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jeudi 30 août 2018

Une vie de surf, William Finnegan


JOURS BARBARES, une vie de surf, William Finnegan. Editions du Sous-sol. Traduit par Frank Reichert. 



Dans le gros son de l’océan, Jours barbares orchestre tous les moment de grâce du surf. Glisser sur l’eau, entre jouissance et effroi. Et continuer, jusqu’à ce que le corps se rebelle..William Finnegan est conscient de la vanité de ces sensations uniques, de cette drogue dure qui domine sa vie. Ce funambulisme aquatique érigé en art de vivre nous rend la lecture de plus en plus sublime.
Les longues phrases ramassent les souvenirs comme autant de vagues. Les décennies passent et l’auteur hypnotise le lecteur dans les rouleaux, les houles, comme des zones intemporelles. Sa bienheureuse cachette. 

Le surf a toujours eu pour horizon cette ligne tracée par la peur, qui le rend différent de tant de choses et, en tout cas, de tous les autres sports de ma connaissance. On peut sans doute le pratiquer avec des amis, mais, quand les vagues se font trop grosses ou qu'on a des ennuis, on ne trouve plus personne. Tout, au large, semble s'entremêler de façon perturbante. Les vagues sont le terrain de jeu. Le but ultime. L'objet de vos désirs et de votre plus profonde vénération. En même temps, elles sont votre adversaire, votre Némésis, voire votre plus mortel ennemi. Le surf est votre refuge, votre bienheureuse cachette, mais il participe aussi d'une nature hostile et sauvage - d'un monde dynamique, indifférent. A treize ans, j'avais pratiquement cessé de croire en Dieu. Un nouveau rebondissement dans ma vie qui avait laissé comme un vide dans mon univers: l'impression d'avoir été abandonné. L'océan était un dieu insoucieux, infiniment dangereux, incommensurablement puissant. 
source de l'image
Journaliste reconnu et engagé de The New Yorker pour ses reportages sur les théâtres de guerre du monde entier, William Finnegan, à 65 ans, remonte aux origines de son addiction pour le surf. 

Au commencement...Honolulu. 
Au collège, le petit blanc est un souffre douleur mais il découvre le surf avec ses amis Roddy Kaulukuiki, son frère Glenn le fugueur, Ford Takara le japonais mutique, Domenic Mastrippolito, le David de Michel Ange. Les corps bronzés, les cheveux blondis par le soleil.. Tout en faisant le portrait de ses parents, il montre comment il s'isole de sa famille. Finnegan raconte (ici) qu'un ami lui a renvoyé les lettres très longues qu'il lui avait écrites à l'âge de treize ans et il s'est servi des détails pour nourrir son autobiographie.  

Les époques se croisent, il se souvient de l'enfant, de l'ado qui passe de longues heures à  nager, à déchiffrer les houles. D’un coté, les vagues, de l’autre, l'enfance, les bagarres à l'école où il faut s'imposer, les bandes, les caïds. Il parle d'une époque où les parents fessent les enfants ou les corrigent à la ceinture. 

 Tout d'un coup les "longboard" sont obsolètes, les planches raccourcies - le shortboard- révolutionnent la manière de surfer. Il évoque Domenik, Caryn Davidson la petite amie de ses 17 ans, la liberté sexuelle, Jimi Hendrix qui meurt cinq jours avant un concert à Rotterdam, le voyage en Europe où il se revoit, cruel, avide de mouvement, de départs, d'explorations. Et les vagues, encore et toujours, comme des personnages, les tubes : 
« la traversée réussie de la chambre intérieure d'une vague creuse ». 


Dans un chapitre qu'il nomme La quête, Finnegan a laissé sa petite amie au pays, son métier de "serre-freins" à la Southern Union (sa fierté d’avoir été cheminot), pour aller explorer le monde des mers du Sud avec Bryan Di Salvatore. 

Au bout de quelques semaines, nous avions déjà l’impression d’avoir sillonné le Pacifique Sud la moitié de notre vie durant. Nous nous déplacions en bus, en camion, en ferry, en canoë, cargo, bateau à moteur, petit avion, yacht, taxi, voire à dos de cheval.

