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mercredi 18 décembre 2019

GOLDEN HOLOCAUST, la conspiration des industriels du tabac


SOURCE DE L'IMAGE

Il y a un an, je lis La parole manipulée de Philippe Breton (1998). 
Un paragraphe me surprend : 

La consommation de tabac augmente massivement jusqu’en 1975, période à laquelle elle commence à fléchir. Le rapport de Catherine Hill, Françoise Doyon et Hélène Sancho-Garnier indique que la mortalité observée en 1990 est la conséquence d’habitudes tabagiques prises de vingt à cinquante ans auparavant. Ce qui est le plus difficile à comprendre, c’est l’énorme décalage entre les causes et les conséquence. Quand une génération entre dans le tabagisme, il faut cinquante ans pour qu’elle ait fini de payer les conséquences de ses habitudes. On observe ainsi en 1990 l’impact de la consommation de tabac dans les années 50. Les auteures décrivent ce phénomène comme une épidémie de cancers causés par le tabac, provoquant aujourd’hui 60 000 morts par an en France. La progression de la consommation jusqu’en 1975 et sa poursuite après cette date engendrera ainsi mécaniquement, selon les auteurs, plus de 160 000 morts à partir de 2025. 

Pour tenter de comprendre, j'ai choisi Golden Holocaust, de Robert Proctor, un récit total sur le sujet.





 Historien à Stanford, il a exploité les "tobaccos document",  80 millions de pages que l’industrie du tabac a du fournir aux autorités (en espérant les noyer sous la masse d’informations). 


 Désormais accessible sur https://www.industrydocuments.ucsf.edu/tobacco/, ces pièces du fond d’archives du tabac constituent les plus grandes archives de l’industrie au monde. La plupart de ces documents permettent des recherches en pleins texte, et celles de termes tels que cancer ou nicotine donne accès à des centaines de milliers de pièces. Des termes comme baseball ou sport fournissent, eux aussi, des milliers de réponse. Introduite en 2007, la reconnaissance optique de caractères permet désormais de rechercher des expressions telles que « prière de supprimer » ou ou ou « sujet à éviter », en triant les résultats par dates ou par nombre de pages; on peut limiter sa recherche aux documents d’une compagnie, d’une année ou d’un auteur en particulier, ou à un certain type de pièces (des lettres de consommateurs, par exemple).

Les 700 pages de GH, avec leurs renvois aux sources, se lisent comme un énorme thriller expérimental, on pourrait penser que c’est une uchronie, mais cela a vraiment existé. 
La cigarette a quelque chose d’incroyable, de science-fictionnel: comment un si petit cylindre a pu véhiculer tant de désinformations, de manipulations, tout en créant des milliards de profit et tuant des millions de gens. 

Quand un fumeur ouvre un paquet de cigarette, il peut humer la bonne odeur de tabac blond qui s’en dégage. Sauf que c’est un additif ajouté pour que ça sente bon. Un parfum de synthèse. 

 Si le fumeur peut avaler aussi facilement la fumée, c’est grâce au séchage à chaud: il diminue le Ph du tabac et facilite son inhalation par les poumons dont la surface alvéolaire est aussi grande qu’un terrain de tennis. C’est une révolution majeure dans la manière de fumer. 

Robert Proctor:
 « Le séchage à chaud pourrait avoir été l’invention la plus létale de l’industrie manufacturière. La poudre à canon, les armes nucléaires ou même l’âge de fer pris dans son ensemble ont tué beaucoup moins de monde. L’industrie aurait aisément pu éviter des centaines de millions de décès et la majorité de tous les cancers du poumon, si elle avait par exemple fabriqué une cigarette à la fumée difficile à inhaler. Cette inhalation a été encouragée par des publicité célébrant les plaisirs sensuels de la chose. Dès les années 30, l’inhalation profonde est parée d’une aura de gratification sexuelle, avec des stars rêveuses qui s’en emplissent les poumons et laissent une fumée sensuelle flotter autour de leurs narines et de leurs lèvres. »
Source de l'image, un site génial sur la pub


Quand quelqu'un fume une cigarette, elle ne s’éteint pas d’elle-même car on a ajouté un produit chimique qui agit sur la combustion. Et malheureusement, les milliers de morts par incendies accidentels s’ajoutent aux maladies causées par le tabac. 

