont leur histoire, leur pouvoir d'évocation. Leur pouvoir de provocation:  un paragraphe sur le balai de chiotte, le rouleau de papier-toilette.

C'est apaisant car il y a peu d'émotivité. Thomas Clerc ne cherche pas à provoquer le suspens, l'angoisse du lecteur. Aucun coup de théâtre, ouf. Itinéraire balisé, planifié. Il raconte son appartement avec un second degré très plaisant, un petit air de dandy lettré et amateur d'art capable de se moquer de lui-même et assumant ses manques, ses défauts, son snobisme.

Il fait ce qu'il veut chez lui. Parfois, tout de même, le lecteur sort de son voyeurisme tranquille (après tout on l'a invité à être voyeur) pour être choqué. Par-exemple, le propriétaire jette son marc de café dans les WC... Je désapprouve aussi qu'il gâche l'eau en prenant des bains, dans une baignoire qui met 13 minutes à se remplir. Mais il savoure, il est maître chez lui. On comprend son plaisir de prendre son bain caché du dehors, alors qu'une fenêtre est ouverte et qu'il voit bouger le coton du rideau dans l'air chaud.

Mais c'est quoi ce mépris pour les porteurs de sac à dos (page 318) ?
Mais si le citrate de béthaïne est aussi efficace qu'il le dit quand on a beaucoup bu, je prend .

La contrainte, le concept à la base de ce livre donne donc lieu à une aventure mentale qui donne plein d'idées. On (re)découvre des objets qu'on n'utilise plus ou pas soi-même: le grille-pain, la canne épée, le fluocaril, le rideau de douche, le judas de la porte d'entrée, l'iBook G4 d'Apple (et le geek  va voir sur internet à quoi ressemble ce mac de 2005), le sous-pull à col roulé, les boots, la redingote, le blazer, le pull marin. C'est drôle comme ce texte nous fait souvent revenir en enfance, des trucs que j'ai porté étant gosse.

On se compare, les chemises, les slips, les vêtements en général. L'homme se flatte d'avoir du goût. Il s'assume comme un lettré, maître de conférence, qui n'a vécu qu'à Paris. Qui possède des centaines de livres, rangés par ordre alphabétique. Il les passe en revue pour nous.
Il change de parfum depuis le début de l'écriture, dans le temps du livre, j'y connais rien mais il a l'air d'avoir du goût, on a envie de copier: Flowerbomb, Sables d'Annick Goutal, Musc ravageur...

Bref, j'ai adoré ce livre, j'ai fait un voyage précis, copieux qui m'a nourri d'idées. J'ai aimé le défi de l'auteur, son audace à se permettre d'écrire un livre pareil. Le pari est largement réussi, j'ai d'emblée envie de lire les autres ouvrage de Thomas Clerc. J'espère juste que je n'ai pas commencé l'année par le meilleur livre....


vendredi 27 décembre 2013

Nue - Jean-Philippe Toussaint

Nue de Jean-Philippe Toussaint. (Les Éditions de Minuit)

 le pouvoir de la phrase. 

Un homme attend dans son appartement que Marie l'appelle. Il espère renouer le lien et garder la femme qu'il aime. Il se souvient d'elle, sa façon d'être avec les gens «sans s'intéresser le moins du monde à leur rang». Toussaint excelle à rendre ces moments d'attente où il pense tellement à elle qu'elle est vivante dans ses pensées « Je m'approchais d'elle mentalement avec précaution ».

