Le Meurtre du Commandeur, livre 1, Une idée apparaît de Haruki Murakami (Belfond) 2018.
Lien: Critique du Livre 2
Le narrateur, peintre-portraitiste de métier, est quitté par sa femme avec qui il est marié depuis 6 ans. Il part sur les routes avant de se voir prêter une grande maison isolée par un ancien condisciple des Beaux-arts. Dans cette vallée entourée de montagnes, il fait la connaissance du mystérieux Menshiki qui lui demande de faire son portrait. Une nuit, les insectes se taisent et une mystérieuse sonnette résonne dans le bois proche de la maison, où il y a un sanctuaire...
Le narrateur nous raconte sa vie récente et partage son quotidien le plus banal, les marques de voitures, sa nourriture, les routes, les trajets, le nom des lieux, la météo. J’ai aimé l’inquiétante étrangeté qui s’immisce dans ce quotidien tissé par la répétition des jours. C'est comme une palpitation sourde. On se sent un peu comme dans un film de David Lynch. Il y a des mystères: une clochette qui sonne dans la nuit, un homme riche et sans âge qui fait une proposition étonnante et semble avoir un dessein caché, l’inquiétant homme à la Subaru blanche, un hibou dans le grenier....
Les physiques des personnages sont souvent décrits avec une précision clinique: la chevelure blanche de Menshiki, l'espacement des yeux d'une femme, la taille de sa poitrine. Le narrateur partage également le sentiment qu’ils lui procurent. Cette façon de percevoir autrui est très importante puisqu’il peint des portraits.
Intimité du rapport à l'art: Murakami nous montre un créateur devant la toile blanche, le processus inconscient, le questionnement qui précède la naissance d'une idée, la forme sur la toile. Le portraitiste s'affranchit de sa technique rodée qui lui assurait ses honoraires pour devenir un artiste qui crée quelque chose de nouveau. Tout comme le commandeur disparaît dans une sorte de tremblement flou les idées peuvent surgir d'une association d'esprit.
Et en même temps, on est saisi d’un doute, ce mystère paraît tellement fugace, l’écriture semble blanche, descriptive plus que suggestive. Mais je n’oublie jamais que c’est traduit du japonais, d’idéogrammes, ce n’est pas le même monde littéraire.
Une villa , des vallées
Ce sont des images qui naissent devant nous: nous voyons un cottage, une vallée avec une montagne. On nous décrit une maison avec le soleil derrière et la pluie sur le devant (ou l’inverse, c’est au début du roman). Un homme raconte qu’il est devenu portraitiste pour des hommes fortunés afin de gagner sa vie. Avant, il peignait des toiles abstraites. Il se demande s’il pourrait le refaire, si le feu sacré ne l’a pas abandonné.
Dès le début du roman, on est frappé par cette facilité de la fiction qui permet de vivre une vie différente. Le peintre a un ami qui lui prête sa maison. Il a des relations intimes avec deux femmes mariées qui viennent aux cours de dessins qu’il donne dans la vallée. Il a suffisamment d’argent de coté grâce à son talent de peintre qui sait mettre quelque chose de vivant dans ses portraits. La fiction se déroule dans un monde idéal où se produit une péripétie : sa femme veut qu’ils se séparent parce qu’elle a fait un rêve...Il quitte leur appartement commun et part sur la route dans sa vieille Peugeot asthmatique.
Le peintre roule vers la mer du Nord, il se souvient de sa rencontre avec cette femme (Yuzu), de sa ressemblance avec sa jeune soeur décédée à 12 ans.
Le narrateur arrive au bout de son errance automobile, sa Peugeot a rendu l’âme et il rentre en train sur Tokyo. Il va rassembler ses affaires dans son ancien appartement. Il se souvient des années paisibles avec son épouse qui travaillait tard dans son cabinet d’architecte. Il sonde le silence dans son ancien appartement. Il se sent observé comme par une caméra.
Le hibou dans la maison vide
Et il accepte la proposition d’habiter une maison vide et isolée en montagne, sans aucune connexion. Son propriétaire, un peintre célèbre, le père de son ami, est un vieil homme qui a perdu la raison.
Le narrateur fait des recherches sur ce peintre. Il s’interroge sur sa conversion artistique au cours des années de guerre au Japon. Il apprend son changement de personnalité, le mauvais souvenir que garde de lui son fils. Un père uniquement préoccupé par son oeuvre.
Dans la maison, il entend des bruits au-dessus de sa tête. Il accède au grenier par une trappe et découvre un hibou endormi. Et un tableau enveloppé et protégé qu’il parvient à descendre.
