Acqua alta Joseph Brodsky (Arcades Gallimard)
traduit de l’anglais par Benoît Coeuré et Véronique Schiltz
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Une nuit de décembre, un voyageur coiffé d’un borsalino et vêtu d’un trench coat arrive en train à Venise. Avant même de voir la dentelle verticale des façades, les coupoles recouvertes de zinc et le profil penché des campaniles, l’odeur des algues glacées l’emplit de bonheur.
Au moment de l’écriture de ce long poème en prose, il est venu dix-sept fois, il a observé dix-sept hivers le visage de cette ville. Car l’oeil est le sens roi dans une cité qui lance un défi à la beauté.
L’oeil acquiert dans cette ville une autonomie comparable à celle d’une larme.
Ici, les nuits sont pauvres en cauchemars mais elles peuvent être froides, très froides même dans les appartements de circonstance aux plafonds élevés que le poète déniche pour ses pèlerinages annuels. Tout autour la ville toute entière est comme un orchestre gigantesque.
Quand au titre du livre, l’acqua alta, le poète russe la définit par cette phrase:
Les soirs d’hiver, la mer, gonflée par un vent d’est contraire remplit à ras bord les canaux et parfois les fait déborder. (...) Les rues se vident; boutiques, bars, restaurants et trattorias baissent leur rideau. Seules les enseignes restent allumées, s’autorisant enfin un peu de narcissisme tandis que le pavé fait un instant, superficiellement, concurrence aux canaux.
Voilà un beau texte, très littéraire, où le poète russe cherche à comprendre sa fascination pour la cité des Doges, il mêle souvenirs personnels (visite d’un palazzo et son enfilade de pièces vides, ses tentures, ses miroirs et la poussière) et impressions fugaces, descriptions saisissantes
Le brouillard local, la fameuse nebbia gommant tout ce qui a une forme: édifices, gens colonnades, ponts et statues... le tunnel que s’est foré dans le brouillard votre propre corps...
sans rien cacher des difficultés de la vie pratique, les difficultés à venir et à vivre ici, d’y trouver un logement, et son coeur malade qui fait peser sur sa vie comme une menace. Ce livre, écrit en anglais, fut publié en 1992, quatre ans avant la mort de Joseph Brodsky.
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