On s'identifie à l'obsession de l'auteur qui veut emprisonner avec ses mots cette
 « ...femme de son temps, active, débordée et urbaine, qui vivait dans des grands hôtels et traversait en coup de vent des halls d'aéroports en trench coat mastic dont la ceinture pendouillait au sol en poussant devant elle deux ou trois chariots qui débordaient de bagages, valises, sacs, pochettes, cartons à dessin, rouleaux à photos, quand ce n'était pas - oh, mon dieu, je m'en souviens encore -.....»
 Avec cette phrase qui dure encore quelques lignes, on a un exemple du style de Toussaint, capable d'accélérations, mais qui décrit les événements au ralenti, qui les fige.
On est avec le narrateur dans une position inconfortable sur le toit d'un palais à Tokyo, on est avec lui sidéré par cette vision de Marie fumant sa cigarette à travers la vitre embuée de pluie d'un café place St-Sulpice, épisode qui trouvera son acmé à la fin du livre avec un jeu sur les mots comme des indices semés, Marie, Sulpice....
Nous qui n'avons jamais pris l'avion, nous l'accompagnons dans son voyage vers l'île d'Elbe, en compagnie de Marie justement.

Images lentes du quotidien traitées comme un film remémoré majestueusement, car ce sont tous les moments précieux auprès de l'être aimé. Toussaint nous procure ce plaisir: transformer des moments de vide, de solitude, d'abandon en objet esthétique avec son style rond et clair qui sait prendre son temps pour ralentir, décrire, avec cette ironie en arrière-fond qui ne le quitte pas.

On le voit, j'ai été conquis. Et ce n'était pas forcément gagné. Au début du roman, je fais mon ronchon, Toussaint s'est embourgeoisé, il est sur la liste des Goncourt, il voyage dans le monde... Je ne retrouve plus les individus déphasés, originaux de L'appareil-photo ( relire ce roman qui m'avait souvent fait éclater de rire), le solitaire légèrement paranoïaque  du méconnu La réticence. Et ça m'agace presque de me laisser avoir au cours de la lecture, il finit par gagner la partie. Oui, semble me dire l'auteur, je me suis normalisé, je fais moins de gaffes, j'ai droit au bonheur auprès de l'être aimé, mais je n'ai pas perdu mon style, ma capacité à fournir des morceaux de bravoure. Je veux être un homme heureux, nous dit-il, comme dans la chanson.
Bref, des retrouvailles réussies.

jeudi 26 décembre 2013

Bilan et classements 2013

 Les billets les plus lus. Vu l'audience confidentielle, pas la peine d'en faire des tonnes, mais cela donne une indication :

  1.  Gaston Chaissac le tourmenté domine, 
  2. suivi par son vieux compère Dubuffet.  
  3. Le Trône de fer monte progressivement et les dépassera sans doute. 
  4. Le billet sur le flux tendu est quatrième.
  5.  Pérec énumérer le réel cinquième.


Mes livres préférés: 

1  Les jardins statuaires, de Jacques Abeille. Lu au mois de mai. Il tient bon dans le temps. Je me souviens de ce bloc noir comme une roche, son écriture minuscule et son monde étrange qui se déploie. Dommage que la discrétion de l'auteur et de l'éditeur le rendent peu visible. Emprunté à la médiathèque.

2 Bonheur de la méditation, de Yongey Mingyour Rinpotché. Ce qui me mène au thème de la méditation: en août, le psychologue cognitif Jean-Philippe Lachaud qui pratique et en parle très bien, puis le dossier de Science et vie du mois d'octobre Guérir par la pensée, des podcasts sur France-culture avec Christophe André. Acheté à la librairie Plein Ciel à Fontainebleau, quelle chance d'être tombé sur ce livre modeste et savant au-milieu de dizaines de références sur le sujet. Depuis, je pratique un peu tous les jours. C'est étonnant. Ni agréable, ni désagréable, juste étonnant. Rien que pour ça, il mérite sa deuxième place. Devenu un livre de chevet.

3 La chaîne invisible, de Jean-Pierre Durand. Ce livre est en évidence sur un présentoir à la médiathèque, je lis le 4 ème de couverture, je suis tenté mais je me dis que ça va passer pour de la provocation, je le repose à regret. Au moment de partir, c'est plus fort que moi, je le reprends. La sociologie m'excite l'intellect, on a l'impression de donner du sens au monde qui nous entoure, de voir l'envers du décor. Ce n'est pas un hasard si des écrivains s'en inspirent. Billet tout de suite très lu.

