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dimanche 23 août 2015

Chasselas, cocaïne et mondialisation par DOA

DOA Le serpent aux mille coupures (Série Noire) 2009


C’est le troisième roman de cet auteur que je lis en deux mois. Une valeur sûre. Vidéo de l'auteur parlant très bien de son livre. 

Une nuit, un paysan de Moissac, Baptiste Latapie est en train de saboter avec une tenaille les palissages d’un vigneron concurrent. Son tort ? C’est un noir qui s’est marié avec la fille d’un propriétaire et que les paysans du coin aimeraient faire déguerpir . Le saboteur est interrompu par l’arrivée d’une voiture.
Changement de point de vue: dans le véhicule, des mafieux colombiens venus traiter des affaires avec des collègues italiens....
Par un hasard incroyable, le sbire et chauffeur des mafieux tombe sur un accidenté de la route, moto renversée dans un fossé. On ne veut pas de témoin: pas de quartier pour le blessé. Sauf que le blessé n’est pas monsieur tout le monde...
Pendant ce temps-là, sur les routes de la région, les gendarmes patrouillent à la recherche d’un fugitif. On le comprend à la fin du roman, on est juste après Citoyens clandestins. Le lecteur trouvait bien une certaine ressemblance à un personnage...

Ensuite, nous aurons droit à une prise d’otage dans une ferme isolée et à la confrontation entre le preneur d’otage, un homme blessé, un professionnel dur et en fuite, et la petite famille, la femme, le fermier, la petite fille et le chien...
Un tueur sans pitié commandité par la mafia (le fameux serpent) arrive pour nettoyer le merdier, il va mettre les polices françaises et espagnoles sur les dents et faire des dégâts dans la paysannerie locale ...

Encore un bon roman de DOA après Citoyen clandestin. J’ai retrouvé la sobre efficacité des Manchette comme par exemple La position du tireur couché avec en plus son talent pour nous faire vivre plusieurs points de vue avant de joindre les fils narratifs à la fin. 
150 pages qui se lisent en un éclair. 

vendredi 21 août 2015

Joseph Bialot Rue du chat crevé

Joseph Bialot  Rue du chat crevé ( Série noire) 1983


Aussitôt commencé, aussitôt fini. On est emporté dans le monde dingo et imagé de Joseph Bialot. 
Ça commence par un accident de la route, une gamine renversée. 
« Dans la rue adjacente, une Dauphine hors d’âge émergea, vira à gauche, brutalement, trop brutalement. »
Ça continue avec un homme qui écrit le mot chômeur sur une étoile jaune avant de péter un cable et devenir un forcené qui tire sur les objets électroniques et les télés en particulier. 
« Le tueur, l’oeil vague, reprenait.
- Je me suis demandé à quoi ça rimait. Et ça ne rimait qu’à la télé, à ce miroir imbécile qui te vante le meilleur produit du monde pour nettoyer tes chiottes. Juste lorsque tu te mets à table. Ce miroir implacable qui te renvoie l’image du monde, ton image, le même monde débile que le tien. Six milliards de connards qui se lèvent tous les jours, qui bossent, bouffent, chôment, baisent, tuent, se branlent, se font tuer pour rien, pour le vide, la vidéo. Voilà. »
Pour payer un flacon de parfum au muguet à leur copine accidentée, une bande d’enfant cherche un stratagème pour obtenir de l’argent. Nino le rêveur va fourbir un plan aux petits oignons pour faire un hold up dans une gare...Il faudra le faire un lundi car « on vote dimanche, donc pas d’école lundi matin puisqu’on désinfecte toujours après les élections. »
Espérons qu’il ait plus de chance que son grand frère, le type même de ce que les flics appellent un petit casseur. Il est rencardé et fournit un faussaire et recéleur, le légendaire Kili des Puces. Et on n’oubliera pas Max et son tueur, le pitbull Rosko.
 Joseph Bialot Rue du chat crevé, ça sonnait bien et j’ai passé deux heures emporté dans la trombe d'un monde coloré où des enfants jouent aux adultes en mettant des masques de carnaval, kidnappent des chiens, où les pit-bull tuent sans pitié dobermans, berger allemand et vieil homme, et où une gamine n'aura jamais son flacon de parfum. A la fin, il ne reste qu'un conte cruel. Une belle découverte. Pour comparer, un Pennac en plus cruel et plus rapide. 

