Pages

vendredi 8 août 2014

Le génie caché du cerveau

David Eagleman INCOGNITO, Les vies secrètes du cerveau (Robert Laffont).
Traduction : Pierre Reignier.

Un tour du monde du cerveau qui révèle l'influence invisible du subconscient. L'auteur cite Jung:
« En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. »
Incognito fait partie de ces livres passionnants dont a pas envie de voir la fin. A chaque page, on fait une découverte sur soi car il décrit la façon insoupçonnée dont notre cerveau fonctionne. Comme l'écrit le neuroscientifique, l'homme est le seul animal à avoir décodé son propre langage de programmation, à être capable d'aller voir dans cet organe à consistance de gelée rose qui est logé dans notre crâne. Tout comme Galilée a montré que la terre n'est pas le centre de l'univers, notre conscience n'est pas le centre de notre cerveau, elle n'en est que le passager clandestin.

Sa façon d'écrire est très efficace: il nous présente des expériences, des études scientifiques dont les résultats surprennent toujours. Du coup, cette vulgarisation de neuroscience contient autant de péripéties et de rebondissements qu'une série télé. C'est un bouquin très "américain", à la fois dans ses références et dans sa façon d'envisager l'existence.

Qu'est-ce-que j'ai appris ? (et même réappris, car le livre a beaucoup points communs avec Le cerveau attentif, bien que moins technique)

Voir à la fin du billet, quand on le sait, c'est évident,
sinon notre cerveau ne le voit pas. 

Au moment où j'écris cette phrase, je regarde le jardin par la fenêtre ouverte. L'herbe est verte et de multiples formes et couleurs (fleurs, salade, tomates, potiron) rendent cette vision estivale très agréable. Et bien, tout ce que je vois n'est qu'une reconstruction de mon cerveau. Si j'étais né aveugle et que j'avais retrouvé la vue grâce à une opération chirurgicale, il m'arriverait la même chose que ce Mike dont Eagleman nous raconte l'histoire:
« Il éprouvait d'incompréhensibles sensations où se mêlaient formes, couleurs et clair obscur. Ses yeux fonctionnaient, mais la vision lui manquait encore. »
Son cerveau doit "apprendre" à voir.  Le cortex visuel est une machine dont le travail consiste à générer des reproductions du monde.

« (...) nous percevons souvent un détail particulier d'un stimulus visuel tout en étant incapable de déceler les autres. Imaginons que je vous demande de regarder ceci et de me dire de quoi il s'agit: IIIIIIIIIIII. Vous affirmerez, à juste titre, qu'il s'agit d'une succession de barres verticales. Si je vous demande combien de barres il y a, par contre, vous serez dans l'embarras. Vous voyez qu'il y a des barres, oui, mais il vous faut produire un effort considérable pour me donner leur nombre. Vous pouvez savoir certaines choses au sujet d'une scène visuelle sans en connaître de nombreux autres aspects - et vous ne prenez conscience de ce qui vous échappe que lorsque vous êtes obligé d'y prêter attention. »

David Eagleman cite également les travaux de Yarbus et de l'oculométrie, ce que nous voyons dépend de ce que cherchons du regard et nous ignorons le reste. Par exemple, notre vision périphérique est bien pire que ce que notre intuition nous incite à croire. C'est pour ça que la plus importante maxime des pilotes de chasse est "Faites confiance  à vos instruments".
Ces taches grises et noires n'ont en général aucun sens, au départ, pour qui les regarde; ce n'est qu'après avoir reçu un indice que l'on peut leur donner un sens et y voir une image. D'après Ahissar et Hochstein, 2004_ Solution toute fin du billet. 

Dans le chapitre suivant, nous voyons le travail de la mémoire procédurale et implicite à travers plusieurs expériences dont la manière d'apprendre le sexage des poussins, un secret détenu par les japonais.

Des expériences démontrent que les décisions humaines sont influencées par des associations d'idées inaccessibles à la conscience. Par exemple, si vous avez déjà vu le visage d'une personne en photo, vous jugerez cette personne plus attirante quand vous la verrez ultérieurement en chair et en os, même si nous n'avons aucun souvenir de la photo. C'est l'effet de simple exposition. Le cerveau absorbe ce qu'il perçoit sans même y faire attention. Et notre mémoire implicite influence notre vision du monde. Comme dans l'effet de vérité illusoire: vous avez plus de chance de croire qu'une affirmation est vraie si vous l'avez déjà entendu par le passé. p.88. Une simple juxtaposition de concepts peut suffire à induire une association inconsciente et, plus tard, à donner le sentiment que cette juxtaposition est familière et vraie quelque part. C'est là dessus que sont fondées toutes les publicités....L'auteur finit le chapitre en montrant que si le cerveau automatise tout ce que nous apprenons, c'est une question d'économie énergétique. Exemple, Kasparov 20 watts contre Deep Blue, plus de 1000 watts.

Plus loin, nous verrons la différence entre notre Umwelt: la réalité que l'être vivant est capable de percevoir et l'Umgebung: l'environnement général, la vaste réalité du monde. Chaque individu pense que sa propre perception correspond à la réalité du monde tel qu'il est. David Eagleman qui, dans son travail, a étudié les cerveaux et les visions des synesthètes (les mots ont du goût, les jours de la semaine sont en couleur...) montre qu'il existe de nombreuses autres sortes de cerveaux.
Il se penche sur nos instincts préprogrammés, comme le babil si mignon du bébé qui incite à s'occuper de lui, l'importance de la beauté pour les hommes et les femmes qui n'a qu'un but : la reproduction. Nous n'avons pas accès aux processus instinctifs de l'attirance et de la séduction. Les strip-teaseuses  gagnent beaucoup plus d'argent sur scène quand elles sont au sommet de leur pic de fertilité, effet mesurable de l'ovulation et de la beauté dans la vie réelle. Nous saurons ensuite pourquoi le campagnol est monogame et pourquoi la vasopressine est la molécule de l'infidélité. Note: l'article de wikipédia est beaucoup moins catégorique que l'auteur.