C’est le Meurtre du Commandeur. Il décrit minutieusement cette oeuvre violente, sanglante, impressionnante, inspirée par le Don Giovanni de Mozart.
Il vit dans cette maison vide et silencieuse selon des rituels immuables. Il voudrait créer, peindre, mais il n’y arrive pas. Il se sent vide.
Une femme mariée vient parfois le rejoindre pour des relations charnelles et ils se donnent du plaisir mutuellement.
De l’autre coté de la vallée, une villa moderne, rectangulaire et blanche attire son attention. Il se demande qui vit là-bas, il pourrait presque saluer son occupant qu’il distingue au loin.
Et puis son agent l’appelle. Un mystérieux client l’a choisi pour qu’il fasse son portrait. C’est ainsi qu’il va rencontrer son voisin de l’autre coté de la vallée.
C’est un homme élégant et sportif aux cheveux blancs qui se nomme Menshiki. En échange d’une somme pharamineuse, il devra réaliser son portrait.
Il essaie de s’informer sur lui. Internet ne donne rien et la « rumeur de la jungle » comme l’appelle sa maîtresse dresse le portrait d’un homme qui protège sa vie privée. Chez lui, il y aurait une pièce fermée à clé où on ne doit pas faire le ménage, où on ne doit pas entrer, comme pour Barbe-bleu...
Le narrateur se souvient de sa petite soeur au coeur défectueux, arythmique, ses seins naissants et sa mort brutale au retour du collège. Son corps enfermé alors qu’il l’aurait voulu allongé dans les herbages. La cendre où on récupère les os avec des baguettes, sa claustrophobie et sa famille qui se délite.
Il commence le portrait de Menshiki qui pose devant lui et avec qui il converse. Il bloque, comme s’il était empêché par un secret chez son modèle.
La clochette dans le sanctuaire
Une nuit, le narrateur se réveille. Le silence l’étonne: les insectes ne font plus de bruit. Un son de clochette se fait entendre quelque part à l’extérieur.
Il prend une torche, descend les sept marches de pierre et se dirige vers le bois d’où provient le son.
« Quand j’entrai dans le bois taillis, les rais de lune furent masqués par les frondaisons denses et touffues au-dessus de ma tête, et soudain tout devint sombre. »
Il y a un sanctuaire protégé par de lourdes pierres d’où semble venir le son de la clochette. Il rentre chez lui, il se verse un whisky et observe la vallée. Chez Menshiki tout est éteint. Il s’endort vers 1h30 alors que les insectes ont repris leur activité et que la sonnette ne résonne plus.
L’épisode se répète la nuit suivante.
Après son travail où Menshiki a pris la pose « comme un expert en pratiques ascétiques », il lui parle de ce phénomène. Intrigué, celui-ci lui propose de venir la nuit pour être sûr que ce n’est pas une hallucination.
Au cours de cette veille, Menshiki lui parle de son goût profond pour la solitude. Il a eu tout de même une liaison autrefois avec une femme, ils ont eu un dernier rapport sexuel passionné, sur le canapé de son bureau avant qu’elle n’épouse un autre homme. « Je ne peux vivre que seul....Elle s’est mariée avec un homme bien plus proche de la normalité que moi.»
Mais il a appris longtemps après qu’une enfant était née neuf mois après leur rupture...La femme est morte piquée par un essaim de guêpes.
La clochette se met à sonner. Le narrateur n’a donc pas rêvé... Menshiki décide de prendre les choses en main et de creuser sous le sanctuaire pour vérifier que personne n’appelle au secours.
Tout est vite décidé. Une pelleteuse et des ouvriers se mettent à creuser tandis que les deux hommes sont à la maison. Menshiki écoute Mozart, le narrateur prépare une sauce tomate avec des oignons, de l’ail.
Sous les grosses pierres, et « sous un crachin imperceptible qui ne nécessite pas de parapluie» ils ne trouvent finalement qu’une clochette. Pas de bonze momifié réveillé d’un long sommeil comme dans un récit dont Menshiki a apporté un exemplaire au narrateur. Un livre où des évènements similaires se produisaient.
La clochette est placée dans l’atelier du peintre.
Son travail sur le portrait prend un nouvel élan. Il réussit à traduire en couleurs ce que lui évoque Menshiki, le vert, un orange.
