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mardi 17 décembre 2019

Pour déjouer l'impuissance de la volonté

L'Usage du vide

Essai sur l'intelligence de l'action, de l'Europe à la Chine

De Romain Graziani

Cet essai de Mathieu Graziani, un spécialiste du taoïsme encourage avec subtilité à explorer le monde du non-agir opposé à l’éthique volontariste, à la volonté musculaire. Le lecteur se laisse entraîner dans ces analyses subtiles qui allient philosophie chinoise des temps anciens et moments-clés de notre existence. On se pose des questions: 
Dans ce que je réussis, quelle est la part de l’intention volontaire, rationnelle, motivée, 
quelle est la part du hasard ? 
Quand je cherche le sommeil,  quand je perds un objet, quand j’ai un mot sur le bout de la langue je sais qu’il ne sert à rien de forcer, cela me reviendra par surprise, au-moment où je n’y pense plus...

Comment arriver à un état optimal, pour créer, jouer au tennis ou d’un instrument de musique ? 
« Nos états optimaux sont aléatoires, hasardeux, non durables » 

Romain Graziani va chercher entre autres exemples une réponse dans le Tchouang-tseu  avec cette histoire du charpentier Ts’ing, un homme du commun qui a réalisé une oeuvre qui stupéfie son seigneur. Pour y arriver, le charpentier a fait des détours pour atteindre son état d’optimal: un long jeûne qui le mène à un état d’épuisement, et là, enfin, il peut créer. 
« Le charpentier Ts’ing explique les dispositions d’esprit qu’il s’est efforcé de cultiver avant l’exécution concrète de sa tâche . »

Et il y aura d’autres histoires, la façon dont Poincarré décrit l’arrivée d’une idée mathématique, Alexandre Grothendieck qui compare le cassage d’une noix avec un marteau burin et celui du passage des saisons, Glenn Gould qui joue au piano au-milieu d’un vacarme volontaire pour surmonter une inhibition. 
Histoire d’un concours de tir à l’arc: moins il y a d’enjeu, moins on est paralysé. Un peu à l’exemple du joueur de tennis au moment de conclure, et l’auteur de citer l’autobiographie d’André Agassi. « Réaliser une tâche de façon distraite peut nous amener à mieux la réaliser.»
J’oubliais l’histoire de l’homme qui voulait semer son ombre: « Il y avait une fois un homme qui, par peur de son ombre et par aversion de ses traces, s’était mis à courir à toutes jambes pour y échapper ». La suite de l’histoire et son analyse démontre qu’il est inutile de taper plus fort pour résoudre un problème. Il faut accepter de cesser de vouloir résoudre le problème (s’arrêter de marcher et se mettre à l’ombre). Se retrancher du monde, vertus régénératrices du silence et de la solitude. 

L’auteur déniche des solutions pour aller vers ces états optimaux, le détachement vis-à-vis des fins, l’art de la privation volontaire, l’imitation et l’importance du ritualisme. 
« C’est en faisant semblant qu’on y arrive vraiment »

« Le pari du ritualisme est que la conduite de celui qui observe les conventions et les bienséances prescrites par l’étiquette commence avec l’imitation et la répétition, mais culmine dans l’intelligence morale de chaque geste éxécuté  selon le rite. (...) Le rite sculpte en vous les formes favorables d’états optimaux. »
Une belle exploration de la psyché humaine qui entraîne (double-sens) le lecteur  dans un exercice d’introspection sur les raisons profondes qui gouvernent notre volonté (et ses échecs) ou notre absence de volonté (et ses réussites surprises...). 



samedi 6 avril 2019

Quelque chose tire ! Le zen dans l'art chevaleresque...


Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc. E. Herrigel. (Dervy éditions)


Quand on propose un poste au Japon à Eugen Herrigel, philosophe allemand, il est heureux : cela lui permet de se rapprocher du Zen, une énigme pour l’homme occidental - une mystique de l’absorption- qui le fascine et qu’il se désespère de comprendre simplement à travers la littérature. 
A l’université impériale de Tohoku, on lui fait comprendre que la seule manière d’appréhender cette philosophie est de pratiquer un art qui lui permettra de faire une expérience mystique. Eugen Herrigel choisit le tir à l’arc, sa femme se met à l’arrangement floral. 