Les deux hommes scrutent des cartes marines et rêvent de houles et de tubes. L'océan est souvent inaccessible. L'américain voyageur a le contact facile avec les autochtones et il compare leurs conditions de vie. Le compagnonnage n'est pas toujours facile, Bryan semble perdre la boule. Lui, Finnegan, semble prendre chaque jour des risques qui peuvent lui coûter la vie, par noyade, maladie. Il ne s'appesantit pas sur les douleurs. Il avance, coûte que coûte. 

Quelque part au milieu du livre, il y a une vague secrète. C'est dans les îles Fidji. Ils campent au-milieu des serpents de mer (« Trois pas, le nombre de pas que tu peux faire une fois qu'il t'a mordu »). Il dort dans un hamac. Bryan occupe la tente. Et ils vont enchaîner les vagues des jours entiers. Il décrit ça comme des shoot. Une mer transparente. Des vagues qui l'assomme, le tabasse, des falaises, des coraux qui les laissent en sang. Ils sont loin de tout, dans des îles sans téléphone où les autochtones font tout eux-mêmes. 
Tavarua, dans l'archipel des Fidj

Morale de surfeurs, ils font le serment de ne jamais divulguer la position de Tavarua. 

Puis c’est l’Australie (La Contrée chanceuse) et ses très bons salaires. Il fait la plonge dans un restaurant. Il explore le spot de Kirra. Bryan et lui signent leurs premiers articles pour la presse même s’ils ne s’entendent sur rien à propos du style. 

Nous avons atterri à Kirra, ville balnéaire du Queensland proche de la frontière des Nouvelles-Galles du Sud. Nous étions les fiers détenteurs d’un break Falcon de 1964, acheté trois cent dollars près de Brisbane, et nous avions surfé la Côte Est de long en large, de Sydney à Noosa, en dormant dans la voiture. Revenir dans l’Ouest, avec son confort et ses commodités- il y avait même sur les routes des panneaux PLAGE DE SURF- était grisant. 

Ils traversent le pays par son centre dans une voiture asthmatique juste parce qu'on leur a dit de ne pas le faire. 
En Indonésie, dans le train, en regardant au dehors, il se demande si l’occupation principale n’est pas la défécation. Il vivent une tempête sur un ferry. Sur un spot isolé de tout, ils sont obligés de rationner l’eau parce que leurs bidons n’ont pas été bien lavés. 
 A Nias, il est à l'apogée de son surf. Il se sent immortel. 

Sharon, sa petite amie, vient le rejoindre. Il tombe gravement malade, malaria. Il se demande s’il ne doit pas rentrer, s’il n’est pas un raté. Bryan est rentré au pays. Mais ce n’est pas encore l’heure de rendre des comptes.
Départ en Afrique. Découverte de l’Afrique du Sud et de l’appartheid. Il est engagé comme instituteur dans une école pour noirs, sa conscience politique se réveille. 
Et toujours les séries de vagues...

Retour en Amérique. San Francisco et Ocean Beach. 
Encore des personnages: le doc Mark Renneker, sorte de fou animé par une pulsion de mort sur lequel il écrit un article dans le New Yorker, Edwin l'Argentin, Peewee le charpentier. Les débuts de la peur face aux plus grandes vagues quand il se compare à ces têtes brûlées.

L'apnée dans le surf: « Réprimer ce réflexe qui vous incitait à respirer l'eau dans vos poumons était effroyable, frénétique ». Il décrit les vagues comme des pyramides dynamiques. 

En société, dans le monde sérieux, il commence sa carrière de journaliste engagé, il écrit sur l'Afrique du Sud. Ces années-là sont compilées en quelques lignes alors que les sessions de surf s’étendent sur des pages et des pages, comme pour nous les faire vivre en temps réel. Les désillusions, quand soudain, avec son vieux copain Mark (installé à Missoula, la fameuse ville des écrivains), ils se rendent compte que leur vague secrète des Fidji est dévoilée au monde entier dans le magazine Surfer.

