Eric Chauvier Anthropologie (Allia)
Encore un petit livre étonnant et stimulant d’Eric Chauvier. Une aventure mentale dans un quotidien connu de tous, entre roman et sociologie.
« J’ignore si elle est encore en vie »
Elle, c’est la mendiante qui vend des journaux au-milieu de la circulation automobile. Le narrateur est frappé par la voix de cette ado qui, selon lui, cache une fêlure. Il se permet d’extrapoler à partir d’un rien. Il ressent ce qu’il nomme “une familiarité rompue“.
Dans sa voiture, il provoque les réactions d’autres personnes à la vue de cette jeune fille, à la manière d’une expérience de psychologie sociale. Il perçoit de l’offuscation, du refus de communication, de la fausse générosité de la part d’un intellectuel qui veut bien faire profiter de ses théories mais a peur de se confronter à une rencontre.
Puis il part à la recherche de cette jeune fille qui a disparu du jour au lendemain. Il se heurte à l’indifférence, à la méfiance et constate combien le mot anthropologie, sa force soudaine, peut débloquer une situation.
« L’intérêt que l’on porte à son prochain sans être mandaté est régulièrement l’objet de suspicion, au point de faire endosser à celui qui s’y livre les masques de la perversion. »
Il constate combien la recherche de cette jeune fille sans trace sur la scène sociale lui renvoie une image de lui-même en déformé, celle de sa présence sociale avec tous ses numéros, banque, sécurité sociale, identité...et une image de son pays, son administration, les rapports entre les gens. Il révèle ce formatage dont nous sommes les victimes consentantes.
« ....la modernité occidentale a pris la forme d'un renoncement de l'État vis-à-vis des individus, qui, pour exister, doivent désormais tâcher de conserver, coûte que coûte, des traces de leur inscription dans la communauté. C'est admettre une traçabilité stratégique des êtres, produite non plus pour les contrôler, mais établie en fonction des situations économiques de chacun, et perçue comme un avantage social considérable par ceux qui ont à se battre pour l'obtenir ou pour la conserver. »p.67 Extrait de: Éric Chauvier. « Anthropologie. »
Qu’est ce ce petit livre ? Une histoire vraie, une fiction, un essai, un roman ? On ne sait pas vraiment. Le lecteur est troublé, il suit la réflexion de l’auteur, il est gêné parfois, il se demande si les gens testés et observés existent en vrai. Eric Chauvier est devenu maître de l’extrapolation singulière.
Résumé de l’éditeur:
A mi-chemin du récit et de l'enquête de terrain, Anthropologie propose une investigation en creux, née de l'impression suscitée par le regard d'une jeune Rom qui s'adonne à la mendicité devant un centre commercial. Troublé par ce visage, qui éveille en lui toutes sortes d'interrogations, l'auteur évite d'abord la rencontre. Il se contente d'analyser les propos que tiennent ses proches au sujet de cette fille. Cette expérience lui semblant insuffisante, il décide finalement de rencontrer celle qui est à l'origine de son trouble. Mais elle disparaît justement à ce moment-là. Il tente alors de la retrouver et de percer le secret de cette figure devenue obsédante. Il se lance à la recherche de tous ceux qui ont pu la croiser et recueille leurs témoignages. Mais ces paroles fragmentaires, parfois contradictoires, ne lui permettent pas d'éclaircir le mystère. L'enquête ne peut cependant se réduire à un échec. Cette quête minutieuse, traque d'une absence, constitue un programme en soi, une discipline de vie, dont se dégage un tableau de la France contemporaine et de ses "exclus". Avec cet ouvrage, Eric Chauvier jette les bases d'une nouvelle façon de concevoir l'anthropologie, qui échappe à la froide analyse pour devenir littérature.
L’importance désormais acquise par les médias, leur formidable capacité de diffuser les discours des pouvoirs politiques et économiques, le rôle aussi de groupes d’influence socioculturels financièrement manipulés, ont fait de la question du vrai et du faux le cœur de toute libre réflexion actuelle. Cette question englobe inséparablement le rôle et le sens humain de la vérité, les relations que le mensonge entretient avec la loi des choses mortes, les affrontements inévitables qui en résultent, les moyens d’expression et de transmission, enfin, de ces discours opposés.
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