EXPOSITION CEIJA STOJKA
(23/02/2018 au 20/05/2018)
Une artiste Rom dans le siècleLe vert paradis de l'enfance |
La Maison rouge met sur le devant de la scène une artiste tardive, presque analphabète, sans éducation artistique.
Ceija Stojka (1933-2013) est cette femme qui vend des tapis sur les marchés, à Vienne, en Autriche. Elle se fond dans le décor, elle fait partie du peuple modeste qui survit.
Mais à 55 ans, une rencontre avec la documentariste Karin Berger change sa vie. Elle se met à dessiner, à peindre ce qu’elle a vécu.
Ceija Stojka |
Comme un cri, une souffrance longtemps retenue...
Dans le premier couloir de la Maison rouge, des grands panneaux explicatifs retracent la situation du peuple Rom à travers l’histoire.
« Les Roms, Sinti et Kalé appartiennent aux mondes romani installée en Europe depuis le Moyen Age. Ils connaissent diverses appellations qui s’inspirent de leurs origines supposées. Egyptiens, Gypsies et Gitans seraient ainsi originaires de la Petite Egypte, une région du Pélopponèse; Zingari, Zigeuner, Tigani ou Tziganes seraient issus des Athinganos, une secte d’hérétiques vivant à l’époque byzantine. En français le terme Bohémiens qui évoque le duché de Bohême en Europe centrale, s’efface au XIX sièce au profit de Romanichels, une contraction qui vient de Romani Chavé, les enfants du Rom, qui signifie l’homme en romani. »
Voici son histoire en grands tableaux qui explosent de couleurs ou de symboles naïfs et puissants.
Tout d’abord la vie avant la guerre. Une roulotte dans un paysage bucolique. J’ai pensé aux Romanichels dans Tintin et les bijoux de la Castafiore. Rapidement les corbeaux noirs du désastre viennent s’immiscer dans l’oeuvre.
Ceija Stojka n’a que 7 ans en 1940 quand les nazis décident de déporter ce qu’ils considèrent comme une race inférieure, ce qu’ils appellent « la plaie tzigane ».
Ceija Stojka n’a que 7 ans en 1940 quand les nazis décident de déporter ce qu’ils considèrent comme une race inférieure, ce qu’ils appellent « la plaie tzigane ».
Ceija Stojka va survivre à trois camps de concentration, Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen. Dans le même temps, 90 % de son peuple disparait en Autriche et en Allemagne. Le dernier camp est le plus terrible, Bergen-Belsen, voici ce qu’elle en dit :
« Bergen-Belsen, mon dieu ! On ne peut pas l’imaginer, on ne peut pas le raconter. Parfois, quand je me lève le matin, je me dis : Ceija, tu es au ciel et tu rêves ? Tu rêves que tu es sur terre ? Tu n’as pas pu t’échapper de Bergen-Belsen ! Ça ne se peut pas.
Quand on est arrivé là-bas, derrière ces barbelés tout neufs qui scintillaient au soleil, les mort, c’est la première chose qu’on a vue. Ils étaient ouverts de haut en bas, vidés, il n’y avait que les côtes et la peau, toutes les entrailles manquaient; ça veut dire qu’on les avait déchirés et qu’on avait mangé l’intérieur. Il y avait tellement de cadavres, tellement...J’étais toujours assise entre les morts, c’était le seul endroit vraiment calme. La Maman savait très bien où j’étais. Quand elle était fatiguée, elle venait et me prenait pas la main.(...)
Lors de la Libération, il faut imaginer le cri des soldats alliés en voyant le camp ! Tant de cadavres ! Les soldats qui nous touchaient pour savoir si on était vrais, si on était vivants ! Ils ne pouvaient pas comprendre qu’on vive là entre les cadavres, qu’il reste des vivants entre les morts. Et comme ils pleuraient et criaient ! Et c’était à nous de les consoler ! »
Au cours de l’expo, il y a ce passage magnifique d’une salle à l’autre, on passe du gris au vert. Les couleurs reviennent dans les tableaux : c’est la Libération.
Il y a des toiles aux couleurs vives qui font ressentir presque physiquement la nature en mouvement, le souffle du vent et le bonheur dans la petite roulotte rouge. Bonheur de l’enfance vite enfuie, les voitures de police s’invitent dans les champs. Les scènes sont vues de loin comme par un spectateur qui verrait une rafle à distance. Puis ce sont des tableaux à l’encre noir où les traits se font plus anguleux, où l’abstraction s’invite, peut-être pour tenir la douleur à distance. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer cette vieille femme en proie à une intense soif de création et qui revient sur son passé traumatique. Elle va peindre plus d’un millier de pièces, encres, gouaches et acryliques sur toile ou papier.
La déportation des Roms a longtemps été occultée mais le geste d’une artiste minoritaire vient écrire sur le tableau noir de l’histoire pour ne rien oublier, pour révéler. La vie plus forte que tout.
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