4 Le Trône de fer tome 1, de Georges R.R. Martin. On retrouve ce plaisir de l'imaginaire proche du Seigneur des anneaux. Ensuite, je regarde la saison 3 de la série télé. On devient accro à cet univers de donjons et dragons, je m'oblige à ne pas y replonger tout de suite. Lecture numérique, sur liseuse.

5 Tobie Lollness  de Timothée de Fombelle. Encore une lecture de divertissement. Il m'a procuré un tel plaisir de lecture que mes neurones s'en souviennent. Le grand arbre-monde imprègne encore ma mémoire. Emprunté à la médiathèque.

6 Du plagiat de Hélène Maurel-Indart. Un folio emprunté à la médiathèque. Il donne envie d'écrire en désinhibant le rapport à la littérature. C'est aussi un panorama de l'histoire littéraire.

Voici les livres qui dominent. Parfois, ils en contiennent d'autres.

Les livres les plus difficiles à lire.

1 Le Dépaysement de Jean-Christophe Bailly. C'est peut-être un grand livre, mais il me manque un sentiment d'ensemble. Trop de majesté stylistique, de phrases chantournées nuisent à la littérature.

2 Retour à la nature, de HD Thoreau. Lu en numérique, il faudrait avoir le culot de virer les passages qu'on trouve trop longs. Des passages sublimes.

3 Le Cerveau attentif, de Jean-Philippe Lachaud. J'ai ramé mais je ne regrette rien. C'est une brique essentielle à la connaissance de soi, on peut bâtir dessus.

Les livres borderline:

  •  Stéréoscopie, de Marina de Van, encore frais, fait son chemin dans ma mémoire. Texte puissant. 
  • Le voyage des morts de François Augiéras. Pédophilie, zoophilie, éloge de la prostitution, tamisé par le filtre des années et une écriture classique. Véritable écrivain maudit qui a vécu une existence aux limites.


Dilemme à propos des livres qu'on a pas aimé, faut-il encore perdre du temps à en dire du mal: le Weyergans, le Crouzet, le Dupin.

Ceux que j'ai oublié depuis. C'est peut-être injuste, mais c'est comme ça. Le Binet sur Hollande, le Exley, le Bryson, le Pyreire.



La lecture du web, sur ordinateur ou transféré en epub sur liseuse prend aussi une grande place, mais je n'ai pas encore réussi à en parler.
Je concluerai en disant  le blog est un outil de modestie et de persévérance. Les statistiques nous remettent à notre juste place, mais parfois, on a de bonnes surprises, des billets à déflagration lente, c'est l'inverse du buzz.

 Pour finir, une note récente du légendaire (sur le web francophone) Autofictif d'Éric Chevillard:
2117
Les livres et les films que nous gardons en mémoire sont les seuls souvenirs dont nous pouvons vérifier la précision. Or, après quelques années, cette précision se révèle le plus souvent très approximative, même si nous avons conservé un sentiment assez juste de l’ensemble. Il en irait certainement de même s’il nous était donné de revivre des événements que nous croyons inscrits dans notre mémoire absolument tels qu’ils se déroulèrent.

mardi 24 décembre 2013

Découvrir la PNL - Antoni Girod

Découvrir la PNL  d'Antoni Girod, Interéditions.

Un bouquin qui se veut une approche modeste et rapide, même si il ne faut pas se fier au sous-titre: on ne le lit pas en une heure. L'auteur commence par expliciter le terme programmation neuro-linguistique en le raccordant à son histoire récente, à ses deux inventeurs, Richard Bandler et John Grinder et au contexte de la Silicon Valley des années 70. Ce sont des noms mythiques de la psychologie et de la linguistique qui sont cités : Fritz Perl, Virginia Satir, Milton Erickson, Grégory Bateson, Noam Chomsky, Alfred Korzybski. C'est une discipline très jeune: 1976, année officielle de naissance.

