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samedi 6 avril 2019

Quelque chose tire ! Le zen dans l'art chevaleresque...


Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc. E. Herrigel. (Dervy éditions)


Quand on propose un poste au Japon à Eugen Herrigel, philosophe allemand, il est heureux : cela lui permet de se rapprocher du Zen, une énigme pour l’homme occidental - une mystique de l’absorption- qui le fascine et qu’il se désespère de comprendre simplement à travers la littérature. 
A l’université impériale de Tohoku, on lui fait comprendre que la seule manière d’appréhender cette philosophie est de pratiquer un art qui lui permettra de faire une expérience mystique. Eugen Herrigel choisit le tir à l’arc, sa femme se met à l’arrangement floral. 

Il débute son initiation avec un maître - un conducteur d’âmes - dont on ne saura ni le nom ni à quoi il ressemble. Ce qui compte dans le livre c’est l’initiation elle-même. 
Le maître décompose les étapes du tir à l’arc: bander l’arc, relâcher la corde, mettre dans la cible. 
Herrigel passe plusieurs mois à trouver le bon mouvement simplement pour la première étape.. Le maître le dissuade d’utiliser la force physique, il blâme sa dépense de force et lui crie : « Relâchez-vous !»; il lui fait d’abord éprouver ses propres échecs avant de lui dire de travailler sur sa respiration. Une inspiration lente puis une expiration la plus lente possible avec un bourdonnement. La respiration évite de solliciter la force physique et elle empêche de trop se fixer sur le résultat. 

Vient ensuite la deuxième phase du mouvement qui consiste à lâcher la corde et la flèche. Le maître ne se lasse pas de leur montrer le geste parfait. Il faut se dépouiller de toute intention. 

Cela prendra des années à Eugen Herrigel...Il nous fait part de ses difficultés techniques: la contraction de sa main, l’effort physique qui contrarie son relâchement, le questionnement incessant au maître. 
Et le doute qui surgit dans son esprit: pourquoi consacrer autant  de temps à cet art disparu, pourquoi s’épuiser à acquérir un geste inutile ? Le maître lui répond que le temps n’est rien et qu’il est impossible de mesurer le chemin qui conduit au but. 

Quand Herrigel triche avec sa main, le maître lui retire l’arc et lui tourne le dos. Il a trahi la doctrine du tir à l’arc.
Ils recommencent tout à zéro. 

Il semble que c’est la lassitude qui finit par dissoudre le moi du philosophe allemand. Au cours de semaines où il se consacre au tir à l’arc sans passion, en se sentant atone, il finit par décrocher un tir que le maître applaudit. Quelque chose tire ! lui dit-il. Il a atteint l’état purement désintéressé. « Vous vous teniez complètement oublieux de vous-même. »

Et aussitôt il lui interdit de ressentir la joie de la réussite. 
« S’il ne faut pas vous chagriner des coups mauvais, vous n’avez pas à vous réjouir des bons. Il faut vous libérer de ce passage du plaisir au mécontentement. » page 101
Puis l’élève apprend à distinguer par lui-même les tirs réussis des tirs ratés. 
A la fin vient l’enseignement final : viser une cible lointaine et tirer sa flèche. Le maître peut mettre au centre de la cible en fermant les yeux. Les élèves n’arrivent même pas à la toucher. 
« Comportez-vous comme si le but était l’infini ». 
Herrigel parle de la période la plus dure de sa vie pour cette dernière étape. Mais il finit par y arriver. 
«  Toutes ces choses, arc, flèche, moi, s’amalgament tellement que je ne suis plus capable de les séparer. D’ailleurs le besoin de séparer n’existe plus. Dès que je saisis l’arc et que je tire, tout devient si clair, si un, si ridiculement simple... » Le maître m’interrompit alors et dit: « Voilà justement la corde de l’arc qui vient de vous traverser ! »
Cela fait beaucoup de bien d’irriguer son esprit d’une philosophie qui paraît aux antipodes de notre vie actuelle: expérience sportive qui ne vise surtout pas la performance mais le geste parfait qui s’acquiert par des années d’échecs, car rien n’est plus difficile que le détachement, l’oubli du moi. Expérience physique, une lutte de l’archer contre lui-même, allant jusqu’aux plus ultimes profondeurs, qui devient expérience mystique et transforme l’individu. Avant de quitter le Japon en lui donnant un arc (qu’il devra réduire en poussière pour ne le léguer à personne), le maître japonais prévient le philosophe allemand: vous vous êtes transformé et vous vous en rendrez compte quand vous retrouverez vos amis. 