Qui est le vrai Mel Gibson ? Un antisémite caché ou un alcoolique pathétique ? L'auteur se garde bien de trancher, de juger. Il sait que nous sommes des multitudes. On peut parfois compenser des préjugés racistes par des mécanismes de prise de décision socialement acceptables. Le cerveau est une équipe de rivaux, nous expérimentons des dilemmes au quotidien. Une lutte incessante entre les systèmes rationnels et émotionnel. Il prend l'exemple des bulles spéculatives, la tension entre le "je veux ça tout de suite" et la vertu qui est une capacité à résister à la tentation, c'est à dire entre un système cognitif à court terme et un à long terme.

Il nous explique ensuite la différence entre les deux hémisphères du cerveau grâce aux opérations sur le corps calleux des épileptiques qui visaient à empêcher la propagation du signal électrique. Des lésions aux lobes frontaux engendrent des comportements antisociaux.

La biologie est un système constamment redondant qui ne s'arrête pas quand elle a trouvé une solution et qui invente sans cesse de nouvelle variations de circuits. Cela a son utilité dans la maladie, par exemple avec la réserve cognitive (Processus compensatoire : face à l’altération de certaines régions cérébrales due à l’âge ou à la maladie, d’autres réseaux cérébraux prendraient le relais afin que les sujets réalisent la tâche cognitive) qui permet aux Alzheimer qui ont une activité intellectuelle de considérablement moins décliner que les autres. L'auteur décrit d'autres phénomènes comme la vision aveugle, la main étrangère, les systèmes zombies ou l'effet Stroop que nous pouvons tous expérimenter. Ce "test" m'a toujours fasciné, il nous fait sentir en temps réel les efforts d'adaptation de notre cerveau.

Si nous croyons que notre conscience est au centre de notre vie, c'est parce que nous passons notre temps, enfin notre cerveau, à fabriquer des histoires rétrospectives. Il cite le chercheur Michaël Gazzaniga:
« Ces découvertes indiquent que le mécanisme interprétatif de l'hémisphère gauche travaille dur pour donner un sens aux événements. Il recherche constamment un ordre et une raison aux choses, même quand il n'y en a pas- ce qui le conduit à faire régulièrement des erreurs. »
Le cerveau interprète aussi les actions de notre corps et leur invente des récits justificatifs. Des psychologues ont observé que si on serre un crayon entre les dents pendant qu'on lit un texte, celui-ci paraît plus drôle qu'il ne l'est en réalité; c'est parce que son interprétation est influencée par le sourire que l'on a sur le visage.

David Eagleman croît tellement à la biologie et aux progrès des connaissances sur le cerveau qu'il avance des idées neuves concernant la justice. Ses arguments: comme il l'a démontré dans les précédents chapitres, nous contrôlons beaucoup moins de choses que nous le pensons et nous ne sommes pas égaux face aux pulsions. Donc, on ne pourrait pas juger un criminel sans en tenir compte. Et surtout, distinguer, grâce à une échelle de condamnation rationnelle, celui qui risque de récidiver et celui qui a les capacités de se contrôler. Il propose pour les criminels un programme d'entraînement préfrontal basé sur le neurofeedback pour former les lobes frontaux à vaincre les circuits du court-terme, et donc permettre au délinquant de contrôler ses impulsions antisociales. Ce chapitre "Pourquoi la culpabilité est une mauvaise question" est vraiment gonflé et je crois que seul un Américain aurait pu oser ce genre d'idée. Il a raison quand il souligne que ces possibilités révolutionnaires battent en brèche notre besoin instinctif de punir les criminels, de crier vengeance, dont il ne s'exempte pas d'ailleurs. Mais il croit que cela va dans le sens du progrès. Après tout, des schizophrènes ont du être brûlés sur le bûcher au Moyen-âge. Ses idées très progressistes ne me gênent pas mais son optimisme béat devant la biologie me dérange, et pose  des problèmes éthiques. Je pense qu'il lui manque une expérience de psychologue dans la vie réelle pour pouvoir formuler ces idées.  A débattre...Bref, à mon avis, David Eagleman est un peu trop pragmatique, un peu trop partisan du tout biologique. C'est la limite de son livre. Espérons qu'il apprenne à penser un peu contre lui-même...Ça n'enlève rien à son grand talent de vulgarisateur.

Avant chaque billet de blog, je tire la langue, j'ai l'impression de soulever des haltères avec mes neurones et ce que j'écris me semble lourd et laborieux. Puis je passe à autre chose, le dîner, promener le chien... Et quand je m'y remets, quelques heures après, ça va déjà mieux... Je tire toujours la langue, mais en général, j'ai trouvé une dynamique et l'écriture est plus fluide. Cela veut dire qu'après avoir amorcé mon cerveau "comme une pompe" , "ça" a travaillé dans une zone invisible....Voilà le genre de choses qu'explique ce livre. Avant d'oublier bien sûr et revenir à notre Umwelt...



Avez-vous remarqué que "de"était dactylographié deux fois ? 









Il suffit d'1 indice pour que cette image s'avère être celle...d'1 visage barbu. Les lumières des objets qui frappent nos rétines sont en général insuffisantes en elles-mêmes, en l'absence de prédiction de la part du cerveau, pour produire la vision. 







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire