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lundi 8 septembre 2014

Le manoir des immortelles de Thierry Jonquet


La mort du fossoyeur, de Carlos Schwabe

Hadès errait dans un paysage chaotique nappé d'une brume épaisse. Des cris perçaient cette nuit ouatée. Hadès marchait et marchait encore dans son royaume: celui des Morts. Par endroits, le sol devenait spongieux. Il y avait une lumière, au loin, un arbre entouré d'un tapis de mousse, des chants d'oiseaux. Et Lola, vêtue d'une tunique blanche, dont l'échancrue laissait voir le galbe de ses seins, dormait, allongée sous les branches basses. Hadès courait vers elle, lui criait de fuir, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Et l'horreur. Ils étaient là, les monstres, Numéro 28, Numéro 42, Numéro 56, et d'autres encore. Il dansaient autour de Lola une ronde obscène. (p.74)


Thierry Jonquet Le manoir des immortelles (folio policier)

Ce roman est plutôt une longue nouvelle de 110 pages qui se lit d'une traite, une épure de polar sur le thème de la jeune fille et la mort.

On pense d'abord : "polar rapide"sur lequel flotte l'ombre de la mort, le squelette grimaçant dans sa longue cape, armé de sa faux, errant à bord de sa camionnette blanche dans les rues de Paris et de sa banlieue. Au début, l'humour est grinçant, on est dans l'action. Un homme en faction épie des visiteurs auxquels il donne des numéros. Certains ne sont pas revenus, il les a tués.

« Un dingue s'est baladé dans les rues de Paris avec une faux, pour assassiner le médecin-légiste. »
Les collègues du légiste, Salarnier et Rital, mènent l'enquête. Tout ce qui relève de la procédure fait office d'une narration ultra efficace qui va à l'essentiel. On examine la vie des morts, on fait des constatations anatomiques : mains de bureaucrate, malformations, bridge, dents esquintés, père de famille moustachu et replet, boiterie suite à un accident de voiture, des vies sans histoire de fonctionnaire ultraponctuel. Tout cela dans le décor réaliste de Paris et de sa banlieue, un appartement à Gentilly, l'Hôtel-Dieu, les éboueurs chargent les poubelles à grand bruit et les passants se hâtent vers les bouches de métro... Plus une visite au Louvre pour voir des tableaux liés à la mort, et un enterrement au Père-Lachaise. Et un manoir à moitié écroulé quelque part dans la banlieue noire, à 20 minutes à pied de la gare...

 A mesure que Salarnier et Rital se rapprochent du but, tout s'assombrit, le polar ressemble à un nœud complexe qui se resserre de plus en plus vers son dénouement et procure le plaisir intellectuel d'une belle construction. J'ai vraiment pensé à ce paragraphe de Charles Baudelaire à propos d'une certaine supériorité de la nouvelle sur le roman (ça rappellera des souvenirs à ceux qui ont fait Lettres modernes) :
« Elle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée, interrompue souvent par le tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L’unité d’impression, la totalité d’effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu’une nouvelle trop courte (c’est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue. L’artiste, s’il est habile, n’accommodera pas ses pensées aux incidents, mais, ayant conçu délibérément, à loisir, un effet à produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres à amener l’effet voulu. Si la première phrase n’est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l’œuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité. »— Notes nouvelles sur Edgar Poe




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