Il se passe des choses mystérieuses dans l’atelier. Il a l’impression qu’on a déplacé son tabouret pendant une absence de cinq minutes. Il voit alors le visage sur le tableau selon deux angles différents. Il trace des signes à la craie sur le sol pour passer d’une position à l’autre. Menshiki lui semble être deux êtres séparés à rassembler. Et une voix mystérieuse lui chuchote des conseils au point de douter de sa raison...
Entretemps, il a une relation sexuelle par téléphone avec sa maîtresse.
Le lendemain, face à la toile où il manque quelque chose, il se demande pourquoi il n’a pas pensé à la chevelure blanche de Menshiki, toujours impeccablement coiffée et il jette le blanc sur la toile.
Puis il médite devant la peinture terminée, une forme de satisfaction l’envahit mêlée à l’étonnement d’avoir produit quelque chose de nouveau, comme s’il avait débloqué quelque chose en lui.
Le bruit de la Jaguar de Menshiki qui monte chez lui le surprend dans ses pensées et il se souvient de leur discussion au téléphone.
Ils se rendent au sanctuaire et Menshiki lui demande de le laisser enfermé dans le trou de 3 mètres, dans le noir, juste armé de la clochette qui doit lui servir de signal. Si jamais le narrateur l’oubliait ou était dans l’impossibilité de revenir, Menshiki serait condamné dans ce trou où on ne peut pas remonter...
Le narrateur revient vers la maison, se fait du thé, sommeille.
Il revient vers le sanctuaire, appelle Menshiki, s’inquiète et se demande si l’homme n’a pas disparu. Puissance de la fiction qui nous fait nous identifier au narrateur et à nous demander ce qui se passe dans ce puits.
Nombreuses descriptions précises du visage et du regard de Menshiki au fond de la fosse qui semble être passé par de nombreux états d’esprit .
De retour à la villa, le narrateur confie à Menshiki qu’il a terminé son portrait et qu’il doute de sa réaction car le résultat est très subjectif. Menshiki passe de longs moment à observer la toile qui semble révéler une part obscure de lui-même, se déclare enchanté et emporte la peinture pas encore sèche bien arrimée sur le siège avant de sa Jaguar.
Dans ce roman, pas de smartphone ou d’APN qui permette de garder une trace visuelle. A Masashiko fils comme à sa maîtresse, le narrateur ne peut montrer le tableau terminé puisque Menshiki l’a pris avec lui.
La femme mariée, après leur passage au lit et leurs ébats, lui apprend (rumeur de la jungle) que Menshiki a passé plusieurs mois suspecté de fraude financière et a finalement été acquitté malgré la dureté du système d’investigation japonais.
Souvenir du narrateur : sa seule expérience sexuelle après la séparation avec sa femme pendant son périple indéterminé dans la vieille Peugeot rouge. Une jeune fille de 25 ans dont il décrit le physique anonyme s’incruste à la table où il déjeune dans un restauroute. Elle a l’air poursuivie. Il lui fait le portrait d’un homme avec casquette de golf qui vient d’entrer dans le restaurant. Il semble être le propriétaire d’une Subaru blanche.
La jeune fille autoritaire le conduit dans un love hôtel. Elle retire ses vêtements devant lui. Ils font l’amour, elle a quatre orgasmes, il éjacule deux fois.
A son réveil elle a disparu. En allant manger un morceau dans le restoroute de la veille, il revoit l’homme à la Subaru blanche qui lui lance un regard signifiant « je sais ce que tu as fait, où, avec qui »...Ambiance à la Lost Highway.
Un matin, levé tôt, face à une toile vierge, le zen de la toile, il trace une ligne verticale et commence le croqui de l’homme à la Subaru. Il travaille bien.
Masashiko, fils du grand peintre, lui rend visite. Il a rencontré Yuzu, son ex-femme. Il se met devant la toile tout juste commencée et formule son ressenti. Il n’avait pas de talent propre mais avait toujours su juger avec pertinence et sans envie le talent des autres.
Souvenir du narrateur ; il a treize ans, sa soeur en a 10 ils rendent visite à leur oncle, un célibataire très savant qui aime lire et randonner. Il les emmène à une grotte visitée par les touristes au Mont Fuji.
Sa petite soeur, sa petite main chaude dans la sienne, se glisse dans un boyau étroit pour faire comme Alice dont il lui a raconté l’histoire à voix haute des centaines de fois. En revenant après avoir provoqué l’inquiétude de son frère, elle lui décrit une pièce toute ronde dans le noir absolu. Le narrateur est persuadé que la mort est entrée dans sa soeur ce jour-là...