Exemple du style: 
« Louis-Ferdinand Cotencin, artiste lyrique en retraite, remontait la rue du Poteau, voie parisienne qui étire ses volutes pavées entre Montmartre et Clignancourt.Il traînait, sur des roulettes, le cabas noir des jours de marché et trottinait à petits pas rapides. Sa main gauche tirait, freinait ou suivait les mouvements de « Fourcy », son Scottish Australien à la fourrure noire. Une de ces bêtes ignobles que les hommes appellent chien et qui tiennent plus sûrement de la moquette à poils raides montée sur pattes. Un croisement raté par la nature entre une chienne, un hérisson et une brosse en chiendent ; un animal pervers qui mordait en douce, pissait dans les ascenseurs, polluait les trottoirs.Cotencin se moquait du qu’en-dira-t-on, adorait son chien. » p.83


Extrait de: Joseph Bialot. « Rue du Chat Crevé. » 

dimanche 16 août 2015

Sans espoir de retour

Robin Cook   On ne meurt que deux fois ( He died with his eyes open) Série noire, traduit de l’anglais par Jean-Bernard Piat. 

Le narrateur, un sergent de police du service des décès non éclaircis, arrive sur une scène de crime. Nous ne saurons pas le nom de cet homme, nous connaîtrons juste son éthique professionnelle qui le fait rester à un poste ingrat dans la police anglaise, pour rendre justice aux anonymes. 
« Nous travaillons sur la mort obcure, sans importance et apparemment sans mobile de gens qui ne comptent pas et n’ont jamais compté. »
Charles Staniland a été massacré. 
« Comment un alcoolique de cet âge-là finit-il sa carrière dans un terrain vague, dans le même état que s’il avait été déchiqueté par un obus ? »

Le sergent-narrateur s’immerge dans la vie du mort, il lit ses écrits, et écoute des cassettes audio où il raconte sa descente aux enfers, entre désespoir et lucidité. Le sergent passe de témoin en témoin, de bar en appartements sinistrés. Il y a ceux qui méprisaient Staniland et ceux qui l’ont bien aimé (un ex-collègue de la BBC et son ex-femme). Il sait qu’il touche au but quand il retrouve la femme fatale, la dernière amante de Staniland. Pour savoir la vérité, le sergent va devoir aller loin, trop loin ...?


« Les gens comme ça sont semblables aux infirmières. On trouve normal qu’ils passent inaperçus sans être récompensés.  »

Le fil ténu des souvenirs

Nathalie Sarraute  ENFANCE  (Gallimard, 1985)

Une enfance qui ressurgit avec ses figures. Les parents séparés. Le père, tout d’abord, exilé russe, dont on nous dit qu’il essaie de reconstituer son usine de produits chimiques. La mère qui vit en Russie avec le gentil Kolia.
Mais Nathalie, vers 8 ans, est accueillie plus longtemps chez son père et Véra, sa nouvelle compagne, qui met au monde Lili. 
Si son père l’entoure d’une affection jamais démentie, on ne saura jamais quel degré d’affection lui porte sa belle-mère qui n’a que quinze ans de plus qu’elle. Elle lui posera la question, à brûle-pourpoint: est-ce-que tu me détestes ?
Le troisième personnage, le plus important, c’est l’école de la République, l’école laïque française. L’école devient le hâvre protecteur pour cette enfant aux excellentes notes, ballotée entre ses parents, obligée faire des choix d’adulte. Elle vit là-bas un moment de perfection au cours d’une simple récitation. L’école est « un monde aux confins tracés avec une grande précision, un monde solide, partout visible, juste à ma mesure. ». Elle éprouve précisément le sentiment que l’enseignement primaire cherche à donner. 


