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samedi 10 octobre 2015

Héléna Marienské Les ennemis de la vie ordinaire


Héléna Marienské    Les ennemis de la vie ordinaire (Flammarion)

Lu dans le cadre de l’opération Masse critique. Merci à Babélio et à Flammarion pour l’envoi de ce livre.
Une psychologue sûre de son savoir de thérapeute réunit des hommes et des femmes victimes d’addiction. Il y a le joueur compulsif, dépendant de la roulette, l’héroïnomane en voie de clochardisation, l'accro au sport qui finit en fauteuil roulant, l’obsédé du sexe (et grand littéraire) qui va passer les bornes, la bourgeoise alcoolique et humiliée par son commissaire priseur de mari, le prêtre cocaïnomane sosie du pape et j’en oublie, ils sont sept en tout. Tous ces personnages sont habilement caractérisés, chacun ses habitudes, ses tics de langage, ses passions.
Cette belle galerie d’originaux va évoluer dans une direction non voulue. Le mélange des ces personnalités addictives va faire des étincelles. Ils vont apprendre les uns des autres, que ce soit l’amour ou le poker. La thérapeute, qui incarne une sorte de norme, bienveillante mais imbue d’elle même, va se retrouver dépassée jusqu’à disparaître. L’addiction, ou plutôt la polyaddiction, devient la norme. Et le roman va se boucler jusqu’à sa conclusion burlesque....
C’est une belle manière d’inverser notre rapport au monde: les humiliés, ceux qui sont en échec, deviennent à la fin les vainqueurs éphémères.
Si j’ai aimé ? Je me suis laissé happer par l’histoire, j’ai admiré le savoir-faire et l’habileté de Héléna Marienské pour créer ses personnages, mais le roman souffre de son efficacité et de son (relatif) happy end. J’aurais aimé plus de noirceur et un final vraiment apocalyptique...

jeudi 1 octobre 2015

La vie parallèle du buveur de sang


Nick Tosches Moi et le Diable (Albin Michel) traduit par Héloïse Esquié. 


Lu grâce à l'opération Masse critique de Babelio, c'est toujours valorisant de recevoir le livre juste avant sa parution, en "épreuves non corrigées" comme il est écrit dans un gros rond rouge...Les critiques des lecteurs reflètent assez bien mon sentiment. Une prose fantasmagorique mais une histoire qui s'étire un peu trop...

Nick est un vieil écrivain alcoolique qui nous raconte son quotidien. Il se considère comme le spectre édenté d’un homme fini et traîne de bar en bar sa misère et son physique ruiné par l’âge et les excès. C’est aussi un esthète capable d’écouter Alina ou Litany d’Arvo Pärt qui accorde une grande attention aux nourritures qu’il met dans sa bouche. Le vocabulaire précis et choisi avec lequel il détaille sa vie transforme la banalité en un monde chatoyant.
Belle description de son New York qu’il a vu changer, notamment ce quartier du Sud de Manhattan transformé en une perpétuelle vallée d’échafaudages, qui s’est boboïsé comme on dirait en France. Finie l’époque où il dormait sur son escalier de secours.
Il est obsédé par l’alcool, par les Alcooliques anonymes et à l’espoir que suscite en lui Olivier Ameisen  et sa trouvaille du Baclofène.
Puis vient le sang qui va remplacer l’alcool. Son ami Keith Richards (qui s’y connaît en addictions) le met en garde: ceux qui goûtent le sang font un voyage sans retour. J’ai vu des choses sortir d’eux lui dit-il. Le point de non-retour est proche... Surtout quand deux femmes sont retrouvées égorgées au coin de la rue...Entretemps, il vit une histoire d’amour avec la jeune Lorna, une étudiante, et s’en va retrouver sa vitalité en fouettant une vierge consentante, et goûtant son sang naturellement.
Nick se sent de mieux en mieux, il a arrêté de boire, ses sens s’aiguisent, son corps rajeunit, les écrits spirites de son double somnambule et leur poésie bizarroïde le surprennent au réveil. Il se retrouve au royaume de la santé éclatante, son groupe sanguin changeant de manière inexplicable...De quoi attirer l’attention du Diable en personne...
Baudelairien en diable, ce roman exalte la puissance de la vie couplée à la mort, la pulsation du sang qui parcourt le corps. Roman étrange et crépusculaire du plaisir rare et illicite, du mot recherché, où Nick le vieil écrivain s’invente une vie de buveur de sang et de fouetteur de vierge. J’ai mis plein de petite croix, nombreux passage de bravoure, dommage que la narration ne soit pas plus resserrée, se délaie un peu dans la répétition. On sent que l’écrivain est parfois un peu à bout de souffle et se contente de greffer une vie parallèle à celle de son double.

dimanche 23 août 2015

Chasselas, cocaïne et mondialisation par DOA

DOA Le serpent aux mille coupures (Série Noire) 2009


C’est le troisième roman de cet auteur que je lis en deux mois. Une valeur sûre. Vidéo de l'auteur parlant très bien de son livre. 