A 1h30 du matin cette nuit-là, il est réveillé par la clochette qui est agitée dans son atelier. Il fait la rencontre avec le Commandeur, une idée qui a choisi de se matérialiser sous cette forme humaine. Le personnage s’exprime dans un curieux langage et tente lui expliquer qui il est...Puis elle s’évanouit progressivement. Le narrateur sombre ensuite dans le sommeil.
Dans la matinée, nouveau face à face avec la « créature » qui commente son travail sur l’homme à la Subaru.
Menshiki l’invite à dîner. Le narrateur lui demande s’il peut venir avec le Commandeur. Menshiki lui dit qu’il préparera une assiette pour lui.
A 18h, ce jour-là, une limousine avec chauffeur vient chercher le narrateur. Le Commandeur qui se matérialise brièvement, lui recommande de l’ignorer quand il y a du monde car il est le seul à le voir...
Après les routes tortueuses pour passer de l’autre coté de la vallée, ils arrivent chez Menshiki dont l’habillement est décrit en détails.
Dîner succulent préparé par un chef et servi par un jeune homme à la beauté parfaite.
Il y a une longue vue sur la terrasse. Menshiki lui confesse alors qu’il tente d’apercevoir Marié, une adolescente de 13 ans qui pourrait être sa fille. On comprend que la maison a été achetée pour la regarder de loin. Il lui demande de faire son portrait et le narrateur réserve sa réponse.
Pendant un cours sur le croquis, le narrateur fait le portrait de Marié devant les autres élèves pour leur montrer. C’est une jeune fille très effacée qui parle peu.
Souvenir du narrateur. La jeune fille de la ville côtière lui avait demandé de la frapper pendant l’amour et de l’étrangler avec le cordon blanc de sa robe de chambre.
Au téléphone, Menshiki lui donne des informations sur Tamaharo et son séjour à Vienne. Un attentat aurait été programmé pendant l’Anschluss, une histoire d’amour et une exfiltration vers le Japon pour ne pas causer de scandale. Le narrateur repousse à deux jours (conseillé par le Commandeur) la décision de réaliser le portrait de Marié.
Une semaine s’écoule pour le narrateur. Il y a maintenant deux tableaux qui le questionnent dans l’atelier. Le meurtre du Commandeur exposé au mur qui lui semble être comme un code à déchiffrer et le tableau de l’homme à la subaru blanche qui doit rester dans un état d’inachèvement. Et retourné contre le mur à cause du malaise qu’il suscite.
Il signe et renvoit les papiers de son divorce. Il se souvient de leurs premiers mois de flirt. Yuzu sortait avec un homme beau et ennuyeux, disant de son goût pour les hommes beaux que c’était une maladie incurable.
Il fait un cauchemar: il est dans la peau de l’homme à la Subaru blanche avec sa casquette de golf, un corps vigoureux habitué à l’exercice physique et il se voit suivre Yuzu et son amant, il l’étrangle en lui disant « tu ne dois plus me peindre ».
Il donne son accord à Menshiki: il veut bien peindre Marié mais c’est une chose qu’il fait pour lui, parce qu’il en a envie, sans compte à rendre et se réservant le droit de ne pas montrer ce qu’il réalise. Menshiki accepte. Il organise la séance de pose avec son efficacité habituelle.
Un dimanche matin à 10h, Marié et sa tante arrivent donc à la maison toute proche de la leur mais qui nécessite des détours, dans une Prius silencieuse. La tante est jeune, belle, bien élevée. Le narrateur compare les deux femmes. Marié reste concentré sur le tableau du Meurtre et fait sonner la clochette. Le narrateur se demande une fois de plus comment il a pu l’entendre de la villa. Après les politesses d’usage, le thé et les petits gâteaux, le narrateur et son modèle vont dans l’atelier tandis que la tante reste lire dans le salon.
L’adolescente se révèle bavarde, s’inquiète de sa poitrine, n’hésite pas à poser des questions indiscrètes au narrateur, discussion très libre entre les deux, ils se font des confidences. Il fait trois croquis de la jeune fille, la base.
Puis elle repart avec sa tante qui dit avoir aimé le moment de quiétude à lire sur le canapé. Après leur départ, le narrateur a le sentiment d’un vide.
Le narrateur fait un compte rendu détaillé à Menshiki au téléphone. Il sent la tension de l’homme à l’autre bout du fil et imagine qu’il va passer une mauvaise nuit.
Yuzu lui a envoyé une carte postale de remerciement avec un ours polaire sur une banquise. Il décide de ne pas lui répondre, trop de choses à raconter...
