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dimanche 7 avril 2013

Gaston Chaissac le tourmenté


Chaissac, gros livre d'art de plus de 300 pages, date de l'année 2000, catalogue de l'exposition que lui a consacré la Galerie du Jeu de Paume.
Je voulais vérifier cette phrase que j'ai mis dans le billet sur Dubuffet "découvreur de Chaissac". La vérité est différente: Dubuffet a aidé financièrement Chaissac, il l'a soutenu moralement et a aidé à  le faire connaître, mais ce n'est pas son découvreur.

Le mérite en revient plutôt aux peintres Otto Freundlich et Jeanne Kosnik-Kloss qui croient en lui dès 1937. Il y en a d'autres: Albert Gleizes, Raymond Queneau en 1944 et Jean Paulhan. C'est lui qui attire l'attention de Jean Dubuffet sur ce peintre autodidacte qui vit à Saint-Florence aux cotés de sa femme Camille, institutrice.
Drôles de rapports entre le grand artiste reconnu depuis quelques années et le peintre asthénique et dépressif du bocage vendéen. Chaissac est reconnaissant envers Dubuffet de l'aider, mais il ne peut pas s'empêcher d'être méfiant, il est comme un animal qui s'ébroue et refuse de se laisser enrôler dans le monde de l'art brut où Dubuffet aimerait bien le caser.


Dès  le départ, la relation avec  Dubuffet  est pour  Chaissac  source d'interrogations.  Il a, en février, défini le concept  de «peinture rustique moderne» alors que celui  d'art  brut n'apparaît  chez Dubuffet qu'en décembre ; il pense  donc avoir une antériorité dans la reconnaissance  publique  du concept  (sa  première exposition chez  Gerbo  date  de 1938, celle  de Dubuffet chez Drouin  de 1944).  Toutefois  l'attention de Dubuffet, son  soutien  amical et financier font  qu'il  n'affirme  pas directement son point de vue.
D'un autre coté, Daniel Abadie souligne que Dubuffet est parfois surpris, voire agacé des connaissances de Chaissac sur l'art brut.
Dubuffet organise la première exposition des oeuvres de Chaissac à Paris. Celui-ci finit par s'y rendre, les deux hommes se rencontrent en chair et en os. Voici ce qu'écrit Dubuffet à Camille, la femme de Gaston:
Cette rencontre  a aussi  fait impression  sur Dubuffet,  qui, le 8 juillet,  écrit à Camille  Chaissac:
 « J'ai  été  content  de connaître Gaston  et de parler  avec lui. J'ai été surpris  quand  je l'ai vu, ce n'était pas comme  cela  que je I'imaginais.  C'est  son élégance à quoi je n'avais pas pensé  et qui m'a surpris, sa  svelte  élégance physique.
Et  sa  tristesse  aussi;  au premier contact avec lui j'ai été  surpris  qu'il a I'air  si triste; j'avais  pensé d'après ses  lettres  à un dosage  de tristesse  et d'enjouement mais  je ne croyais pas que la tristesse dominait  tant dans  le mélange.  Il est vrai que  maintenant que je I'ai vu plusieurs  fois, je ne suis déjà  plus  tant frappé  comme  au premier abord  par cette tristesse. Peut-être que je m'habitue. Peut être aussi qu'il est moins triste qu'au  moment  qu'il  est arrivé » 
L'ambivalence de leurs relations est visible dans les lettres contradictoires que Chaissac envoie à Dubuffet. Un coup, il est content que l'expo se fasse, puis il se ravise et exprime son dégoût pour la peinture. Dubuffet répond sans se vexer, il semble conscient de la fragilité de Chaissac et préfère entrer dans son jeu, répondre sur le terrain de l'écriture....

Voilà, la chronologie de Daniel Abadie, basée sur la correspondance de Chaissac (il écrivait plusieurs heures par jour, on raconte qu'il envoyait ses lettres à des inconnus) permet de mieux connaître ce peintre, « un cousin stylistique de Dubuffet, en plus fantaisiste dans ses choix art brut» comme l'écrit le Herald Tribune quelques mois avant sa mort, alors qu'il vend enfin ses oeuvres.
Gaston Chaissac meurt à 54 ans, en 1964.
Photo de Gilles Ehrmann

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