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lundi 23 décembre 2019

Fredric Brown La fille de nulle-part



Éditeur : PAYOT ET RIVAGES (03/09/2008)

Quelle fin ironique qui met le sourire aux lèvres !
Bon, je le savais, j’étais venu sur Babelio pour savoir si je me plongeais dans ce livre un peu chiffonné trouvé dans une boîte à livres. 
J’ai lu tout le roman en me demandant quelle surprise allait se produire. Et c’est délicieusement agréable de se faire avoir.

Georges Weaver vient d’arriver à Taos pour se reposer, peut-être peindre, selon les conseils de son docteur. Il sort de clinique de repos après un burn out. 
Luke Ashley, un journaliste indépendant, lui parle du meurtre de Jenny Ames il y a 8 ans dans une maison isolée. 
Weaver peut louer la maison perdue en plein désert pour presque rien .  

Nous voyons petit à petit monter son obsession pour le meurtre, bien influencé par Ashley qui voudrait qu’il écrive un article. Il interroge Pépé Sanchez, 10 ans à l’époque, l’unique témoin oculaire du meurtre: il a vu Jenny Ames s’enfuir de la maison...Ensuite, le shérif de l’époque ne fait pas son travail, le corps ne sera retrouvé qu’après le départ du locataire  de la maison, Charles Nelson. 

Weaver va consulter les journaux de l’époque et fait la connaissance du localier Callahan avec qui il boit quelques verres. 
Les jours s’écoulent. Weaver boit trop. Il le sait. Il se le dit à lui-même car nous voyons tout selon son point de vue. 
Il pense à sa vie d’avant: agent immobilier, obsédé par l’idée de gagner beaucoup d’argent, il travaillait trop. Il pense à sa femme, Vi, décrite comme une mégère. Il regrette de s’être marié avec elle. Elle passe ses journées à écouter sa radio insupportable tout en lisant des romans photo et suçotant des bonbons qui lui ont fait prendre 18 kilos. Ils ont deux petites filles. 

Dans les 100 premières pages, nous arrivons à nous intéresser au quotidien morne d’un loser déprimé qui essaie de faire un peu d’aquarelle. Car il y a cette histoire parallèle de meurtre commis par un homme solitaire qui a attiré une jeune femme chez lui. Malgré le peu d’indices laissés, à force d’entrer en obsession, de rencontrer les personnes mêlées de près ou de loin, , Weaver finit déterrer des bribes de vérité. 

Des tableaux aux paysages tourmentés retrouvés dans une remise. 
Un mot sur une lettre qui tombe en miette, un nom de ville, Barton...

Même si j’ai trouvé le style un peu plat, je suis content d’avoir lu La fille de nulle-part. Je vois deux niveaux de lecture : le roman policier de gare où un alcoolique sur la mauvaise pente finit par trouver Une vérité, et puis la belle surprise technique de la fin ou d’autres vérités émergent. C’est peut-être le chef d’oeuvre de Fredric Brown comme je le lis un peu partout, mais on peut aussi imaginer ce que Thompson ou Westlake aurait fait de cette histoire...

samedi 21 décembre 2019

Nous sommes tous des vendeurs


Daniel Pink Convainquez qui vous voudrez


 L’étonnante vérité sur notre capacité d’influence. 

( To Sell is Human: The Surprising Truth About Moving Others. )

Un bouquin qui motive !
En analysant son emploi du temps des semaines précédentes, Daniel Pink réalise qu’il passe 60% de son temps à vendre quelque chose, ou bouger les autres, qu’il s’agisse de réserver un billet d’avion coté hublot ou convaincre son fils de 9 ans de prendre une douche après le sport. 

Il lance alors un sondage sur un échantillon représentatif de personnes en posant plusieurs questions. Notamment celle-ci:
 “Quel pourcentage de votre travail consiste-t-il à convaincre ou persuader des gens de renoncer à quelque chose qui a de la valeur pour eux en échange de quelque chose que vous avez ?"

Au sens large, ça pourrait être un médecin qui essaie de faire renoncer un patient à la malbouffe en échange d’un meilleur comportement consistant à manger plus de légumes.

Daniel Pink arrive à cette conclusion: les gens passent leur temps à vendre. Exemple, en ce moment, moi qui tape ce résumé du livre pour un billet de blog. Je vends ma lecture pour essayer de vous convaincre que ce livre est génial et mérite d’être lu. 

« C’est aussi ce que fait un bon professeur d’algèbre. En début d’année scolaire, les élèves ignorent presque tout du sujet. Mais l’enseignant s’efforce de les convaincre de renoncer à des ressources - temps, attention, efforts - et s’ils le font, ils s’en trouveront mieux à la fin de l’année qu’au début. »

Avec l’essor du web, les dix ans qui viennent de s’écouler ont plus changé le monde de la vente que les soixante années précédentes. On est passé du modèle du petit représentant de commerce, le commis voyageur, à la vente possible pour tous (Leboncoin, Etsy...).

 La relation entre le client et le vendeur n’est plus asymétrique : désormais le client a pu collecter des renseignements, des avis sur les sites, les forums. Le vendeur n’est plus ce spécialiste qui domine le client. 