Lien: Critique du Livre 2
Le narrateur, peintre-portraitiste de métier, est quitté par sa femme avec qui il est marié depuis 6 ans. Il part sur les routes avant de se voir prêter une grande maison isolée par un ancien condisciple des Beaux-arts. Dans cette vallée entourée de montagnes, il fait la connaissance du mystérieux Menshiki qui lui demande de faire son portrait. Une nuit, les insectes se taisent et une mystérieuse sonnette résonne dans le bois proche de la maison, où il y a un sanctuaire...
Le narrateur nous raconte sa vie récente et partage son quotidien le plus banal, les marques de voitures, sa nourriture, les routes, les trajets, le nom des lieux, la météo. J’ai aimé l’inquiétante étrangeté qui s’immisce dans ce quotidien tissé par la répétition des jours. C'est comme une palpitation sourde. On se sent un peu comme dans un film de David Lynch. Il y a des mystères: une clochette qui sonne dans la nuit, un homme riche et sans âge qui fait une proposition étonnante et semble avoir un dessein caché, l’inquiétant homme à la Subaru blanche, un hibou dans le grenier....
Les physiques des personnages sont souvent décrits avec une précision clinique: la chevelure blanche de Menshiki, l'espacement des yeux d'une femme, la taille de sa poitrine. Le narrateur partage également le sentiment qu’ils lui procurent. Cette façon de percevoir autrui est très importante puisqu’il peint des portraits.
Intimité du rapport à l'art: Murakami nous montre un créateur devant la toile blanche, le processus inconscient, le questionnement qui précède la naissance d'une idée, la forme sur la toile. Le portraitiste s'affranchit de sa technique rodée qui lui assurait ses honoraires pour devenir un artiste qui crée quelque chose de nouveau. Tout comme le commandeur disparaît dans une sorte de tremblement flou les idées peuvent surgir d'une association d'esprit.
Et en même temps, on est saisi d’un doute, ce mystère paraît tellement fugace, l’écriture semble blanche, descriptive plus que suggestive. Mais je n’oublie jamais que c’est traduit du japonais, d’idéogrammes, ce n’est pas le même monde littéraire.
- RÉSUMÉ au fil de la lecture, au jour le jour. Ce qui suit révèle l’histoire !
Une villa , des vallées
Ce sont des images qui naissent devant nous: nous voyons un cottage, une vallée avec une montagne. On nous décrit une maison avec le soleil derrière et la pluie sur le devant (ou l’inverse, c’est au début du roman). Un homme raconte qu’il est devenu portraitiste pour des hommes fortunés afin de gagner sa vie. Avant, il peignait des toiles abstraites. Il se demande s’il pourrait le refaire, si le feu sacré ne l’a pas abandonné.
Dès le début du roman, on est frappé par cette facilité de la fiction qui permet de vivre une vie différente. Le peintre a un ami qui lui prête sa maison. Il a des relations intimes avec deux femmes mariées qui viennent aux cours de dessins qu’il donne dans la vallée. Il a suffisamment d’argent de coté grâce à son talent de peintre qui sait mettre quelque chose de vivant dans ses portraits. La fiction se déroule dans un monde idéal où se produit une péripétie : sa femme veut qu’ils se séparent parce qu’elle a fait un rêve...Il quitte leur appartement commun et part sur la route dans sa vieille Peugeot asthmatique.
Le peintre roule vers la mer du Nord, il se souvient de sa rencontre avec cette femme (Yuzu), de sa ressemblance avec sa jeune soeur décédée à 12 ans.
Le narrateur arrive au bout de son errance automobile, sa Peugeot a rendu l’âme et il rentre en train sur Tokyo. Il va rassembler ses affaires dans son ancien appartement. Il se souvient des années paisibles avec son épouse qui travaillait tard dans son cabinet d’architecte. Il sonde le silence dans son ancien appartement. Il se sent observé comme par une caméra.
Le hibou dans la maison vide
Et il accepte la proposition d’habiter une maison vide et isolée en montagne, sans aucune connexion. Son propriétaire, un peintre célèbre, le père de son ami, est un vieil homme qui a perdu la raison.
Le narrateur fait des recherches sur ce peintre. Il s’interroge sur sa conversion artistique au cours des années de guerre au Japon. Il apprend son changement de personnalité, le mauvais souvenir que garde de lui son fils. Un père uniquement préoccupé par son oeuvre.
Dans la maison, il entend des bruits au-dessus de sa tête. Il accède au grenier par une trappe et découvre un hibou endormi. Et un tableau enveloppé et protégé qu’il parvient à descendre.