Ce court livre est écrit sous forme de dialogue intérieur, un ping pong verbal, une auto-psychanalyse où les souvenirs enfuis, enfouis, se raniment à la lueur du présent, mais sont vacillant car on ne connaît pas leur degré de véracité, à quel point ils sont reconstruits. Un fil minuscule les unit et ils émergent en ribambelle de la brume du passé. 

Un pèlerin de Compostelle

Jean-Christophe Rufin   Immortelle randonnée   (Gallimard) 2014



Quand il a fait la randonnée-pèlerinage de St Jacques de Compostelle en passant par le chemin du nord (800 km), Jean-Christophe Rufin n’a pris aucune note. Il voulait juste vivre l’expérience sans intention d’en faire un livre. Il juge son expérience avec du recul. 
C’est d’abord une expérience de marcheur, un défi sportif, une purge intellectuelle et un moyen de se détacher des oripeaux sociaux (ambassadeur, académicien). Nul ne fait plus attention à lui. 
Il y a la période d’acclimatation d’une semaine puis le pèlerin, bien calé dans sa crasse, dans sa fatigue latente, se transforme peu à peu. Cet enseignement de la frugalité, cette paix qui augmente au fur-et-à-mesure de la marche ressemble davantage pour lui à un pèlerinage bouddhiste que chrétien. 
On a du plaisir à pérégriner avec l’auteur, il nous reste une impression générale servi par la prose classique, quelques portraits, les haltes, le fait que le pèlerin est de toute façon seul jusqu’au bout, son dénuement et sa faiblesse contre le monde moderne. Mais il y a parfois un abus de grandes phrases, de sentences sur l’existence un peu creuses qui paraissent être des subterfuges pour remplir le livre. 


Au fond, ce que Rufin semble chercher, c’est la preuve que la marche, geste simple, le dénuement, la pauvreté sont des formes de résistance à l’aliénation du monde moderne. J’ai aimé les détails concrets du randonneur : le plaisir de bivouaquer pour éviter le plus possible les dortoirs communs, l’intérêt  pour la MUL (marche ultra légère).

Les tribulations d’une chamane à Paris

Corine Sombrun   Les tribulations d’une chamane à Paris 

Corine Sombrun, de retour de Mongolie où elle suit un enseignement de chamane, est rentrée dans son appartement parisien. Elle est toujours hantée par la mort de l’homme de sa vie dont elle disperse les cendres dans le vent. Plus loin dans le livre, on apprend quel goût ont les cendres d’un mort...Ça craque sous la dent, à cause des os...
Elle retrouve ses amis, intrigués par ce don qui est tombée sur elle et qu’elle semble avoir été obligée de développer. Elle accepte de faire des cérémonies, ce qui signifie entrer en transe en jouant du tambour, son moyen d’atteindre un EMC, un état modifié de conscience, devenir son animal totem, celui qu’elle voit dans ses visions: le loup. Accepter de perdre le contrôle dans le décor ordinaire de l’occidental rationnel, loin des steppes et des yourtes.  
En parallèle, elle rencontre régulièrement Anne, une ethnopsychiatre qui l’aide à faire le point sur les sensations nouvelles qui émergent en elle, elle peut par exemple sentir si quelqu’un est malade...Et, plus tard, en Mongolie, elle réussira à guérir une jeune femme qui n’avait plus ses règles. Mais elle ne fait pas de miracle: elle peut guérir de la peur de la mort, pas de la mort elle-même. 
Ce témoignage est intéressant car tout est décrit avec simplicité, sans effets littéraires. Elle parle d’elle avec ses doutes, ce poids d’être quelqu’un de non-ordinaire, avec ses envies de mademoiselle tout le monde. Elle se raconte d’une manière très prosaïque alors qu’elle touche au surnaturel. 