Pink montre un concessionnaire de voitures qui a compris cela, pas de marchandage, des commissions transparentes, des clients informés. 
« L’écran d’ordinateur n’est placé en face d’aucune des parties mais sur le coté, de sorte qu’acheteur et vendeur peuvent le regarder ensemble. C’est l’image littérale de la symétrie de l’information. »

Daniel Pink dresse le portrait de Norman Hall, 75 ans, le dernier vendeur de brosse de la célèbre (aux USA) firme Fuller Brush. Ces vendeurs étaient des icônes dans les années 50 au point d’en faire des personnages de film. C’est un style de vente anachronique mais ce qui l’intéresse, ce sont les qualités humaines de Norman. Il note son coté ambiverti, ni trop extraverti, ni introverti. Et surtout, Norman lui explique que son métier consiste à ne pas sombrer dans un océan de refus plus ou moins polis, à continuer encore et encore. La positivité de Norman correspond aux études de sciences sociales. Pour être optimale, elle doit être plus forte que le pessimisme, d’une valeur de 3 contre 1; un peu de pessimisme permet d’être réaliste. 

Dans la deuxième partie du livre, Comment être, il dresse la liste de tout ce qui marche le mieux pour bouger les autres. Il se base sur des études de psychologie sociale dont il donne les références. 

Dans le chapitre Accordage, il écrit qu’imiter est ce qui marche le mieux. Il donne en exemple le fauteuil vide dans les réunions de Jeff Bezos, qui symbolise le client. Il faut imaginer ce que l’autre partie pense plutôt que ce qu’elle ressent. 

Il montre également que le soliloque interrogatif est plus efficace que l’auto affirmation destinées à se motiver artificiellement. 
« Les gens qui avaient écrit Veux-je ont résolu plus de deux fois plus d’anagrammes que ceux qui avaient écrit Je veux, Veux ou Je. La même tendance de base a été constatée lors d’expériences ultérieures. Ceux qui abordent une  tâche par un soliloque de questionnement réussissent mieux que ceux qui roulent des mécaniques. »
 La forme interrogative appelle en soi des réponses qui peuvent engendrer des stratégies. 

Plus loin, toujours en vulgarisant des études de psychologie, il montre que la créativité vient des gens qui trouvent des problèmes plutôt que de ceux qui solutionnent les problèmes. L’aptitude à formuler des hypothèses est déterminante. Utiliser ce que l’auteur appelle le pouvoir des questions. 

Le livre contient beaucoup d’astuces que l’auteur appelle sa mallette d’échantillon. L’un des plus intéressant concerne une marotte de l’auteur qui se dit collectionneur de pitch. Il dresse sa classification qu’on peut trouver sans problème sur internet. Et on peut utiliser sa feuille d’entraînement au pitch (en anglais). 

Son livre se termine sur l’importance de l’improvisation théâtrale. Elle nous oblige à écouter l’autre, ce que nous ne faisons pas assez . 

Ma critique ne peut pas rendre compte de toutes les astuces que le livre contient mais ce fut une lecture captivante à propos de nos ressorts secrets et je me suis promis de garder le livre près de moi comme boîte à outils. 

mercredi 18 décembre 2019

GOLDEN HOLOCAUST, la conspiration des industriels du tabac


SOURCE DE L'IMAGE

Il y a un an, je lis La parole manipulée de Philippe Breton (1998). 
Un paragraphe me surprend : 

La consommation de tabac augmente massivement jusqu’en 1975, période à laquelle elle commence à fléchir. Le rapport de Catherine Hill, Françoise Doyon et Hélène Sancho-Garnier indique que la mortalité observée en 1990 est la conséquence d’habitudes tabagiques prises de vingt à cinquante ans auparavant. Ce qui est le plus difficile à comprendre, c’est l’énorme décalage entre les causes et les conséquence. Quand une génération entre dans le tabagisme, il faut cinquante ans pour qu’elle ait fini de payer les conséquences de ses habitudes. On observe ainsi en 1990 l’impact de la consommation de tabac dans les années 50. Les auteures décrivent ce phénomène comme une épidémie de cancers causés par le tabac, provoquant aujourd’hui 60 000 morts par an en France. La progression de la consommation jusqu’en 1975 et sa poursuite après cette date engendrera ainsi mécaniquement, selon les auteurs, plus de 160 000 morts à partir de 2025. 

Pour tenter de comprendre, j'ai choisi Golden Holocaust, de Robert Proctor, un récit total sur le sujet.





 Historien à Stanford, il a exploité les "tobaccos document",  80 millions de pages que l’industrie du tabac a du fournir aux autorités (en espérant les noyer sous la masse d’informations). 


 Désormais accessible sur https://www.industrydocuments.ucsf.edu/tobacco/, ces pièces du fond d’archives du tabac constituent les plus grandes archives de l’industrie au monde. La plupart de ces documents permettent des recherches en pleins texte, et celles de termes tels que cancer ou nicotine donne accès à des centaines de milliers de pièces. Des termes comme baseball ou sport fournissent, eux aussi, des milliers de réponse. Introduite en 2007, la reconnaissance optique de caractères permet désormais de rechercher des expressions telles que « prière de supprimer » ou ou ou « sujet à éviter », en triant les résultats par dates ou par nombre de pages; on peut limiter sa recherche aux documents d’une compagnie, d’une année ou d’un auteur en particulier, ou à un certain type de pièces (des lettres de consommateurs, par exemple).

Les 700 pages de GH, avec leurs renvois aux sources, se lisent comme un énorme thriller expérimental, on pourrait penser que c’est une uchronie, mais cela a vraiment existé. 
La cigarette a quelque chose d’incroyable, de science-fictionnel: comment un si petit cylindre a pu véhiculer tant de désinformations, de manipulations, tout en créant des milliards de profit et tuant des millions de gens. 