C’est le Meurtre du Commandeur. Il décrit minutieusement cette oeuvre violente, sanglante, impressionnante, inspirée par le Don Giovanni de Mozart.
Il vit dans cette maison vide et silencieuse selon des rituels immuables. Il voudrait créer, peindre, mais il n’y arrive pas. Il se sent vide.
Une femme mariée vient parfois le rejoindre pour des relations charnelles et ils se donnent du plaisir mutuellement.
De l’autre coté de la vallée, une villa moderne, rectangulaire et blanche attire son attention. Il se demande qui vit là-bas, il pourrait presque saluer son occupant qu’il distingue au loin.
Et puis son agent l’appelle. Un mystérieux client l’a choisi pour qu’il fasse son portrait. C’est ainsi qu’il va rencontrer son voisin de l’autre coté de la vallée.
C’est un homme élégant et sportif aux cheveux blancs qui se nomme Menshiki. En échange d’une somme pharamineuse, il devra réaliser son portrait.
Il essaie de s’informer sur lui. Internet ne donne rien et la « rumeur de la jungle » comme l’appelle sa maîtresse dresse le portrait d’un homme qui protège sa vie privée. Chez lui, il y aurait une pièce fermée à clé où on ne doit pas faire le ménage, où on ne doit pas entrer, comme pour Barbe-bleu...
Le narrateur se souvient de sa petite soeur au coeur défectueux, arythmique, ses seins naissants et sa mort brutale au retour du collège. Son corps enfermé alors qu’il l’aurait voulu allongé dans les herbages. La cendre où on récupère les os avec des baguettes, sa claustrophobie et sa famille qui se délite.
Il commence le portrait de Menshiki qui pose devant lui et avec qui il converse. Il bloque, comme s’il était empêché par un secret chez son modèle.
La clochette dans le sanctuaire
Une nuit, le narrateur se réveille. Le silence l’étonne: les insectes ne font plus de bruit. Un son de clochette se fait entendre quelque part à l’extérieur.
Il prend une torche, descend les sept marches de pierre et se dirige vers le bois d’où provient le son.
« Quand j’entrai dans le bois taillis, les rais de lune furent masqués par les frondaisons denses et touffues au-dessus de ma tête, et soudain tout devint sombre. »
Il y a un sanctuaire protégé par de lourdes pierres d’où semble venir le son de la clochette. Il rentre chez lui, il se verse un whisky et observe la vallée. Chez Menshiki tout est éteint. Il s’endort vers 1h30 alors que les insectes ont repris leur activité et que la sonnette ne résonne plus.
L’épisode se répète la nuit suivante.
Après son travail où Menshiki a pris la pose « comme un expert en pratiques ascétiques », il lui parle de ce phénomène. Intrigué, celui-ci lui propose de venir la nuit pour être sûr que ce n’est pas une hallucination.
Au cours de cette veille, Menshiki lui parle de son goût profond pour la solitude. Il a eu tout de même une liaison autrefois avec une femme, ils ont eu un dernier rapport sexuel passionné, sur le canapé de son bureau avant qu’elle n’épouse un autre homme. « Je ne peux vivre que seul....Elle s’est mariée avec un homme bien plus proche de la normalité que moi.»
Mais il a appris longtemps après qu’une enfant était née neuf mois après leur rupture...La femme est morte piquée par un essaim de guêpes.
La clochette se met à sonner. Le narrateur n’a donc pas rêvé... Menshiki décide de prendre les choses en main et de creuser sous le sanctuaire pour vérifier que personne n’appelle au secours.
Tout est vite décidé. Une pelleteuse et des ouvriers se mettent à creuser tandis que les deux hommes sont à la maison. Menshiki écoute Mozart, le narrateur prépare une sauce tomate avec des oignons, de l’ail.
Sous les grosses pierres, et « sous un crachin imperceptible qui ne nécessite pas de parapluie» ils ne trouvent finalement qu’une clochette. Pas de bonze momifié réveillé d’un long sommeil comme dans un récit dont Menshiki a apporté un exemplaire au narrateur. Un livre où des évènements similaires se produisaient.
La clochette est placée dans l’atelier du peintre.
Son travail sur le portrait prend un nouvel élan. Il réussit à traduire en couleurs ce que lui évoque Menshiki, le vert, un orange.