La carte n'est pas le territoire, les ressources sont en soi, l'erreur est une source d'apprentissage, on ne peut pas ne pas communiquer, la relation prime sur l'échange d'information, l'attitude "gagnant/gagnant" facilite les relations humaines, tout comportement a une fonction positive, ces principes de la PNL ressemblent à des truismes inspirés par une morale positive. Au moins, ils ont le mérite de la simplicité et de nous amener vers des techniques : la synchronisation, le méta-modèle, la détermination d'objectifs, l'ancrage, les positions de perception, le feed-back et les niveaux logiques qui toutes demandent de l'entraînement. D'ailleurs, le livre associe à chaque technique quelques exercices d'entraînement qui, eux aussi, ont le mérite de la simplicité. On peut les essayer sans pour autant avoir l'impression de faire de la PNL.

Au final, ce qui me reste de ce livre, c'est une jolie boîte à outils, un kit d'idées à exploiter quand l'imagination est bloquée. Notamment pour l'écriture.

Je suis incapable de juger la PNL sans pratiquer, juste sur la lecture. Je ne sous-estime pas l'efficacité de certaines techniques comme la synchronisation. Mais je me demande si l'efficacité de la PNL vient des techniques en elles-mêmes et/ou du pouvoir d'autosuggestion que ces techniques induisent par leur évidence, leur coté logique qui renforce la croyance en elles.  La PNL a une façon très rationnelle de décomposer notre rapport au monde et aux autres.

                          -----------------------------------------------------
Exemple d'un exercice d'entraînement proposés par l'auteur pour le feed-back: 

  • Le soir, prenez 10 mn pour noter dans un carnet sur la page de gauche les points positifs de votre journée et sur la page de droite un ou deux axes de progrès (ce que vous feriez différemment s'il était possible de rembobiner le film de la journée. )
  • Quand vous regardez certains films ou quand vous lisez un livre, prenez le temps de remplir une fiche bristol en notant au recto ce que vous avez apprécié et au verso ce qui pourrait être amélioré de votre point de vue. 
                                       __________________________

Note sidérée. En faisant des recherches pour cet article, je tombe sur les quatre manières de communiquer des gens en position de stress, identifiées par Virginia Satir.  C'est évidemment troublant car on se reconnaît et on reconnaît d'autres personnes. Le schéma du blâmeur-accusateur , celui du suppliant, celui du distrayant, celui du rationnel (c'est moi, ça) et un cinquième non-stressé, celui du niveleur. C'est intéressant comme modèles, car ça peut permettre de prévoir un peu le comportement des gens. Mais alors, on est des robots ?  Plus d'infos sur cette très instructive page: Les réactions au stress selon Virginia Satir.

mardi 17 décembre 2013

Marina de Van - Stéréoscopie

Désintoxication
Stéréoscopie, Marina de Van (Allia) 2013.

Tout de suite, on est dans le bain avec elle qui dit je, Marina de Van, qui monte les marches à Cannes entre Sophie (Marceau) et Monica (Bellucci).
Noms de médocs, alcools ingérés, Valium, Xanax, Efferalgan codéiné, triple Prozac au réveil + deux ou trois bouteilles de champagne au long de la journée.

« Je perçois la défaillance d'une conscience qui peine à se maintenir. »

Elle décrit une brève aventure avec une connaissance, un homme marié, elle s'essaie à la séduction, voire au viol, sur les serveurs qui l'alimentent en liquide, se demande si elle a uriné sur l'homme avec qui elle dort, se présente nue chez les voisins de son amant.

«Je continue de jouir de la mortification d'un corps qui trahit de plus en plus son épuisement, qui suinte l'odeur de l'alcool mêlées à celles de la sueur et de l'urine.»