Quand un fumeur ouvre un paquet de cigarette, il peut humer la bonne odeur de tabac blond qui s’en dégage. Sauf que c’est un additif ajouté pour que ça sente bon. Un parfum de synthèse. 

 Si le fumeur peut avaler aussi facilement la fumée, c’est grâce au séchage à chaud: il diminue le Ph du tabac et facilite son inhalation par les poumons dont la surface alvéolaire est aussi grande qu’un terrain de tennis. C’est une révolution majeure dans la manière de fumer. 

Robert Proctor:
 « Le séchage à chaud pourrait avoir été l’invention la plus létale de l’industrie manufacturière. La poudre à canon, les armes nucléaires ou même l’âge de fer pris dans son ensemble ont tué beaucoup moins de monde. L’industrie aurait aisément pu éviter des centaines de millions de décès et la majorité de tous les cancers du poumon, si elle avait par exemple fabriqué une cigarette à la fumée difficile à inhaler. Cette inhalation a été encouragée par des publicité célébrant les plaisirs sensuels de la chose. Dès les années 30, l’inhalation profonde est parée d’une aura de gratification sexuelle, avec des stars rêveuses qui s’en emplissent les poumons et laissent une fumée sensuelle flotter autour de leurs narines et de leurs lèvres. »
Source de l'image, un site génial sur la pub


Quand quelqu'un fume une cigarette, elle ne s’éteint pas d’elle-même car on a ajouté un produit chimique qui agit sur la combustion. Et malheureusement, les milliers de morts par incendies accidentels s’ajoutent aux maladies causées par le tabac. 

Quand un fumeur tire sur sa clope, il voit le filtre s’assombrir progressivement, ce qui donne l’impression que les goudrons sont captés avant l'inhalation. Ce sont des produits chimiques ajoutés à la bourre du filtre qui provoquent cet effet. Les scientifiques de Philip Morris appellent ça "illusion de la filtration"

Pour la petite histoire, cet embout filtre a été inventé par Claude Edward Teague en 1953, chimiste au service de la firme Reynolds. La même année, il est l’auteur pour sa firme d’une étude  demeurée secrète sur les liens entre cancer et tabac. Ensuite, il gravit tous les échelons de sa société...Il comparaîtra devant la justice, la dernière fois en 1997 et se fait passer pour un idiot et un incompétent en minimisant son étude de 1953...

« Les scientifiques employés par Reynolds n’ont jamais été autorisés à publier leurs découvertes ni à en discuter publiquement: ils étaient pourtant fiers d’avoir trouvé du benzopyrène et des nitrosamines dans la fumée de tabac (en 1954), ainsi que du cholanthrène et plusieurs autres hydrocarbures polycycliques. En 1955, Teague a proposé une méthode permettant d’éliminer les substances cancérogènes de la fumée du tabac, non sans admettre que, selon de fortes indications, les hydrocarbures polynucléaires se rangeaient parmi les substances cancérogènes actives. » p.216. 

A  l’époque, les marques de cigarette qui ont introduit le filtre ont pris de l’avance sur toutes les autres. Le filtre est censé convaincre le fumeur qu’il empêche l’inhalation des goudrons. Proctor explique que c’est une arnaque: les vrais filtres efficaces empêchaient les cigarettes de se vendre. Le fumeur veut sa dose de nicotine. 
Après l’escroquerie du filtre, ce sera celle de la ventilation: des trous percés dans le papier de la cigarette pour laisser échapper la fumée. Or, les compagnies savent bien que, consciemment ou inconsciemment, le fumeur va tricher en bouchant les trous. Le fumeur veut sa dose de nicotine. 

En 1953 donc apparaît un consensus scientifique et international : l’augmentation des cancers du poumon et des bronches est causée par le tabac. C’est la panique chez les industriels. Pour contrer cette mauvaise publicité, l’industrie du tabac se réfugie derrière le dogme du "pas encore prouvé", emploie une agence de relation publique très efficace ainsi que de nombreux avocats dont l’auteur dénonce le cynisme. 
Mais surtout, elle finance des études scientifiques sur pleins de sujets variés. La règle c’est de ne pas s’approcher du dangereux sujet qu’est la dépendance à cette drogue dure qu’est la nicotine et le risque cancérogène du goudron inhalé. Des scientifiques sont dévoyés pour porter la bonne parole. Il faudra attendre les années 90 pour que ces organes de désinformation soient démantelés sur ordre de la justice. 

Proctor montre comment l’Université est infiltrée. Il répertorie toutes les manifestations sportives sponsorisées par le tabac. Aucun sport n’y échappe ! 

A la fin de ce passionnant pavé, il donne une liste de ce qui peut être fait, augmenter le Ph des cigarettes,  taxer les machines à fabriquer des cigarettes....Il se livre également à un plaidoyer intéressant et à contre-courant de l’Interdit : feu rouge, feu vert, inceste, meurtre, viol, code, règles et lois: nos sociétés modernes fonctionnent grâce aux interdits.  