Il se passe des choses mystérieuses dans l’atelier. Il a l’impression qu’on a déplacé son tabouret pendant une absence de cinq minutes. Il voit alors le visage sur le tableau selon deux angles différents. Il trace des signes à la craie sur le sol pour passer d’une position à l’autre. Menshiki lui semble être deux êtres séparés à rassembler. Et une voix mystérieuse lui chuchote des conseils au point de douter de sa raison...
Entretemps, il a une relation sexuelle par téléphone avec sa maîtresse.
Le lendemain, face à la toile où il manque quelque chose, il se demande pourquoi il n’a pas pensé à la chevelure blanche de Menshiki, toujours impeccablement coiffée et il jette le blanc sur la toile.
Puis il médite devant la peinture terminée, une forme de satisfaction l’envahit mêlée à l’étonnement d’avoir produit quelque chose de nouveau, comme s’il avait débloqué quelque chose en lui.
Le bruit de la Jaguar de Menshiki qui monte chez lui le surprend dans ses pensées et il se souvient de leur discussion au téléphone.
Ils se rendent au sanctuaire et Menshiki lui demande de le laisser enfermé dans le trou de 3 mètres, dans le noir, juste armé de la clochette qui doit lui servir de signal. Si jamais le narrateur l’oubliait ou était dans l’impossibilité de revenir, Menshiki serait condamné dans ce trou où on ne peut pas remonter...
Le narrateur revient vers la maison, se fait du thé, sommeille.
Il revient vers le sanctuaire, appelle Menshiki, s’inquiète et se demande si l’homme n’a pas disparu. Puissance de la fiction qui nous fait nous identifier au narrateur et à nous demander ce qui se passe dans ce puits.
Nombreuses descriptions précises du visage et du regard de Menshiki au fond de la fosse qui semble être passé par de nombreux états d’esprit .
De retour à la villa, le narrateur confie à Menshiki qu’il a terminé son portrait et qu’il doute de sa réaction car le résultat est très subjectif. Menshiki passe de longs moment à observer la toile qui semble révéler une part obscure de lui-même, se déclare enchanté et emporte la peinture pas encore sèche bien arrimée sur le siège avant de sa Jaguar.
Dans ce roman, pas de smartphone ou d’APN qui permette de garder une trace visuelle. A Masashiko fils comme à sa maîtresse, le narrateur ne peut montrer le tableau terminé puisque Menshiki l’a pris avec lui.
La femme mariée, après leur passage au lit et leurs ébats, lui apprend (rumeur de la jungle) que Menshiki a passé plusieurs mois suspecté de fraude financière et a finalement été acquitté malgré la dureté du système d’investigation japonais.
Souvenir du narrateur : sa seule expérience sexuelle après la séparation avec sa femme pendant son périple indéterminé dans la vieille Peugeot rouge. Une jeune fille de 25 ans dont il décrit le physique anonyme s’incruste à la table où il déjeune dans un restauroute. Elle a l’air poursuivie. Il lui fait le portrait d’un homme avec casquette de golf qui vient d’entrer dans le restaurant. Il semble être le propriétaire d’une Subaru blanche.
La jeune fille autoritaire le conduit dans un love hôtel. Elle retire ses vêtements devant lui. Ils font l’amour, elle a quatre orgasmes, il éjacule deux fois.
A son réveil elle a disparu. En allant manger un morceau dans le restoroute de la veille, il revoit l’homme à la Subaru blanche qui lui lance un regard signifiant « je sais ce que tu as fait, où, avec qui »...Ambiance à la Lost Highway.
Un matin, levé tôt, face à une toile vierge, le zen de la toile, il trace une ligne verticale et commence le croqui de l’homme à la Subaru. Il travaille bien.
Masashiko, fils du grand peintre, lui rend visite. Il a rencontré Yuzu, son ex-femme. Il se met devant la toile tout juste commencée et formule son ressenti. Il n’avait pas de talent propre mais avait toujours su juger avec pertinence et sans envie le talent des autres.
Souvenir du narrateur ; il a treize ans, sa soeur en a 10 ils rendent visite à leur oncle, un célibataire très savant qui aime lire et randonner. Il les emmène à une grotte visitée par les touristes au Mont Fuji.
Sa petite soeur, sa petite main chaude dans la sienne, se glisse dans un boyau étroit pour faire comme Alice dont il lui a raconté l’histoire à voix haute des centaines de fois. En revenant après avoir provoqué l’inquiétude de son frère, elle lui décrit une pièce toute ronde dans le noir absolu. Le narrateur est persuadé que la mort est entrée dans sa soeur ce jour-là...