La vie de tous les jours a repris ses droits, elle tombe amoureuse, elle pratique un rituel interdit sur l’insistance d’une amie et réfléchit aux conséquences...Ecrit en 2007, on est curieux d’en savoir plus sur son parcours de chamane. 

Un monde qui change: avant l'orage, de Jim Thompson

Jim Thompson   Avant l’orage  (1946)



Ce roman de 1946 est la chronique de la famille Fargo du Nebraska. Je ne sais pas si les frères Coen l’ont lu mais l’ambiance et les personnages, l’humour dans un monde dur, a pu les inspirer. 

Edie Fargo et son garçonnet Robert arrivent à Verdon par le train . Edie n’a plus de nouvelles de son mari et elle est contrainte de rentrer dans sa famille. Elle devra trouver un travail chez des immigrés allemands qui ont leur propres écoles et leurs exploitations dans la région.

Chapitre après chapitre, nous faisons connaissance avec chacun des membres de la famille. Lincoln Fargo est le patriarche, un dur revenu de tout qui a roulé sa bosse avant de venir s’échouer dans le Nebraska. Il s’exprime encore avec un franc parler choquant, semble se moquer de tout et considère la vie comme un cadeau qu’on vous reprend lentement. Il ne cache pas son mépris pour son plus jeune fils Grant, une sorte de dandy qui boit plus que de raison et couche en secret avec sa cousine, la belle Bella, fille unique du banquier de la ville, qui rêve de sortir de ce coin pourri. 
L’autre fils de Lincoln, Sherman, un fermier qui trime dur, se fait rouler par un représentant qui lui vend des machines agricoles. Il est marié à Joséphine, hydropisique, père d’une famille nombreuse, dont les terribles Gus et Ted, qu’on verra grandir et s’en aller loin de leur coin de cambrousse. Mais que peut-il arriver de bon à deux gars comme eux, incapable de rentrer dans le moule ?
Tout une galerie de personnages se déploie comme une frise. Les scènes s’enchaînent en nous les présentant, avec leur naïveté et leur barbarie ( des garnements fouettés jusqu’au handicap par un homme qui ne sait pas encore qu’il est malade) le burlesque (des gamins qui remplacent le lait par de l’eau, des amorces dans un cendrier). La farce est toujours diluée de cruauté (un gamin qui joue un « tour pendable » c’est le moins qu’on puisse dire), l’humour est teinté  de corruption, on regarde vivre ces personnages aux lâchetés très humaines pour lesquelles Thompson a une grande tendresse. Le drame couve sans cesse et on ne sait jamais quand il va éclater...
On fait une recherche sur le mot « siphyllis », maladie qui affecte la personnalité d’un des personnages. 
On voit un monde qui change: un personnage s’étonne d’un magasin moderne où on se sert tout seul et on paie comptant. Un autre ne trouve pas vraiment sain cette manie moderne de construire des wc à l’intérieur des maisons. Un troisième ne comprend pas que la salle de bain soit dans sa chambre d’hôtel et s’attend à devoir la partager.
Un immigré allemand plein de sagesse parle de son plan de rotation des cultures qui s’étale sur 160 ans au représentant de la compagnie des machines agricoles:

« Deutsch secoua la tête et détourna les yeux, semblant se concentrer sur un vol de corbeaux qui planaient au-dessus d’une meule lointaine. Il pensait que les villes, encore plus que les campagnes, avaient sans doute besoin de voir loin. Elles devraient regarder vers les prochaines quarante, quatre-vingts, cent soixante années, et y voir soit une population ressemblant à une robuste et saine plaine – ou à un désert aride, sous-alimenté, affaibli et épuisé. »

Un député se sort d’une situation complexe en encourageant la construction de routes :

«  Il expliqua aux autres : Un camion, c’est à peu près comme une automobile, sauf que ça peut traîner plus de charge et que ça a un plateau dessus – n’importe quel genre de plateau. J’en ai vu des tas à Grand Island et à Omaha, là où ils ont les routes qu’il faut pour les faire rouler. »


Un grand roman à la simplicité trompeuse avec des scènes d’anthologie.