Golden Holocaust - La conspiration des industriels du tabac (Français)  – 20 mars 2014    de Robert N. Proctor  (Auteur), Mathias Girel  (Préface), Johan Frédérik Hel Guedj (Traduction)



mardi 17 décembre 2019

Pour déjouer l'impuissance de la volonté

L'Usage du vide

Essai sur l'intelligence de l'action, de l'Europe à la Chine

De Romain Graziani

Cet essai de Mathieu Graziani, un spécialiste du taoïsme encourage avec subtilité à explorer le monde du non-agir opposé à l’éthique volontariste, à la volonté musculaire. Le lecteur se laisse entraîner dans ces analyses subtiles qui allient philosophie chinoise des temps anciens et moments-clés de notre existence. On se pose des questions: 
Dans ce que je réussis, quelle est la part de l’intention volontaire, rationnelle, motivée, 
quelle est la part du hasard ? 
Quand je cherche le sommeil,  quand je perds un objet, quand j’ai un mot sur le bout de la langue je sais qu’il ne sert à rien de forcer, cela me reviendra par surprise, au-moment où je n’y pense plus...

Comment arriver à un état optimal, pour créer, jouer au tennis ou d’un instrument de musique ? 
« Nos états optimaux sont aléatoires, hasardeux, non durables » 

Romain Graziani va chercher entre autres exemples une réponse dans le Tchouang-tseu  avec cette histoire du charpentier Ts’ing, un homme du commun qui a réalisé une oeuvre qui stupéfie son seigneur. Pour y arriver, le charpentier a fait des détours pour atteindre son état d’optimal: un long jeûne qui le mène à un état d’épuisement, et là, enfin, il peut créer. 
« Le charpentier Ts’ing explique les dispositions d’esprit qu’il s’est efforcé de cultiver avant l’exécution concrète de sa tâche . »

Et il y aura d’autres histoires, la façon dont Poincarré décrit l’arrivée d’une idée mathématique, Alexandre Grothendieck qui compare le cassage d’une noix avec un marteau burin et celui du passage des saisons, Glenn Gould qui joue au piano au-milieu d’un vacarme volontaire pour surmonter une inhibition. 
Histoire d’un concours de tir à l’arc: moins il y a d’enjeu, moins on est paralysé. Un peu à l’exemple du joueur de tennis au moment de conclure, et l’auteur de citer l’autobiographie d’André Agassi. « Réaliser une tâche de façon distraite peut nous amener à mieux la réaliser.»
J’oubliais l’histoire de l’homme qui voulait semer son ombre: « Il y avait une fois un homme qui, par peur de son ombre et par aversion de ses traces, s’était mis à courir à toutes jambes pour y échapper ». La suite de l’histoire et son analyse démontre qu’il est inutile de taper plus fort pour résoudre un problème. Il faut accepter de cesser de vouloir résoudre le problème (s’arrêter de marcher et se mettre à l’ombre). Se retrancher du monde, vertus régénératrices du silence et de la solitude. 

L’auteur déniche des solutions pour aller vers ces états optimaux, le détachement vis-à-vis des fins, l’art de la privation volontaire, l’imitation et l’importance du ritualisme. 
« C’est en faisant semblant qu’on y arrive vraiment »

« Le pari du ritualisme est que la conduite de celui qui observe les conventions et les bienséances prescrites par l’étiquette commence avec l’imitation et la répétition, mais culmine dans l’intelligence morale de chaque geste éxécuté  selon le rite. (...) Le rite sculpte en vous les formes favorables d’états optimaux. »
Une belle exploration de la psyché humaine qui entraîne (double-sens) le lecteur  dans un exercice d’introspection sur les raisons profondes qui gouvernent notre volonté (et ses échecs) ou notre absence de volonté (et ses réussites surprises...). 



mercredi 20 novembre 2019

Bilbo le Hobbit


Bilbo le Hobbit   JRR Tolkien


Au mois de novembre 2019, j'ai vu l'expo Tolkien à la BNF et dans la foulée, j'ai lu Bilbo. Voici les rappels en mémoire (feedback) que je fais juste avant de reprendre ma lecture. 

  • Un trou de hobbit, c’est forcément confortable et propre. Le Hobbit ne cherche pas l’aventure, même si Bilbo Baggins a du sang Took du coté de sa mère. 
  • Gandalf est un magicien aux sourcils broussailleux. Il laisse une marque sur la porte du domicile de Bilbo. 
  • Le quotidien et la quiétude du Hobbit sont bouleversés par l’arrivée de 13 nains et de Gandalf. Il veulent emmener Bilbo comme cambrioleur pour récupérer leur trésor. Au petit matin, les voyant partis en ayant laissé un énorme bazar derrière eux, il a l’espoir qu’ils l’ont oublié. Mais Gandalf veille au grain. 
  • A dos de poney, les 13 nains et Bilbo Baggins partent vers la montagne. 
  • Episode des trolls mangeurs de chairs humaines. Les nains sont capturés. Gandalf distrait les trolls en imitant leur voix. Le lever du jour change les trolls en pierre. 
  • Dans la grotte des trolls, ils trouvent des épées sur lesquelles sont gravées des runes mystérieuses. 
  • Au pays des elfes, ils font halte quinze jours chez Elrond qui déchiffre les runes des glaives. Où il est dit que Bilbo est un grand amateur de cartes et de langues mystérieuses. 
  • Dans la montagne des Gobelins. Luttes et poursuites. Bilbo perd le groupe et se met à descendre au fond de la montagne. Il ramasse machinalement un petit anneau. Il rencontre Gollum. Duel d’énigmes dont l’enjeu est : ne pas être mangé et être guidé vers la sortie. En même temps que Gollum se rend compte qu’il a perdu son trésor, Bilbo réalise que l’anneau passé à son doigt le rend invisible. 
  • Il parvient ainsi à s’échapper de la forteresse et à retrouver ses amis. 
  • Dans une clairière, ils sont attaqués par les Dwarfs alliés aux Gobelins. Situation déséspérée, avant d’être sauvés par les Aigles.  
  • Gandalf utilise un stratagème pour distiller leur histoire à Beorn l’homme ours, les nains entrent deux par deux chez lui. 
  • Ils cheminent vers la forêt magique sur les poneys prêtés par Beorn. Un étrange ours les suit. Ils rendent les poneys et Gandalf les abandonne ici. 
  • Surtout, ne pas s’écarter du sentier ! Ils cheminent dans la forêt inquiétante, les nuits sont d’un noir d’encre, ils épuisent leur nourriture. L’eau d’un lac plonge Bombur dans un sommeil profond. Il fait des rêves merveilleux. 
  • Affamés, ils ne résistent pas aux lumières des sous-bois qui disparaissent aussitôt qu’ils s’approchent. 
  • Capturés par les araignées géantes, sur le point d’être dévorés, Bilbo les libère. Coups de Dards, l’épée. 
  • Les nains sont ensuite capturés par les Elfes de la forêt, Bilbo les suit, invisible. Il les libérera une fois de plus et organise leur fuite grâce à des tonneaux de vin portés par la rivière. 
  • Fin du résumé. Il reste la fin du roman, notamment la rencontre avec Smaug. 

