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lundi 13 mai 2013

Paul Nizon et son chien


Paul Nizon, Chien confession à midi, Babel Actes Sud, traduit de l'allemand par Pierre Deshusses.
Parfois, on doute un peu des livres. Comme si le même livre se répétait, une technique trop bien éprouvée, une impression de déjà-lu, on n'est plus dupe...On douterait même de la littérature. Même pour un lecteur d'expérience, aguerri et qui en a vu d'autres. Ces livres valent-ils les heures que je gaspille pour eux ?
Est-ce-que je ne serais pas mieux à faire quelque chose d'utile, aider les pauvres, faire du bénévolat au lieu de me livrer à cette activité de lecture oisive ? La honte vous prend, la culpabilité vous envahit.

En lisant Chien, de Paul Nizon, les doutes s'estompent. Et c'est drôle, parce que c'est la vie d'un type retiré de tout, qui a abandonné toute attache sociale, qui s'imagine, posté à son coin de rue qu'on le traite de rebut social, sorte d'épouvantail, un déserteur, quelqu'un qui refuse d'obéir, un meuble oublié. Qui a simplement dévié, parce qu'il connaissait tout d'avance et que le monde connu s'étendait devant lui comme un désert,  vivant dans ses pensées, incapable d'obéir à une discipline de vie et de travail, comme les honnêtes gens qu'il voit attachés à des cordes, d'échéances en échéance.  Qui a pris des chemins de traverse où il vit une autre vie.
« Je plongeai dans le mutisme et mes rêveries habituelles. »
Avec des phrases simples, il parle de sa vie et de ses pensées, la rue, les gens qu'il voit, son passé récent et son enfance (dans un hôtel, dans les jambes des autres, sans père), le tout entremêlé. Et la nostalgie d'un chien.  Belles descriptions du mammifère insouciant. C'est fluide, le lecteur s'immerge comme si ce livre vivait dans les pensées du lecteur, une autre vie inventée, au rythme d'une marche contemplative.
Parfois, Paul Nizon raconte une histoire, ça commence par « J'ai lu dans le journal...» et il revisite une histoire vraie d'êtres en rupture, Jean Paul Romand, Paul Catrain/Catrovitch, le jeune suicidé au pull-over, Drancy ce camp d'internement français et ces faits divers ouvrent des fenêtres dans le flux du récit, des échappées belles auxquelles rêve ce semi-clochard devenu invisible aux créatures féminines.
« Je fume. Un sourire aux lèvres»
« Je suis de nouveau en route, je pourrais dire en déroute»
Paul Nizon transforme son narrateur en figure universelle. Pour tous ceux qui ont la nostalgie d'un chien, qui ont un chien imaginaire en mémoire.  Un personnage qui va rejoindre dans ma mythologie personnelle L'homme qui dort de Georges Pérec, et Adam Pollo de Le Clézio.
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Paul Nizon 1998

Il y en a des millions comme moi, rejetés de leur emploi, de leur chez-soi, dans la rue. C'est le siècle des déportations, des exodes, des camps, des nettoyages ethniques, des grandes migrations qui se termine maintenant. Des millions de gens sont le rebut de la société, morituri. Je suis comme eux, et je suis une sorte de simulateur parmi eux - suivre le mouvement. Manifestement, je n'ai jamais eu le vrai goût de la vie et la gravité qui est son corollaire, surtout la persévérance. Je pourrais évoquer les circonstances familiales, défaut dans ma trame. En place d'une maison, d'un enracinement familial : un lieu de passage, un hôtel. Je ne cherche pas d'explication, les choses sont comme elles sont. Simplement, je ne sais pas si elles vont pouvoir continuer. Je suis trop vieux pour la Légion étrangère. Trop indolent pour mener une vie de gangster, trop lâche. (P.102)

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