A 1h30 du matin cette nuit-là, il est réveillé par la clochette qui est agitée dans son atelier. Il fait la rencontre avec le Commandeur, une idée qui a choisi de se matérialiser sous cette forme humaine. Le personnage s’exprime dans un curieux langage et tente lui expliquer qui il est...Puis elle s’évanouit progressivement. Le narrateur sombre ensuite dans le sommeil.
Dans la matinée, nouveau face à face avec la « créature » qui commente son travail sur l’homme à la Subaru.
Menshiki l’invite à dîner. Le narrateur lui demande s’il peut venir avec le Commandeur. Menshiki lui dit qu’il préparera une assiette pour lui.
A 18h, ce jour-là, une limousine avec chauffeur vient chercher le narrateur. Le Commandeur qui se matérialise brièvement, lui recommande de l’ignorer quand il y a du monde car il est le seul à le voir...
Après les routes tortueuses pour passer de l’autre coté de la vallée, ils arrivent chez Menshiki dont l’habillement est décrit en détails.
Dîner succulent préparé par un chef et servi par un jeune homme à la beauté parfaite.
Il y a une longue vue sur la terrasse. Menshiki lui confesse alors qu’il tente d’apercevoir Marié, une adolescente de 13 ans qui pourrait être sa fille. On comprend que la maison a été achetée pour la regarder de loin. Il lui demande de faire son portrait et le narrateur réserve sa réponse.
Pendant un cours sur le croquis, le narrateur fait le portrait de Marié devant les autres élèves pour leur montrer. C’est une jeune fille très effacée qui parle peu.
Souvenir du narrateur. La jeune fille de la ville côtière lui avait demandé de la frapper pendant l’amour et de l’étrangler avec le cordon blanc de sa robe de chambre.
Au téléphone, Menshiki lui donne des informations sur Tamaharo et son séjour à Vienne. Un attentat aurait été programmé pendant l’Anschluss, une histoire d’amour et une exfiltration vers le Japon pour ne pas causer de scandale. Le narrateur repousse à deux jours (conseillé par le Commandeur) la décision de réaliser le portrait de Marié.
Une semaine s’écoule pour le narrateur. Il y a maintenant deux tableaux qui le questionnent dans l’atelier. Le meurtre du Commandeur exposé au mur qui lui semble être comme un code à déchiffrer et le tableau de l’homme à la subaru blanche qui doit rester dans un état d’inachèvement. Et retourné contre le mur à cause du malaise qu’il suscite.
Il signe et renvoit les papiers de son divorce. Il se souvient de leurs premiers mois de flirt. Yuzu sortait avec un homme beau et ennuyeux, disant de son goût pour les hommes beaux que c’était une maladie incurable.
Il fait un cauchemar: il est dans la peau de l’homme à la Subaru blanche avec sa casquette de golf, un corps vigoureux habitué à l’exercice physique et il se voit suivre Yuzu et son amant, il l’étrangle en lui disant « tu ne dois plus me peindre ».
Il donne son accord à Menshiki: il veut bien peindre Marié mais c’est une chose qu’il fait pour lui, parce qu’il en a envie, sans compte à rendre et se réservant le droit de ne pas montrer ce qu’il réalise. Menshiki accepte. Il organise la séance de pose avec son efficacité habituelle.
Un dimanche matin à 10h, Marié et sa tante arrivent donc à la maison toute proche de la leur mais qui nécessite des détours, dans une Prius silencieuse. La tante est jeune, belle, bien élevée. Le narrateur compare les deux femmes. Marié reste concentré sur le tableau du Meurtre et fait sonner la clochette. Le narrateur se demande une fois de plus comment il a pu l’entendre de la villa. Après les politesses d’usage, le thé et les petits gâteaux, le narrateur et son modèle vont dans l’atelier tandis que la tante reste lire dans le salon.
L’adolescente se révèle bavarde, s’inquiète de sa poitrine, n’hésite pas à poser des questions indiscrètes au narrateur, discussion très libre entre les deux, ils se font des confidences. Il fait trois croquis de la jeune fille, la base.
Puis elle repart avec sa tante qui dit avoir aimé le moment de quiétude à lire sur le canapé. Après leur départ, le narrateur a le sentiment d’un vide.
Le narrateur fait un compte rendu détaillé à Menshiki au téléphone. Il sent la tension de l’homme à l’autre bout du fil et imagine qu’il va passer une mauvaise nuit.
Yuzu lui a envoyé une carte postale de remerciement avec un ours polaire sur une banquise. Il décide de ne pas lui répondre, trop de choses à raconter...
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