samedi 6 avril 2019

Quelque chose tire ! Le zen dans l'art chevaleresque...


Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc. E. Herrigel. (Dervy éditions)


Quand on propose un poste au Japon à Eugen Herrigel, philosophe allemand, il est heureux : cela lui permet de se rapprocher du Zen, une énigme pour l’homme occidental - une mystique de l’absorption- qui le fascine et qu’il se désespère de comprendre simplement à travers la littérature. 
A l’université impériale de Tohoku, on lui fait comprendre que la seule manière d’appréhender cette philosophie est de pratiquer un art qui lui permettra de faire une expérience mystique. Eugen Herrigel choisit le tir à l’arc, sa femme se met à l’arrangement floral. 

Il débute son initiation avec un maître - un conducteur d’âmes - dont on ne saura ni le nom ni à quoi il ressemble. Ce qui compte dans le livre c’est l’initiation elle-même. 
Le maître décompose les étapes du tir à l’arc: bander l’arc, relâcher la corde, mettre dans la cible. 
Herrigel passe plusieurs mois à trouver le bon mouvement simplement pour la première étape.. Le maître le dissuade d’utiliser la force physique, il blâme sa dépense de force et lui crie : « Relâchez-vous !»; il lui fait d’abord éprouver ses propres échecs avant de lui dire de travailler sur sa respiration. Une inspiration lente puis une expiration la plus lente possible avec un bourdonnement. La respiration évite de solliciter la force physique et elle empêche de trop se fixer sur le résultat. 

Vient ensuite la deuxième phase du mouvement qui consiste à lâcher la corde et la flèche. Le maître ne se lasse pas de leur montrer le geste parfait. Il faut se dépouiller de toute intention. 

Cela prendra des années à Eugen Herrigel...Il nous fait part de ses difficultés techniques: la contraction de sa main, l’effort physique qui contrarie son relâchement, le questionnement incessant au maître. 
Et le doute qui surgit dans son esprit: pourquoi consacrer autant  de temps à cet art disparu, pourquoi s’épuiser à acquérir un geste inutile ? Le maître lui répond que le temps n’est rien et qu’il est impossible de mesurer le chemin qui conduit au but. 

Quand Herrigel triche avec sa main, le maître lui retire l’arc et lui tourne le dos. Il a trahi la doctrine du tir à l’arc.
Ils recommencent tout à zéro. 

Il semble que c’est la lassitude qui finit par dissoudre le moi du philosophe allemand. Au cours de semaines où il se consacre au tir à l’arc sans passion, en se sentant atone, il finit par décrocher un tir que le maître applaudit. Quelque chose tire ! lui dit-il. Il a atteint l’état purement désintéressé. « Vous vous teniez complètement oublieux de vous-même. »

Et aussitôt il lui interdit de ressentir la joie de la réussite. 
« S’il ne faut pas vous chagriner des coups mauvais, vous n’avez pas à vous réjouir des bons. Il faut vous libérer de ce passage du plaisir au mécontentement. » page 101
Puis l’élève apprend à distinguer par lui-même les tirs réussis des tirs ratés. 
A la fin vient l’enseignement final : viser une cible lointaine et tirer sa flèche. Le maître peut mettre au centre de la cible en fermant les yeux. Les élèves n’arrivent même pas à la toucher. 
« Comportez-vous comme si le but était l’infini ». 
Herrigel parle de la période la plus dure de sa vie pour cette dernière étape. Mais il finit par y arriver. 
«  Toutes ces choses, arc, flèche, moi, s’amalgament tellement que je ne suis plus capable de les séparer. D’ailleurs le besoin de séparer n’existe plus. Dès que je saisis l’arc et que je tire, tout devient si clair, si un, si ridiculement simple... » Le maître m’interrompit alors et dit: « Voilà justement la corde de l’arc qui vient de vous traverser ! »
Cela fait beaucoup de bien d’irriguer son esprit d’une philosophie qui paraît aux antipodes de notre vie actuelle: expérience sportive qui ne vise surtout pas la performance mais le geste parfait qui s’acquiert par des années d’échecs, car rien n’est plus difficile que le détachement, l’oubli du moi. Expérience physique, une lutte de l’archer contre lui-même, allant jusqu’aux plus ultimes profondeurs, qui devient expérience mystique et transforme l’individu. Avant de quitter le Japon en lui donnant un arc (qu’il devra réduire en poussière pour ne le léguer à personne), le maître japonais prévient le philosophe allemand: vous vous êtes transformé et vous vous en rendrez compte quand vous retrouverez vos amis. 

