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jeudi 12 février 2015

Mr Mercedes ou la sobriété du thriller

Stephen King   Mr Mercedes  (2015)



Une mercedes folle fonce sur une foule de demandeurs d’emploi, 8 morts dont un bébé. Le lecteur est aux premières loges, il a vécu la scène de l’intérieur. 
Le policier qui a enquêté sur l’affaire est à la retraite, il reçoit une lettre du psychopathe qui commis le meurtre. C’est une provocation. Le tueur veut le pousser au suicide comme il a réussi à le faire avec la propriétaire de la Mercedes volée. 

Voilà le pitch. J’ai beaucoup aimé le dernier King, j’ai passé un bon moment même si après coup, quand on repense au déroulement de l’histoire on se dit qu’on a déjà vu des trucs similaires au cinéma. Mais le scenario au fond n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est la façon dont le romancier raconte son histoire. 
Il va à l’essentiel, on retrouve tous ses trucs de style, les analogies très parlantes, exemple au début les demandeurs d’emploi qui expriment leurs sentiments, leur culpabilité: 
« ...des fois j’ai envie de m’excuser pour Columbine et pour le 11 septembre et aussi pour Barry Bonds qui prend des stéroïdes, et même s’excuser pour le réchauffement climatique... »
ou cette notation existentielle: 
« La plupart des gens portent des Chaussures de Plomb depuis leur plus jeune âge et sont condamnés à les garder aux pieds toute leur vie.»
ou à propos des projets de meurtre du psychopathe: 
« Il avait l’impression d’avoir bu un Thermos entier de café aux amphétamines » 

Ainsi que les détails qui rendent la scène et la caractérise ( le flic calepin en main ouvert sur une page déjà gondolée par l’humidité, les dernières miettes coincées entre les doigts de la fourchette), les noms de marque cités : cadenas Yale, La-Z-Boy, boîte de Gopher-go, les mac...

Le monde contemporain et la révolution du numérique est totalement intégré au roman, sans erreur. On sent que King reste passionné par son époque et la technologie moderne, entre le vieux flic qui oublie son Nokia dans la boîte à gant et les gamines qui se servent de leurs smartphone pour éclairer un concert. Sans parler des journaux disparus et de ceux en fin de vie. Le problème numéro 1 de la sécurité informatique : les mots de passe et l’art de l’ingénierie sociale entre deux geeks. Les failles technologiques qui profitent au méchant psychopathe ( même si dans ses remerciements l’auteur assure qu’on ne peut pas démarrer une Mercedes comme ça ...)


On retrouve le monde bien rendu des bourgades américaines avec leurs pavillons sans clôtures, leurs pelouses bien tondues et le marchand de glace qui passe dans les rues tandis que chez les riches les compagnies de sécurité s’occupent des vastes demeures.




Les personnages: il y a le héros, le vieux flic décoré, dont la vie personnelle est un désastre, solitaire et suicidaire dans sa retraite abreuvée de mauvaise bouffe et de programmes de télévision débiles. On voit une sorte de John Wayne dans le rôle qui rencontrerait Audrey Hepburn au-milieu du roman pour une histoire amoureuse improbable. D’ailleurs elle lui offre un chapeau...

Il y a le psychopathe qui donne le change dans la vie de tous les jours
 « Il sait s’adapter socialement si bien que la plupart de ses collègues ne se rendent pas compte qu’il est tout simplement isolé » 
mais n'aime personne  « Brady déteste tout le monde mais personne n’a besoin de le savoir pour le moment ». Il n’a jamais eu de petite amie et a une relation bizarre avec maman. Bref un stéréotype réactivé, bien campé, on a la figure originelle de Anthony Perkins dans Psychose. 
Il y a le personnage le plus intrigant, une vieille jeune fille un peu folle, une névrosée sous Lexapro, personnage original qui prend une place plus importante que prévue dans le roman, à se demander si elle n’a pas échappé au romancier. 

Le King orchestre de main de maître le combat à distance entre le vieil enquêteur suicidaire et le psychopathe kamikaze. Le suspens est mené avec la force tranquille de l’écrivain chevronné qui n’a plus rien à prouver. On vise une sorte d’épure. Il n’a plus besoin d’amplifier à tout prix ses effets. Pas de gore (ah zut, si, un bras arraché dans le caniveau, mais c’est si sobrement raconté...). Il nous fait peur en créant des menaces qui entretiennent le suspense (OH NON, il va pas empoisonner le chien, Oh Non, il va pas s’attaquer à la petite soeur...). On n’aura pas droit au baroquisme pénible de certains romans avec l’affrontement Hénaurme du bien contre le mal. Comme thriller, c’est un exercice de style parfaitement mené. Ceux qui ont lu les nouvelles de King savent sa capacité à adopter un genre différent tout en restant lui-même (pastiches de Sherlock Holmes, de Raymond Chandler, de SF classique) , juste pour le plaisir de raconter et vivre une histoire. 
Une lecture qu’on a envie de faire durer. 

Personnages croisés: 
- Corps de rêve n°1
- Le genre de visage qui semble dire personne ne me comprend et le monde entier est contre moi. 
- Le regard bien-sûr-que-non- aux yeux écarquillés, qui est l’apanage des citoyens honnêtes qui n’ont jamais eu affaire à la police. 
- à la maison, on était en état d’alerte orange
- mais en patrouille, c’est Madame-Le-Sérieux-Avant-Tout...
- Mr Citoyen-Zélé

- un Rentre-dedans, un Cogne-d’abord-on-discutera-ensuite

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