Dans les années 90, il découvre Madère avec un nouveau camarade. Encore des dangers dans les vagues, les tonnes de flotte, les bruits de tonnerre de cascade. Plusieurs fois il croit sa dernière heure arriver. On se demande si ce n'est pas ça le surf: le plaisir ultime, jouissif, de filer en vitesse avec l'ombre de la mort à chaque grande vague. L'auteur aura mis tous ses forces d'écrivain pour nous communiquer, à nous simples mortels qui jamais n'avons surfé, les plaisirs et dangers de sa pratique. 
L'âge vient, la peur augmente au fur et à mesure des sessions, son corps n'a plus les mêmes réactions. 
Et en parallèle, expédiée, la vie de grand reporter dans les zones brûlantes du globe d'où il rapporte de longs articles d’immersion. 

Ode au temps qui passe, à l’amitié masculine, Jours barbares m’aura emporté loin avec ravissement. 

jeudi 23 août 2018

L'envol ou le rêve de voler


Paris, Maison Rouge, dernière expo, L'Envol ou le rêve de voler.  Jusqu'au 28 octobre 2018. 


Comme toujours, ça commence doucement, on pousse le petit portillon. Au-dessus de notre tête, suspendu, il y a un avion en carton. 
Dans le petit couloir, une scène de film est projetée sur le mur, Marcello Mastroianni s’installe dans un petit hélicoptère qui s’élève dans les airs, une statue du Christ suspendue. C’est la Dolce vita de Fellini. 

Photos de Philippe Ramette, un homme dans les airs ne tient qu’à un fil dans un parc, un homme porte un ballon d'hélium sur la tête. 

En sortant du couloir on tombe sur le vélo hélicoptère de Gustav Messmer. Il donne le ton d'une expo qui fait la part belle à l'art brut. Des sculptures bricolées de bric et de broc par des doux dingues qui ont connu l’enfermement, l’hôpital psychiatrique. 

Dans une vitrine, une belle aile blanche de Rodin se démultiplie par un jeu de miroirs. 

Dieter Appelt, le canyon à Oppedette. Trois photos séquentielles, une dédicace à Marguerite Duras, structures d'aile dans l'herbe, puis vision de cet homme perché sur une corniche à l'intérieur d'une immense grotte (ou canyon)...les deux ailes accrochées à ses bras, mythe d'Icare. 

Les Chaises de Lucien Pelen, dans des paysages vides, un champ de cailloux, quelques arbres, une silhouette d'homme en mouvement de chaise, grandes photos charbonneuses, personnage à chercher dans l'image, comme une ombre...

Série de photos argentiques, des plongeurs de compétition saisis dans leur saut. Un petit garçon funambule tenant son balancier... des lignes qui zigzaguent sur le fond du ciel. 

Une femme funambule, anonyme, nous dit-on, vue de loin. 

Les Frères Zacchi, hommes canon au moment où ils jaillissent de la bouche, c'est très flou, on imagine une scène dans un cirque d’antan. Les hommes canon existent encore. 

De grandes ailes en structure de bois et plume dans une vitrine en taille réelle et des photos de l'homme de dos qui les porte, c'est Mario Tézic

Au milieu de la pièce, des cloisons de toile translucide abritent une petite chambre où il est interdit d'entrer. Il y a une lampe de chevet allumée, on a l’impression que l’habitant va bientôt revenir. Comment devenir meilleur, questionnent Ilya et Emilia Kabakov et ils donnnent le mode d'emploi sur un petit texte.

Plusieurs photos de visages en gros plan, il y a une femme en extase religieuse, une femme qui a pris du LSD...
La vitrine ethnographique nous présente des oeuvres des arts premiers. 

Passer sous une structure réfléchissante, Trypps#7 de Ben Russell, 6 miroirs réfléchissent le visage d'une femme filmée gros plan. 

Les visiteurs peuvent s'allonger pour regarder une série de films de danse projetés au plafond. 

Couple tournoyant: Aurélie Dupont donne un baiser et reste accrochée à son compagnon par la force de son baiser, dans une danse qui paraît éternelle. 