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L'araignée danse sa toile....
Le maître me fit ces réflexions: « Si vous espérez tirer profit d’une compréhension quelque peu utilisable de ces connexions obscures, vous vous égarez. Les événements dont il s’agit dépassent la portée de l’entendement. Ne perdez pas de vue que, déjà dans la nature extérieure, il est des harmonies qui, si elles sont incompréhensibles, n’en sont pourtant pas moins réelles...

J’ai eu très souvent la pensée occupée par cet exemple que je vais vous donner: l’araignée danse sa toile sans savoir que des mouches viendront s’y prendre; la mouche, elle, qui dansant dans un rayon de soleil, ignore ce qui se trouve devant elle et se prend dans cette toile. Mais, dans l’araignée comme dans la mouche, « Quelque chose » danse et, dans cette danse, extérieur et intérieur sont un. Je suis incapable de m’expliquer mieux, c’est ainsi que l’archer atteint la cible sans avoir extérieurement visé. 

samedi 23 mars 2019

Le meurtre du Commandeur, livre 2


Le Meurtre du Commandeur, livre 2, la métaphore se déplace, de Haruki Murakami. Traduit du japonais par Hélène Morita, avec la collaboration de Tomoko Oono. 


Nous reprenons l’histoire là où nous l’avons laissée: un narrateur, peintre de métier, s’est mis en retrait de la société après la séparation d’avec sa femme. Il habite une maison sur une colline qui a appartenu à un grand peintre mourant. Il rencontre régulièrement son « voisin de colline », le mystérieux Menshiki, un quinquagénaire à la belle chevelure blanche, incarnation de la maîtrise de soi. Autour d’eux, des évènements surnaturels se produisent, une clochette qui sonne dans la nuit, un personnage qui sort d’une toile...
Vient le deuxième dimanche de pose de Marie, accompagnée dans la petite Prius par Shoko, sa tante qui l’élève...

Les journées du narrateur sont toujours chroniquées dans leur banalité, préparation des repas, heures de sommeil et de repos, temps consacré à la peinture et aux progrès de son monde intérieur ( il donne envie de se mettre à dessiner), rendez-vous avec ses voisins ou son ami Masahiko où il peut prendre des nouvelles de son père le vieux peintre. Il y a quelque chose de curieusement apaisant dans la lecture. Cela tient au ton tranquille et descriptif du narrateur qui semble accorder la même minutie à la dégustation d’une daurade qu’à l’émotion suscitée par l’apparition d’un fantôme. En refusant les émotions faciles du thriller, l’écrivain nous imprègne de ses images comme un peintre qui donne la dernière touche de couleur. 

L’intrigue avance par petites touches, une rencontre entre Menshiki et les deux femmes, une liaison cachée qui se  noue. Et soudain un personnage disparaît, le roman peut accélérer dans son final. Il bascule dans le fantastique des mondes parallèles et du temps aboli. 

C’est un roman qui relie les choses entre elles et les entrecroise peu à peu pour que la lumière surgisse. Des évènements du passé font sens dans le présent ( une femme tuée par un essaim d’abeilles, une petite fille qui se glisse dans un trou à l’intérieur d’une grotte, un japonais qui participe à un complot contre Hitler...). Les personnages sont des êtres qui cherchent des cachettes secrètes qui sont à la fois refuges et cachots. Qui se laissent enfermer pour mieux ressurgir à la lumière. Les couloirs mystérieux deviennent des goulots d’étranglement. Le fantastique de Murakami fait émerger les peurs et les envies mythologiques de l’enfance, tunnels qui communiquent mystérieusement entre eux, passages secrets et raccourcis dans les forêts, belle maison moderne et chambre de Barbe-Bleu. Quand au meurtre du titre, on comprend à la toute fin. 

C’est un roman qu’on referme avec un petit sourire, le regard vague, flottant au loin vers des collines imaginaires, des villas blanches et vaporeuses, des forêts au sanctuaire de pierre. Attention, la petite clochette va tinter, mais était-ce dans la réalité ou dans le rêve ?

jeudi 21 mars 2019

Propagande, David Colon

DAVID COLON   PROPAGANDE, LA MANIPULATION DE MASSE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN   (Belin) 2019 


Une formidable synthèse de tout ce qui est manipulation dans notre monde contemporain. L’auteur balaie l’histoire du XXè siècle en ayant assimilé la littérature sociologique et les connaissances sur le sujet. 
La propagande est tellement intégrée à nos vies qu'on ne la voit plus. Ce livre nous fait prendre conscience de tous ces messages que nous gobons à longueur de journée et qui, inconsciemment, dictent notre conduite...En réveillant notre esprit critique, il constitue, à sa manière, un petit guide d’auto-défense intellectuelle. 


La propagande est un produit de la démocratie. Elle s’adresse à un public plutôt éduqué à qui elle donne un cadre explicatif. Elle occupe le terrain et les esprits. Au cours du siècle, elle va s’enrichir de la recherche dans les sciences humaines et cognitives et profiter de chaque medium, de l’imprimerie (affiches) à internet (fakes news, les réseaux sociaux et leurs bulles de filtre) en passant par la photographie (du Leïca au smartphone), le cinéma (de Naissance d’une nation à Top Gun).