Une nuit, un paysan de Moissac, Baptiste Latapie est en train de saboter avec une tenaille les palissages d’un vigneron concurrent. Son tort ? C’est un noir qui s’est marié avec la fille d’un propriétaire et que les paysans du coin aimeraient faire déguerpir . Le saboteur est interrompu par l’arrivée d’une voiture.
Changement de point de vue: dans le véhicule, des mafieux colombiens venus traiter des affaires avec des collègues italiens....
Par un hasard incroyable, le sbire et chauffeur des mafieux tombe sur un accidenté de la route, moto renversée dans un fossé. On ne veut pas de témoin: pas de quartier pour le blessé. Sauf que le blessé n’est pas monsieur tout le monde...
Pendant ce temps-là, sur les routes de la région, les gendarmes patrouillent à la recherche d’un fugitif. On le comprend à la fin du roman, on est juste après Citoyens clandestins. Le lecteur trouvait bien une certaine ressemblance à un personnage...

Ensuite, nous aurons droit à une prise d’otage dans une ferme isolée et à la confrontation entre le preneur d’otage, un homme blessé, un professionnel dur et en fuite, et la petite famille, la femme, le fermier, la petite fille et le chien...
Un tueur sans pitié commandité par la mafia (le fameux serpent) arrive pour nettoyer le merdier, il va mettre les polices françaises et espagnoles sur les dents et faire des dégâts dans la paysannerie locale ...

Encore un bon roman de DOA après Citoyen clandestin. J’ai retrouvé la sobre efficacité des Manchette comme par exemple La position du tireur couché avec en plus son talent pour nous faire vivre plusieurs points de vue avant de joindre les fils narratifs à la fin. 
150 pages qui se lisent en un éclair. 

vendredi 21 août 2015

Joseph Bialot Rue du chat crevé

Joseph Bialot  Rue du chat crevé ( Série noire) 1983


Aussitôt commencé, aussitôt fini. On est emporté dans le monde dingo et imagé de Joseph Bialot. 
Ça commence par un accident de la route, une gamine renversée. 
« Dans la rue adjacente, une Dauphine hors d’âge émergea, vira à gauche, brutalement, trop brutalement. »
Ça continue avec un homme qui écrit le mot chômeur sur une étoile jaune avant de péter un cable et devenir un forcené qui tire sur les objets électroniques et les télés en particulier. 
« Le tueur, l’oeil vague, reprenait.
- Je me suis demandé à quoi ça rimait. Et ça ne rimait qu’à la télé, à ce miroir imbécile qui te vante le meilleur produit du monde pour nettoyer tes chiottes. Juste lorsque tu te mets à table. Ce miroir implacable qui te renvoie l’image du monde, ton image, le même monde débile que le tien. Six milliards de connards qui se lèvent tous les jours, qui bossent, bouffent, chôment, baisent, tuent, se branlent, se font tuer pour rien, pour le vide, la vidéo. Voilà. »
Pour payer un flacon de parfum au muguet à leur copine accidentée, une bande d’enfant cherche un stratagème pour obtenir de l’argent. Nino le rêveur va fourbir un plan aux petits oignons pour faire un hold up dans une gare...Il faudra le faire un lundi car « on vote dimanche, donc pas d’école lundi matin puisqu’on désinfecte toujours après les élections. »
Espérons qu’il ait plus de chance que son grand frère, le type même de ce que les flics appellent un petit casseur. Il est rencardé et fournit un faussaire et recéleur, le légendaire Kili des Puces. Et on n’oubliera pas Max et son tueur, le pitbull Rosko.
 Joseph Bialot Rue du chat crevé, ça sonnait bien et j’ai passé deux heures emporté dans la trombe d'un monde coloré où des enfants jouent aux adultes en mettant des masques de carnaval, kidnappent des chiens, où les pit-bull tuent sans pitié dobermans, berger allemand et vieil homme, et où une gamine n'aura jamais son flacon de parfum. A la fin, il ne reste qu'un conte cruel. Une belle découverte. Pour comparer, un Pennac en plus cruel et plus rapide. 

Exemple du style: 
« Louis-Ferdinand Cotencin, artiste lyrique en retraite, remontait la rue du Poteau, voie parisienne qui étire ses volutes pavées entre Montmartre et Clignancourt.Il traînait, sur des roulettes, le cabas noir des jours de marché et trottinait à petits pas rapides. Sa main gauche tirait, freinait ou suivait les mouvements de « Fourcy », son Scottish Australien à la fourrure noire. Une de ces bêtes ignobles que les hommes appellent chien et qui tiennent plus sûrement de la moquette à poils raides montée sur pattes. Un croisement raté par la nature entre une chienne, un hérisson et une brosse en chiendent ; un animal pervers qui mordait en douce, pissait dans les ascenseurs, polluait les trottoirs.Cotencin se moquait du qu’en-dira-t-on, adorait son chien. » p.83


Extrait de: Joseph Bialot. « Rue du Chat Crevé. » 

dimanche 16 août 2015

Sans espoir de retour

Robin Cook   On ne meurt que deux fois ( He died with his eyes open) Série noire, traduit de l’anglais par Jean-Bernard Piat. 