Nos solitude de Julie Nioche présente un homme suspendu à des cables. Il descend et flotte dans les airs au gré des contre-poids autour de lui. 

Article de Match nous présentant le dernier saut de Nijinski chauve et vieilli. 

Les premières planches d’Arzach, de Moebius. Les images colorées de Koji Shima. 

Il y a ce livre fabriqué et cousu à l'intérieur d'une vitrine, il y a cette oeuvre sorte de radeau en bois sur lequel sont imbriquées des fioles des objets trouvés...

Et qui cet homme anonyme (Zorro dit) sur ces photos...

Peintures d'art brut, photos d'ovni, chambre reconstituée d'un homme qui se dit enlevé par des extra terrestres. Les petites filles d'Henry Darger. 
Une cage à la porte ouverte. 
Comme souvent à la Maison Rouge, les vrais surprises les performances impressionnantes arrivent quand on passe dans les pièces plus sombres. 

On peut regarder le Voyage dans la lune de Meliès diffusé en boucle. Dans la pièce avec balcon, il y a une sorte de planeur suspendu, tandis que sur le coté un truc blanc avec une phrase en anglais invitant à essayer.

Dans la pièce opposée, le mystère suspendu. Attention les oeuvres sont fragiles. Il y a une immense échelle en bois qui monte vers le haut. Une sorte de bulle rose où j'imagine un cerveau...

Un astronef en bois dont on peut voir l'intérieur clignotant fils rouges fils bleus et à l'arrière des sons  comme s'il s'apprêtait à partir. 
On peut entrer dans une petite pièce, se déchausser et marcher dans du polystyrène , l'expérience est curieuse, se retrouver avec des inconnus pieds nus dans un sas sombre, son des pas dans l'épaisse mousse blanche, sorte de maison troglodyte sans lumière. Lien Instagram. 


Puis on descend. Il y a cet homme qui danse dans son village de pierre. Et puis les oeuvres qui vont le plus me fasciner, des dessins sous verre, gens suspendus selon un point de vue en hauteur. Croquis de petits dessins de signes qui forment une sorte de langage inventé. 

Palanc, l'homme qui crée avec des coquilles d'oeufs. 

Enfin, dans la pièce du fond, les petits films de  Roman Signer celui où des hélicoptères parfaitement alignés sont mis en route au même moment et se mettent à voler de façon anarchique, se cognant les uns aux autres, se crashant, rebondissant sur les murs, s'écrasant dans un multi-vrombissement d'insectes déchainés...
Celui où ils scotche deux parapluie sur une plage venteuse et lâche l'objet qui va rouler dans les dunes jusqu'à la mer. Celui où il monte dans une petite voiture un casque sur la tête, ses comparses retournent la voiture nez pointé vers le ciel, un compte à rebours commence, pof, disparition, un blanc...

Au milieu de la pièce, des objets volants fabriqués avec du matériel de récupération, beaucoup de stylos...

A l'autre bout de la pièce, grande photo de Une sorcière semble s'être crashée sur un mur en ayant perdu le contrôle de son balai. Et, à gauche, le mur bleu avec la tache de sang, on a juste la photo de ce qui s'est passé, le corps a été retiré...
Pendant ce temps, dans un angle de la pièce, le métronome de diapositives projetées sur le mur, photos en noir et blanc de fous volants. Ce qui me rappelle ce petit film du haut avec cet italien qui essaie de s'envoler, bat des ailes, revient et recommence. 
Je refais un tour dans les salles du haut, je croise les gardiens qui me paraissent familiers, c’est ma troisième visite. Le restaurant est fermé, quelques vieilles dames prennent encore le thé, je regarde le type qui essuie l’intérieur de l’horloge pour l’éternité, de toute façon on va revenir avant que ça ferme, pour tester le photomaton de l’entrée. 
Dehors il fait frais, j’ouvre mon parapluie. L’esprit encore émulsionné par tout ce que j’ai vu, je traverse prudemment les rues. 