Quand un fumeur tire sur sa clope, il voit le filtre s’assombrir progressivement, ce qui donne l’impression que les goudrons sont captés avant l'inhalation. Ce sont des produits chimiques ajoutés à la bourre du filtre qui provoquent cet effet. Les scientifiques de Philip Morris appellent ça "illusion de la filtration"

Pour la petite histoire, cet embout filtre a été inventé par Claude Edward Teague en 1953, chimiste au service de la firme Reynolds. La même année, il est l’auteur pour sa firme d’une étude  demeurée secrète sur les liens entre cancer et tabac. Ensuite, il gravit tous les échelons de sa société...Il comparaîtra devant la justice, la dernière fois en 1997 et se fait passer pour un idiot et un incompétent en minimisant son étude de 1953...

« Les scientifiques employés par Reynolds n’ont jamais été autorisés à publier leurs découvertes ni à en discuter publiquement: ils étaient pourtant fiers d’avoir trouvé du benzopyrène et des nitrosamines dans la fumée de tabac (en 1954), ainsi que du cholanthrène et plusieurs autres hydrocarbures polycycliques. En 1955, Teague a proposé une méthode permettant d’éliminer les substances cancérogènes de la fumée du tabac, non sans admettre que, selon de fortes indications, les hydrocarbures polynucléaires se rangeaient parmi les substances cancérogènes actives. » p.216. 

A  l’époque, les marques de cigarette qui ont introduit le filtre ont pris de l’avance sur toutes les autres. Le filtre est censé convaincre le fumeur qu’il empêche l’inhalation des goudrons. Proctor explique que c’est une arnaque: les vrais filtres efficaces empêchaient les cigarettes de se vendre. Le fumeur veut sa dose de nicotine. 
Après l’escroquerie du filtre, ce sera celle de la ventilation: des trous percés dans le papier de la cigarette pour laisser échapper la fumée. Or, les compagnies savent bien que, consciemment ou inconsciemment, le fumeur va tricher en bouchant les trous. Le fumeur veut sa dose de nicotine. 

En 1953 donc apparaît un consensus scientifique et international : l’augmentation des cancers du poumon et des bronches est causée par le tabac. C’est la panique chez les industriels. Pour contrer cette mauvaise publicité, l’industrie du tabac se réfugie derrière le dogme du "pas encore prouvé", emploie une agence de relation publique très efficace ainsi que de nombreux avocats dont l’auteur dénonce le cynisme. 
Mais surtout, elle finance des études scientifiques sur pleins de sujets variés. La règle c’est de ne pas s’approcher du dangereux sujet qu’est la dépendance à cette drogue dure qu’est la nicotine et le risque cancérogène du goudron inhalé. Des scientifiques sont dévoyés pour porter la bonne parole. Il faudra attendre les années 90 pour que ces organes de désinformation soient démantelés sur ordre de la justice. 

Proctor montre comment l’Université est infiltrée. Il répertorie toutes les manifestations sportives sponsorisées par le tabac. Aucun sport n’y échappe ! 

A la fin de ce passionnant pavé, il donne une liste de ce qui peut être fait, augmenter le Ph des cigarettes,  taxer les machines à fabriquer des cigarettes....Il se livre également à un plaidoyer intéressant et à contre-courant de l’Interdit : feu rouge, feu vert, inceste, meurtre, viol, code, règles et lois: nos sociétés modernes fonctionnent grâce aux interdits.  



Golden Holocaust - La conspiration des industriels du tabac (Français)  – 20 mars 2014    de Robert N. Proctor  (Auteur), Mathias Girel  (Préface), Johan Frédérik Hel Guedj (Traduction)



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