Franck Bouysse Grossir le ciel Éditeur : Manufacture de livres (2014)
Gus est un paysan des Cévennes qu’on jurerait avoir rencontré dans les documentaires de Raymond Depardon. Un homme oublié dans la diagonale du vide, sur une terre aride et dure, qui s’est forgé à l’image de cette nature et d’une enfance tourmentée.
Gus est le dernier descendant d’une lignée qui va disparaître. Bourru, peu sociable, il n’a qu’un seul ami, si on peut parler ainsi, le vieil Abel qui possède la ferme la plus proche de la sienne.
Le point de vue du roman est centré sur ce personnage que nous accompagnons dans son quotidien. Et c’est ce qui fait la force de cette histoire: ce pouvoir de nous intéresser aux menus gestes du quotidien d’un cul-terreux. Le matin, il va libérer ses veaux pour qu’ils tètent aux pis de leur mère, lui-même va tirer du lait au pis de la vache pour le faire chauffer sur la cuisinière.
La mémé disait toujours qu’un café bouillu, c’était un café foutu, le genre de leçon qui ne s’oublie pas.
Qui va réparer une clôture, bucheronner des chataigniers.
Gus avait toujours aimé faire du bois de chauffage. Tronçonner, débiter, fendre, empiler. Il s’agissait de la seule activité qu’il eût jamais partagée avec son père, vraiment partagée, même s’ils ne se parlaient pas en travaillant...
Le romancier fait plus que nous intéresser: il introduit du mystère, un suspens dans cette vie de paysan tout ce qu’il y a de banal. Tout se passait normalement dans la vie de Gus, homme qui s’est toujours satisfait de ce qu’il possédait. Mais le monde extérieur vient s’immiscer, d’abord par la télévision, on est en hiver 2007 et la mort de l’Abbé Pierre émeut le vieux paysan dans sa ferme isolée du lieu-dit Les Doges. Et puis il y a ces coups de feu dans la nuit, il y a ce sang chez son voisin Abel qui devient étrangement menaçant. Des prédicateurs se mettent à rôder et à poser des questions...
Le style de Franck Bouysse, parsemé par touches discrètes d’un vocabulaire recherché, donne une impression de simplicité qui s’accorde avec l’univers rustique qu’il dépeint. C’est le parfait mélange entre les descriptions de paysage qui rendent la majesté des lieux « belle lumière chapeautant la rangée de chêne », gestes et sons du quotidien « bruit des sabots écassonnant la terre », tout en dévoilant peu à peu les secrets du passé et les fêlures de ses personnages.
Une très belle réussite.
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