Il débute son initiation avec un maître - un conducteur d’âmes - dont on ne saura ni le nom ni à quoi il ressemble. Ce qui compte dans le livre c’est l’initiation elle-même. 
Le maître décompose les étapes du tir à l’arc: bander l’arc, relâcher la corde, mettre dans la cible. 
Herrigel passe plusieurs mois à trouver le bon mouvement simplement pour la première étape.. Le maître le dissuade d’utiliser la force physique, il blâme sa dépense de force et lui crie : « Relâchez-vous !»; il lui fait d’abord éprouver ses propres échecs avant de lui dire de travailler sur sa respiration. Une inspiration lente puis une expiration la plus lente possible avec un bourdonnement. La respiration évite de solliciter la force physique et elle empêche de trop se fixer sur le résultat. 

Vient ensuite la deuxième phase du mouvement qui consiste à lâcher la corde et la flèche. Le maître ne se lasse pas de leur montrer le geste parfait. Il faut se dépouiller de toute intention. 

Cela prendra des années à Eugen Herrigel...Il nous fait part de ses difficultés techniques: la contraction de sa main, l’effort physique qui contrarie son relâchement, le questionnement incessant au maître. 
Et le doute qui surgit dans son esprit: pourquoi consacrer autant  de temps à cet art disparu, pourquoi s’épuiser à acquérir un geste inutile ? Le maître lui répond que le temps n’est rien et qu’il est impossible de mesurer le chemin qui conduit au but. 

Quand Herrigel triche avec sa main, le maître lui retire l’arc et lui tourne le dos. Il a trahi la doctrine du tir à l’arc.
Ils recommencent tout à zéro. 

Il semble que c’est la lassitude qui finit par dissoudre le moi du philosophe allemand. Au cours de semaines où il se consacre au tir à l’arc sans passion, en se sentant atone, il finit par décrocher un tir que le maître applaudit. Quelque chose tire ! lui dit-il. Il a atteint l’état purement désintéressé. « Vous vous teniez complètement oublieux de vous-même. »

Et aussitôt il lui interdit de ressentir la joie de la réussite. 
« S’il ne faut pas vous chagriner des coups mauvais, vous n’avez pas à vous réjouir des bons. Il faut vous libérer de ce passage du plaisir au mécontentement. » page 101
Puis l’élève apprend à distinguer par lui-même les tirs réussis des tirs ratés. 
A la fin vient l’enseignement final : viser une cible lointaine et tirer sa flèche. Le maître peut mettre au centre de la cible en fermant les yeux. Les élèves n’arrivent même pas à la toucher. 
« Comportez-vous comme si le but était l’infini ». 
Herrigel parle de la période la plus dure de sa vie pour cette dernière étape. Mais il finit par y arriver. 
«  Toutes ces choses, arc, flèche, moi, s’amalgament tellement que je ne suis plus capable de les séparer. D’ailleurs le besoin de séparer n’existe plus. Dès que je saisis l’arc et que je tire, tout devient si clair, si un, si ridiculement simple... » Le maître m’interrompit alors et dit: « Voilà justement la corde de l’arc qui vient de vous traverser ! »
Cela fait beaucoup de bien d’irriguer son esprit d’une philosophie qui paraît aux antipodes de notre vie actuelle: expérience sportive qui ne vise surtout pas la performance mais le geste parfait qui s’acquiert par des années d’échecs, car rien n’est plus difficile que le détachement, l’oubli du moi. Expérience physique, une lutte de l’archer contre lui-même, allant jusqu’aux plus ultimes profondeurs, qui devient expérience mystique et transforme l’individu. Avant de quitter le Japon en lui donnant un arc (qu’il devra réduire en poussière pour ne le léguer à personne), le maître japonais prévient le philosophe allemand: vous vous êtes transformé et vous vous en rendrez compte quand vous retrouverez vos amis. 

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L'araignée danse sa toile....
Le maître me fit ces réflexions: « Si vous espérez tirer profit d’une compréhension quelque peu utilisable de ces connexions obscures, vous vous égarez. Les événements dont il s’agit dépassent la portée de l’entendement. Ne perdez pas de vue que, déjà dans la nature extérieure, il est des harmonies qui, si elles sont incompréhensibles, n’en sont pourtant pas moins réelles...

J’ai eu très souvent la pensée occupée par cet exemple que je vais vous donner: l’araignée danse sa toile sans savoir que des mouches viendront s’y prendre; la mouche, elle, qui dansant dans un rayon de soleil, ignore ce qui se trouve devant elle et se prend dans cette toile. Mais, dans l’araignée comme dans la mouche, « Quelque chose » danse et, dans cette danse, extérieur et intérieur sont un. Je suis incapable de m’expliquer mieux, c’est ainsi que l’archer atteint la cible sans avoir extérieurement visé.