Liste des artistes exposés:
Hans-Jörg Georgi 
Federico Fellini
P. W. Wodehouse
Philippe Ramette
François Burland
Sethembile Msezane
Gustav Mesmer
Auguste Rodin 
Lucien Pelen
Dieter Appelt
Eikoh Hosoe
Alexandre Rodtchenko
Lev Borodulin
Dara Friedman
Shimabaku
Mario Terzic
Gino de Dominicis
Otto Piene
Pierre Henry
Miroslav Hucek
Agnès Geoffray
Fernand Desmoulin
Jacques-Henri Lartigue
Albert Rudomine 
ean-Philippe Charbonnier
Heinrich Nüsslein
Henri Cartier Bresson
Jan Malik 
Ben Russell 
Brassaï 
Salvador Dalí
Yuichi Saito 
 Frédéric Pardo
Robert Malaval
Ilya et Emilia Kabakov
Loïe Fuller
Vaslav Nijinski
Phia Menard
Heli Meklin
 Yoann Bourgeois
Angelin Prejlocaj 
Julie Nioche.
Robert Rauschenberg
Peter Moore
Merce Cunningham
Alfred Statler
Winsor McCay 
Mœbius
André Robillard
Guillaume Pujolle
Emery Blagdon
Charles August Albert Dellschau
Ionel Talpazan
Julius Koller
Melvin Edward Nelson
Karl Hans Janke
Panamarenko
Kiki Smith
Joel-Peter Witkin
Friedrich Schroder-Sonnenstern
Roger Lorance
l’abbé Fouré
Henry Darger
Janko Domsic
Prophet Royal Robertson
Stephan Balkenhol
James Kwabena Anane 
Urs Lüthi
Georges Méliès 
Philippe Thomassin
Nobuko Tsuchiya
Cai Guo-Qiang
Oswald Tschirtner 
 Fabio Mauri
Stéphane Thidet
Vladimir Tatline
Didier Faustino
Yves Klein
Simon Faithfull
Rebecca Horn
Parviz Kimiavi
Matthew Ivan Smith
Kim Jones
Johannes Stek
Kim Dong-Hyun
Zdeněk Košek
Palanc
Robert Herlth
Roman Signer
Damián Valdés Dilla 
 Georges Widener
Pierre Joseph
Nils Strinberg
Jean Perdrizet 
Hélène Delprat
Jules-Étienne Marey
Nicolas Darrot 
Hervé Di Rosa


My absolute darling, Gabriel Tallent



MY ABSOLUTE DARLING de Gabriel Tallent. Traduit par Laura Derajinski. 455 p. Gallmeister, 2018. 

My absolute darling donne de très fortes émotions.

Voilà un roman d’émancipation qui tient le lecteur en haleine du début à la fin. Le récit semble parfois déteindre sur notre propre réalité tellement il nous emporte. C’est une succession de scènes éprouvantes, parfois suffocantes. Celles où Martin exerce sa tyrannie douce et violente à la fois, physique et psychologique, sur sa fille. Turtle est décrite comme la princesse d’un royaume dont son père a fixé les limites. Elle a le pouvoir de survivre dans une forêt onirique, et elle peut se sauver, elle et Jacob, de l’océan hostile qui a emporté l’absente, sa mère. Mais elle doit vaincre l’Ogre qui lui a tout appris et qui ne supporte pas qu’elle lui échappe. Style précis, poésie des mots qui viennent se mélanger, retrouver une littérature simple, on nous donne le nom des plantes, la botanique comme personnage de roman, comme adoucisseur d’histoire cruelle. 

La suite du billet révèle des éléments de l'histoire.

Julia Alveston, dite Turtle, et son père Martin rentrent chez eux, dans la maison peu à peu envahie par le sumac. Turtle lance une canette de bière à son père. Elle sait nettoyer toutes sortes d'armes. Elle se sait laide et bête. Son père l'appelle croquette, il la sadise, il vient sur elle. Une professeure, Anna, organise un rendez vous chez le proviseur; papa vient avec son colt sous la chemise, faisant face à l'adipeux directeur et à la prof à la voix perchée. Il bousille le couteau que papy a donné à Turtle, il oblige Turtle à faire des tractions à la poutre. 