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L'araignée danse sa toile....
Le maître me fit ces réflexions: « Si vous espérez tirer profit d’une compréhension quelque peu utilisable de ces connexions obscures, vous vous égarez. Les événements dont il s’agit dépassent la portée de l’entendement. Ne perdez pas de vue que, déjà dans la nature extérieure, il est des harmonies qui, si elles sont incompréhensibles, n’en sont pourtant pas moins réelles...

J’ai eu très souvent la pensée occupée par cet exemple que je vais vous donner: l’araignée danse sa toile sans savoir que des mouches viendront s’y prendre; la mouche, elle, qui dansant dans un rayon de soleil, ignore ce qui se trouve devant elle et se prend dans cette toile. Mais, dans l’araignée comme dans la mouche, « Quelque chose » danse et, dans cette danse, extérieur et intérieur sont un. Je suis incapable de m’expliquer mieux, c’est ainsi que l’archer atteint la cible sans avoir extérieurement visé. 

samedi 23 mars 2019

Le meurtre du Commandeur, livre 2


Le Meurtre du Commandeur, livre 2, la métaphore se déplace, de Haruki Murakami. Traduit du japonais par Hélène Morita, avec la collaboration de Tomoko Oono. 


Nous reprenons l’histoire là où nous l’avons laissée: un narrateur, peintre de métier, s’est mis en retrait de la société après la séparation d’avec sa femme. Il habite une maison sur une colline qui a appartenu à un grand peintre mourant. Il rencontre régulièrement son « voisin de colline », le mystérieux Menshiki, un quinquagénaire à la belle chevelure blanche, incarnation de la maîtrise de soi. Autour d’eux, des évènements surnaturels se produisent, une clochette qui sonne dans la nuit, un personnage qui sort d’une toile...
Vient le deuxième dimanche de pose de Marie, accompagnée dans la petite Prius par Shoko, sa tante qui l’élève...

Les journées du narrateur sont toujours chroniquées dans leur banalité, préparation des repas, heures de sommeil et de repos, temps consacré à la peinture et aux progrès de son monde intérieur ( il donne envie de se mettre à dessiner), rendez-vous avec ses voisins ou son ami Masahiko où il peut prendre des nouvelles de son père le vieux peintre. Il y a quelque chose de curieusement apaisant dans la lecture. Cela tient au ton tranquille et descriptif du narrateur qui semble accorder la même minutie à la dégustation d’une daurade qu’à l’émotion suscitée par l’apparition d’un fantôme. En refusant les émotions faciles du thriller, l’écrivain nous imprègne de ses images comme un peintre qui donne la dernière touche de couleur. 

L’intrigue avance par petites touches, une rencontre entre Menshiki et les deux femmes, une liaison cachée qui se  noue. Et soudain un personnage disparaît, le roman peut accélérer dans son final. Il bascule dans le fantastique des mondes parallèles et du temps aboli. 

C’est un roman qui relie les choses entre elles et les entrecroise peu à peu pour que la lumière surgisse. Des évènements du passé font sens dans le présent ( une femme tuée par un essaim d’abeilles, une petite fille qui se glisse dans un trou à l’intérieur d’une grotte, un japonais qui participe à un complot contre Hitler...). Les personnages sont des êtres qui cherchent des cachettes secrètes qui sont à la fois refuges et cachots. Qui se laissent enfermer pour mieux ressurgir à la lumière. Les couloirs mystérieux deviennent des goulots d’étranglement. Le fantastique de Murakami fait émerger les peurs et les envies mythologiques de l’enfance, tunnels qui communiquent mystérieusement entre eux, passages secrets et raccourcis dans les forêts, belle maison moderne et chambre de Barbe-Bleu. Quand au meurtre du titre, on comprend à la toute fin. 

C’est un roman qu’on referme avec un petit sourire, le regard vague, flottant au loin vers des collines imaginaires, des villas blanches et vaporeuses, des forêts au sanctuaire de pierre. Attention, la petite clochette va tinter, mais était-ce dans la réalité ou dans le rêve ?