1906. Un train de la Pennsylvania Railroad déraille. 53 passagers sont tués. Nous sommes aux tous débuts du chemin de fer. Au lieu de dissimuler les faits, la compagnie fait appel à une des toutes premières agences de communication, Parker & Lee, qui les incite à la transparence et « pose les bases de la communication de crise »...C’est le début des professionnels des relations publiques. 
1917. Les Etats-Unis entrent dans la Première guerre mondiale. Il faut convaincre un peuple isolationniste de soutenir l’effort de guerre. Création de la Commission d’information publique, dite Commission Creel. 

Ensuite...
Trois hommes de l’ombre auront une influence méconnue sur notre civilisation contemporaine: 
Edward Bernays est le plus connu et le plus cité tout au long du livre. Celui qui organisera une campagne victorieuse pour que les femmes puissent fumer dans l’espace public.
Walter Lippman invente le stéréotype (nous n’avons qu’une vue parcellaire du monde et nous le réduisons à un stéréotype) et la fabrique du consentement. 
Harold Lasswell qui a compris qu’il faut contrôler les techniques de communications qui peuvent modifier notre vision du monde. Comme l'écrit Tocqueville: 
Il n'y a qu'un journal qui puisse modifier au même moment dans mille esprits la même pensée. 

Les techniques américaines de propagande fascineront Goebbels qui s’en inspirera. David Colon l’affirme: la propagande est l’outil déterminant qui propulse les nazis au pouvoir.  L’esthétisation de leur campagne, les torches flamboyantes, le son du tambour, arriver en avion, un slogan court et efficace, un symbole facilement reconnaissable, l’exaltation des foules par les chants, leur confère cette impression d’une force irrésistible. 
Au même moment en Allemagne, Serge Tchakotine a pris la mesure du danger propagandiste organisé par Goebbels. Il invente un symbole, les Trois flèches qui s’oppose et permet de couvrir sur les murs la svastika lévogyre, des slogans mais il est trop seul et peine à convaincre. 
 Il écrit Le viol des foules par la propagande politique. 

Après la seconde guerre mondiale, les États-unis continuent à être précurseurs, la propagande politique est utilisée à grande échelle, pour les élections de présidents.

Dans l’espace public, le consumérisme se développe, il faut vendre le surplus de production. Pour cela, on va utiliser les connaissances en psychologie pour générer des besoins chez les citoyens transformés en consommateurs. Et, plus tard, la manipulation prendra la forme d’un lobbyng agressif pour empêcher les lanceurs d’alertes de lancer leur message (sur les méfaits du sel, du sucre, du tabac). Cette invention des besoins va loin, jusque dans l’industrie pharmaceutique avec l’accent mis sur les dangers du choléstérol...
Les journaux dépendent d’annonceurs puissants, les journalistes sont précarisés. D’ailleurs en France, 10 milliardaires détiennent les principaux médias. Ils peuvent décider d’amputer un journal récalcitrant d’une mâne publicitaire (exemple de Bernard Arnauld/LVMH et Le Monde).

Les sciences sociales et cognitives apportent de précieuses informations sur les pulsions de l’âme humaine. Il s’agit de manipuler sans en avoir l’air. On distingue 4 pulsions: 
parentale
sexuelle
alimentaire
violence

4 types de leviers: 
la vertu
le rejet
l’autorité
la conformisation

Ernst Dichter a la conviction que les actes d’achat reposent sur des motivations symboliques liées aux propriétés symboliques d’un objet (118). Louis Cheskin s’est consacré au rôle de la couleur, des emballages et a mis en évidence le transfert de sensations opéré chez les consommateurs, de l’emballage au produit (119). 
Page 150, David Colon décrit aussi les 7 techniques les plus courantes de la propagande: l’injure, la banalité, le transfert, le témoignage, l’appel aux gens ordinaires, l’empilement de cartes et l’effet du train en marche. 

Dans les années 60, le fameux Stanley Milgram se désole: les gens se soumettent trop facilement à une figure d’autorité. Le coût de l’obéissance est moins élevé que celui de la désobéissance car on ne se sent pas responsable: on n’a fait qu’obéir...Lien: Expérience de Milgram.

L’auteur étudie chaque medium en détail: 
- La photographie objective le réel et semble plus authentique qu’un simple dessin, même si on peut facilement la retoucher. Une iconographie se développe, les images s’inspirent les unes des autres. 
Elle devient de plus en plus légère et accessible et devient l’arme du faible dans les guerre grâce au smartphone. 
- Le cinéma est très tôt un outil de propagande, de Naissance d’une nation, en passant par Léni Riefenstahl ou aux documentaires de Capra pour l’armée américaine. Dans les années 50, le code Hays et son puritanisme dicte les conduites sociales. 
- La télévision. En France on va passer d’une ORTF aux ordres du pouvoir (Peyrefitte qui se vante d’avoir des sonnettes dans son bureau pour convoquer les directeurs de chaînes) à la dictature de l’audimat des chaînes privées. Il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible. Mais, en insistant sur les faits divers, on en vient à fausser le résultat d’une élection: en 2002, le thème de l’insécurité repris à outrance favorise Le Pen au second tour et l’élimination du candidat socialiste...Et le lecteur de taper le nom de Paul Voise sur un moteur de recherche, pauvre vieil homme passé à la postérité. Propagande de l’audimat...