Le narrateur, un sergent de police du service des décès non éclaircis, arrive sur une scène de crime. Nous ne saurons pas le nom de cet homme, nous connaîtrons juste son éthique professionnelle qui le fait rester à un poste ingrat dans la police anglaise, pour rendre justice aux anonymes. 
« Nous travaillons sur la mort obcure, sans importance et apparemment sans mobile de gens qui ne comptent pas et n’ont jamais compté. »
Charles Staniland a été massacré. 
« Comment un alcoolique de cet âge-là finit-il sa carrière dans un terrain vague, dans le même état que s’il avait été déchiqueté par un obus ? »

Le sergent-narrateur s’immerge dans la vie du mort, il lit ses écrits, et écoute des cassettes audio où il raconte sa descente aux enfers, entre désespoir et lucidité. Le sergent passe de témoin en témoin, de bar en appartements sinistrés. Il y a ceux qui méprisaient Staniland et ceux qui l’ont bien aimé (un ex-collègue de la BBC et son ex-femme). Il sait qu’il touche au but quand il retrouve la femme fatale, la dernière amante de Staniland. Pour savoir la vérité, le sergent va devoir aller loin, trop loin ...?


« Les gens comme ça sont semblables aux infirmières. On trouve normal qu’ils passent inaperçus sans être récompensés.  »

Le fil ténu des souvenirs

Nathalie Sarraute  ENFANCE  (Gallimard, 1985)

Une enfance qui ressurgit avec ses figures. Les parents séparés. Le père, tout d’abord, exilé russe, dont on nous dit qu’il essaie de reconstituer son usine de produits chimiques. La mère qui vit en Russie avec le gentil Kolia.
Mais Nathalie, vers 8 ans, est accueillie plus longtemps chez son père et Véra, sa nouvelle compagne, qui met au monde Lili. 
Si son père l’entoure d’une affection jamais démentie, on ne saura jamais quel degré d’affection lui porte sa belle-mère qui n’a que quinze ans de plus qu’elle. Elle lui posera la question, à brûle-pourpoint: est-ce-que tu me détestes ?
Le troisième personnage, le plus important, c’est l’école de la République, l’école laïque française. L’école devient le hâvre protecteur pour cette enfant aux excellentes notes, ballotée entre ses parents, obligée faire des choix d’adulte. Elle vit là-bas un moment de perfection au cours d’une simple récitation. L’école est « un monde aux confins tracés avec une grande précision, un monde solide, partout visible, juste à ma mesure. ». Elle éprouve précisément le sentiment que l’enseignement primaire cherche à donner. 


Ce court livre est écrit sous forme de dialogue intérieur, un ping pong verbal, une auto-psychanalyse où les souvenirs enfuis, enfouis, se raniment à la lueur du présent, mais sont vacillant car on ne connaît pas leur degré de véracité, à quel point ils sont reconstruits. Un fil minuscule les unit et ils émergent en ribambelle de la brume du passé. 

Un pèlerin de Compostelle

Jean-Christophe Rufin   Immortelle randonnée   (Gallimard) 2014



Quand il a fait la randonnée-pèlerinage de St Jacques de Compostelle en passant par le chemin du nord (800 km), Jean-Christophe Rufin n’a pris aucune note. Il voulait juste vivre l’expérience sans intention d’en faire un livre. Il juge son expérience avec du recul. 
C’est d’abord une expérience de marcheur, un défi sportif, une purge intellectuelle et un moyen de se détacher des oripeaux sociaux (ambassadeur, académicien). Nul ne fait plus attention à lui. 
Il y a la période d’acclimatation d’une semaine puis le pèlerin, bien calé dans sa crasse, dans sa fatigue latente, se transforme peu à peu. Cet enseignement de la frugalité, cette paix qui augmente au fur-et-à-mesure de la marche ressemble davantage pour lui à un pèlerinage bouddhiste que chrétien. 
On a du plaisir à pérégriner avec l’auteur, il nous reste une impression générale servi par la prose classique, quelques portraits, les haltes, le fait que le pèlerin est de toute façon seul jusqu’au bout, son dénuement et sa faiblesse contre le monde moderne. Mais il y a parfois un abus de grandes phrases, de sentences sur l’existence un peu creuses qui paraissent être des subterfuges pour remplir le livre. 


Au fond, ce que Rufin semble chercher, c’est la preuve que la marche, geste simple, le dénuement, la pauvreté sont des formes de résistance à l’aliénation du monde moderne. J’ai aimé les détails concrets du randonneur : le plaisir de bivouaquer pour éviter le plus possible les dortoirs communs, l’intérêt  pour la MUL (marche ultra légère).