Elle décide de réagir. S'ensuivent quelques errances avec le corps médical, avant de trouver les bons interlocuteurs, Michaël le psychiatre et Hector le psychologue, qui viendront à s'opposer autour d'un médicament dont le nom dominera celui des autres : le Keppra. Elle souligne le coté comique des contre-indications de cet anti épileptique, nombreuses et potentiellement mortelles, comme un symbole du coté borderline de la demoiselle et de sa capacité inouïe à se mettre en danger...Keppra devient un personnage du livre, avec ses dosages qu'on augmente, qu'on baisse, en tâtonnant, au gré des fluctuations de l'humeur.
Elle cherche à comprendre ce qui se passe dans son cerveau en lisant des bouquins médicaux. Elle considère que c'est indispensable à sa cure. J'ai aussi fait la liste des autres médicaments qu'elle essaie: Loxapac, Tégrétol, Risperdal, Akinéton, Noctran, Olanzapine, Zyprexa, Lamictal, Tercian, Rivotril et Marinol.

 Elle décrit ses rechutes dans la cocaïne, revivant sous l'effet de l'euphorie cocaïnique mais redevenant l'être nécessiteux qui courtise une substance. Jusqu'à vivre et coucher avec son dealer.

Le livre semble être le ressassement d'une douleur qui la taraude, la harcèle, les émotions violentes viennent l'envahir. Le « Je veux jouir encore » entre en conflit avec l'effet des médicaments qui provoquent une anorgasmie qu'elle juge insupportable.
« Je ressens la pulsion croissante de m'agresser au couteau, de m'entailler, de prélever de la peau et de la consommer. »« Je sens qu'on va venir me tuer, des tueurs masqués...»
Elle organise l'enterrement de son psychologue, échange des sms d'amour esclave avec son psychiatre.

Aux dernières nouvelles, si on se réfère au portrait que Libé fait d'elle en août 2013, elle va bien, ce qui semble presque miraculeux tant sa souffrance paraît ne jamais devoir s'arrêter.. L'écriture a peut-être été une thérapie.

Ce que j'en pense. Très étrange, l'intimité du lecteur avec cette femme qui se met à nu, décrivant ses tempêtes internes et les conséquences vénéneuses sur sa vie. Elle intimide par son coté extrême, hyper exigeante avec ses proches, avec ses soignants, on a l'impression d'avoir vu ce type de personnalité souffrante dans certains films. Sauf que là, elle se sert des mots pour hurler.

 C'est aussi pour l'ermite-lecteur le portrait presque exotique d'une femme issue d'un milieu favorisé et cultivé, vivant dans un cercle social plutôt bobo et artiste, qui texte - le verbe revient sans cesse -  au secours sur son iphone, le sms semblant remplacer la logorrhée verbale,  qui semble passer son temps à fuir des soirées insupportables en sautant dans des taxis, qui fait valser les amants les uns après les autres et parle ouvertement de sa libido.

Elle décrit son état alcoolique avec une complaisance morbide, le lecteur se pourlèche en voyeur dans les premières cinquante pages avant de crier grâce. On a de la peine à aller au bout de ce livre court mais si dense, si intense et répétitif par son maelström de tourments qu'il se lit à petites gorgées. Une fois terminé, on respire, content d'avoir passé l'épreuve.

Paradoxe de cette autofiction, on est obligé de considérer la narratrice comme un personnage de fiction qui fait partager une expérience de vie limite, surtout ne pas la juger, ce serait passer à coté du texte.
Parce que j'oublie le truc le plus important: elle a un style, direct, au scalpel, qui illustre parfaitement sa lucidité crue et son ego. Et les phrases, littéraires, bien construites, sont un filtre qui rendent possible de supporter la description de cet état-limite.
Est-ce que j'ai aimé ? On ne lit pas ce genre de livre pour aimer, mais pour vivre une expérience. Un truc qu'on a peu de chance de vivre nous, enfin j'espère, mais dont on peut s'approcher parfois au niveau tortures mentales.  J'ai aimé le style, les mots, les phrases. Et c'est déjà énorme, d'apprécier la façon dont quelqu'une verbalise sa souffrance. Elle écrit bien.