C’est un livre qui fourmille de tellement de détails, d’anecdotes et d’informations historiques qu’on en sort étourdi. Des images surgissent à notre insu et se téléscopent: une publicité des années 50 pour promouvoir les robots ménagers et la femme au foyer en Amérique, la « Cave » de Chicago où 66 000 machines et 50 data analyst oeuvrent à la réélection d’Obama en 2014, le visage éructant de Trump reprend sans vergogne les canulars, court-circuite les médias traditionnels avec twitter mais bénéficie du ciblage précis d’informations tirés d’utilisateurs de Facebook. Hitler: Peu importe qu’on vous traite de polichinelle ou de criminel, l’important c’est qu’on parle de vous.  
On reste sidéré par le cynisme de certains dirigeants politiques. Comme si l’histoire bégayait : en 1965, alors qu’on sait que la guerre du Vietnam ne peut être gagnée, ce qui compte pour l’administration Johnson c’est de convaincre l’opinion publique. Il faudra le courage des journalistes des Pentagon Papers pour dévoiler l’affaire. En 2003, c’est l’affaire des produits chimiques soi-disant détenus par l’Irak...Même quand la vérité éclate, le mal est fait: le livre note que notre esprit croit plus facilement à un mensonge argumenté qu’à la vérité...
Je sors de chez moi. Dans la rue, les panneaux publicitaires qui me dominent de la taille me vantent les produits d’une chaîne de restauration rapide.
 Dans le bus, des petites affichettes s’adressent à moi « Je suis en mode détente » « Je suis en mode actif » et je pense au Nudge, cette technique de manipulation douce pour inspirer la bonne décision et qui s’appuie sur des biais cognitifs aux effets prouvés (p.137).

 Je marche en me posant des questions: quels sont les moments où j’ai eu peur d’avoir l’air idiot parce que je ne portais pas les bons vêtements ? Qu’est-ce-qui provoque en moi la jalousie sociale ? Est-ce-que je ne ferais pas preuve de conformisme social ? Quelle est la mauvaise décision dans laquelle je persévère parce que j’y suis engagé ?
Ils ne sont pas si courant les livres d’histoire qui vous apportent un tel décryptage du monde, dans un style clair et bien écrit. 

mardi 12 février 2019

Fernand Knopff au Petit Palais


Petit Palais l’Expo Fernand Khnopff


« On n’a que soi », cette devise, Fernand Khnopff l’avait gravé sur un petit autel dédié à Hypnos dans la maison qu’il s’était fait construire . Nous voyons des plans. Elle a été détruite en 1930. 
 Il vivait dans cette maison-atelier en artiste solitaire. Lui rendre visite était apparemment une expérience des sens, entre la musique de Shumann et des diffuseurs de parfums. 
L’exposition nous propose des stèles audio-olfactives qui recréent son univers. 



Puis le visiteur s’arrête devant les tableaux. Des paysages lisses et immobiles, qu’on ramène à soi. Ce pont dans une campagne verte, immobile, il a un air de familiarité avec un pont qu’on connait. Cet alignement d’arbres sur un fond obscur rend la forêt mystérieuse et fantastique. Et ce garde-chasse de profil dont la silhouette est parallèle au tronc d’arbre derrière lui, il est immobile pour l’éternité, confondu à la nature. 




Le visage emblématique de l’oeuvre de Khnopff, c’est celui de Marguerite, sa soeur. Androgyne, longiligne, elle sera son modèle préféré. On la retrouvera dans Des caresses, ou l'Art, ou le Sphinx (1896), son oeuvre la plus connue présente ici. Sur d’autres tableaux, c’est une figure féminine strictement habillée d’une longue robe blanche, gantée, empreinte de mystère et d’intériorité. 
Sur le pastel Memories, trop fragile pour être déplacé, ce sont 8 photos de sa soeur munie d’une raquette de tennis, qui ont servi à la composition. Il prenait beaucoup de photos, bien que ne sentant pas un spécialiste. Le modèle prenait plusieurs poses, avec des gestuelles particulières. Ensuite le peintre pouvait se concentrer sur le drapé du costume et les accessoires du décor. 
C’est aussi à partir d’une photo qu’il a peint le portrait de Marguerite Landuyt, la jeune fille qui regarde sur le coté. 
D’autres portraits représentent des enfants aux mines graves comme des adultes, aux regards fixes, scrutateurs. 



Autre méthode originale, moderne, de Knopff : faire reproduire en photo ses oeuvres
par Alexandre (le photographe bruxellois Albert-Edouard Drains). Ensuite, il pouvait rehausser au pastel ou à la craie ses oeuvres, se les réappropriant et les mettant en vente. 
Une salon adjacent peint en bleu reproduit une sorte de cabinet symboliste. Les visages de Mallarmé, le frère cadet de Knopff, Georges Rodenback sont affichés. Une bibliothèque est reconstituée. Un cercle jaune sur le sol et neuf tabourets bleu. Des photos de Bruges en noir-et-blanc des frères Neurdain, une ville qui exerce une grande fascination chez Khnopff. Les photos illustreront le roman Bruges-la-mortes de son ami Georges Rodenbach. Ce choix novateur en fait un des premiers « récits-photos » qui préfigure Nadja d’André Breton. 

On prend plaisir à déambuler au-milieu de ces toiles énigmatiques dotée d’un calme hypnotique. On essaie de comprendre son influence sur le surréalisme, sur Klimt et Magritte. On s’assied pour rêver...Un jour, on ira à Bruges, ce sera l’automne, il fera humide et du brouillard s’élèvera des canaux. Alors, on repensera à Fernand Knopff et à sa femme sphinge...