Une nuit, Turtle s'en va, pieds nus
 "Elle a tellement l'habitude de marcher pieds nus qu'elle pourrait aiguiser un rasoir sur sa plante des pieds" 
Elle traverse la forêt, un aérodrome, des routes, arrive près d'un van à l'abandon. Elle fait griller un lapin  sur un feu de bois mort et d'herbes sèches. Elle se cache quand deux lycéens partis à l'aventure font irruption. 
Non, ce n'est pas son père dont elle imagine qu'il est sur ses traces. Elle espionne les deux garçons qui parlent bizarrement, elle braque sur eux son sig sauer. Elle est comme un fantôme, ils ne la voient pas.  
Ils rencontrent un homme qui vit seul et leur donne des bourgeons de cannabis puis leur indique la mauvaise direction. Elle les suit et les regarde s'embourber le long d'une rivière qui sort de son lit, sous la pluie, devant un mur de sumac vénéneux...

Elle se découvre et les aide. Ils dressent une tente de nuit, ils dorment dans des troncs d'arbre mort. Elle est étrangement charmée par leur conversation savante et ironique ( Leur facilité d'expression orale est déconcertante), elle se sent bien avec eux, elle voit s'ouvrir le champs des possibles. Les deux garçons, Brett et Jacob, sont épatés par cette apparition. 
« Elle nous a guidé hors de la vallée des ombres...Elle sait faire les noeuds, elle sait s’orienter dans la forêt, les animaux lui parlent et lui confient leurs secrets. »
La mère de Brett, Caroline, a bien connu la mère de Julia autrefois. Elle ramène Turtle chez elle, revoit le père de Turtle. 
En partant faire l’école buissonnière, elle rencontre sa prof et elles s’expliquent. 

Péripéties...
Martin frappe Turtle avec un tisonnier. Papy a une attaque. Le chien Rozy a les intestins dévorés par les corbeaux. Martin disparaît. Turtle retrouve Jacob et Brett, et découvre la riche famille de Jacob. Turtle et Jacob se retrouvent pris au piège dans la mer, entre la falaise et les courants.  Ils s'en tirent en pensant aux marées. Elle allume du feu grâce à une canette de soda qui fait miroir. 

On lui achète un soutien gorge. On l'adopte. Moments doux. Mais Martin revient, silhouette au loin sur la plage alors que Julia fait l'expérience de la solitude et du bonheur. Il est accompagné de Cayenne, une gamine en rupture familiale. Cayenne perd un bout de doigt avec l'exercice de la pièce et du fusil. Ils amputent son index avec les moyens du bord... 
Martin continue à violer Turtle. Elle s'achète un test de grossesse. Elle comprend que ça doit s'arrêter. Elle sait le danger mortel pour Jacob ....

My absolute darling entre dans le cercle fermé des grands romans d’initiation qui peuvent devenir cultes pour des adolescents et plébiscités par les lecteurs adultes. 

mercredi 22 août 2018

Rafael, derniers jours



Gregory Macdonald, Rafael, derniers jours (The Brave, 1991), Fleuve Noir, 1991. Rééd. 10/18, 2005. Traduit par Jean-François Merle. 191 p.

Pourquoi lire un truc qui te donne l’impression d’être paralysé par une toile d’araignée dans un recoin de pièce obscure. Se débattre et crier ne sert à rien, l'inéluctable va arriver. Puissance de la littérature, nous sommes Rafael le temps de la lecture.

C'est la grande force du roman de MacDonald de nous impliquer et de nous faire ressentir la vie de ces invisibles, souvent les suspects idéaux, alcooliques par atavisme. Le héros éponyme est celui qui commence à remettre en question la fatalité mais qui n'a pas la bonne information pour faire les bons choix. Il n'est pas né au bon endroit. 

La prochaine fois que je verrai un bidonville et des cabanes de fortune sous une bretelle d’autoroute, je penserai à Rafaël l’Indien qui rêve d’un autre destin pour ses enfants. Rafaël et sa résignation naïve, sa fierté d’avoir enfin un travail. Rafael et les trois jours qui lui restent. 

Un entretien d’embauche: l’Indien est méprisé car il est crasseux, pochtron, miséreux, sentant mauvais. 
Il signe un contrat avec l’homme obèse (dit L’Oncle) qui lui explique en détails le rôle qu'il va jouer dans un film réaliste. 

C’est pas du chiqué : un sécateur ça sert à couper un orteil, et même ce qu'il a entre les jambes, et ensuite on lui arrachera le globe oculaire. Hurler, saigner, vomir, se débattre, il a tous les droits, c’est pour la beauté de l’art. Il y a des amateurs qui donnent cher pour visionner un snuff movie.  
Contre 30 000 dollars. Pour arracher sa famille à la misère. 

Nous sommes Rafael. Et en même temps on aimerait être la petite voix qui lui dit méfie toi, à la banque, orthographie bien ton nom, sois sûr que c'est vraiment ton numéro de sécurité sociale. Sauf que Rafael est illettré. 

Ce qui suit dévoile des éléments de l’intrigue. Les derniers instants de Rafaël. 

On l’emmène chez le coiffeur pour qu’il soit présentable sur le film. On menace le coiffeur pour qu’il admette l’Indien dans sa boutique. Rafael va utiliser du shampoing pour la première fois de sa vie.   

Au supermarché. Avec l'acompte, il veut faire des cadeaux: un gant de base-ball pour le bébé, un synthétiseur, un jeu de docteur, deux robes neuves, une énorme dinde et ses vieux vêtements planqués dans la cabine. Les vigiles l'arrêtent et le libèrent. Rafael pousse son caddie dans les rues avant de monter dans le bus avec son énorme dinde qui rend de l'eau.  

Il rentre chez lui, à Morgantown, tout fier des cadeaux qu'il a acheté à sa famille; cadeaux inutiles, et c'est à pleurer, sauf les deux robes pour Rita, sa femme. Dans ce monde de noirceur, sans issue, l'amour que se portent Rita et Rafael est ce qu'il y a de plus beau. 

 Un vigile tire sur un enfant de 12 ans dans la décharge où ils s’approvisionnent pour survivre. Une femme le soigne avec de la vodka car de toute façon aucun médecin ne viendra. Le père de Rafael a une boule sur le ventre, comme la mère autrefois qui est morte dans la douleur. A Morgantown, tout le monde a une maladie. Le père Stratton, alcoolique lui aussi, confesse Rafael. Qui se demande pourquoi ils boivent tous, il n'a jamais vu faire autrement. 

Il y a eu un braquage, une femme a été tuée. Luis, le frère de Rafael, le dénonce à la police. Le policier interroge Rafael. Le chauffeur de bus confirme son alibi: il l'a pris comme d'habitude devant chez Freedo.
 Rafael et Rita rentrent le long de l'autoroute sous le cagnard. Les derniers moments sont doux, Ils mangent la dinde. Ils ont tous mangé à leur faim, ils n’ont pas l’habitude, ils sont en état de choc...

Rafael fait de la musique avec des bols et des cuillers avec ses deux filles, il est mort de rire et Rita regarde la scène avec amour. Dans ce monde désespéré, les descriptions de la vie de famille font un contrepoint poignant avec le regard de la société sur ces gens. 

 Rafael enfile son costume un peu raide et dit au revoir à Rita, il part au travail...Avant de partir il croise Luis qui a foutu son camion en l'air. Il monte dans le bus.

jeudi 16 août 2018

Les secrets de la casserole


 Hervé This Les secrets de la casserole (Belin) 1993. 




Hervé This est physico-chimiste à l’INRA. Son objectif en écrivant ce livre est de nous dévoiler les causes moléculaires qui se cachent derrière la réussite ou l’échec d’une recette de cuisine. En 39 chapitres, nous abordons tout ce qui concerne la cuisine, des ingrédients de base comme les oeufs aux réactions chimiques qui se produisent pendant la cuisson. 

Des termes de physique-chimie reviennent souvent : tensio-actifs, osmose, ions positifs et négatifs, micelles, convection, liaison hydrogène et la fameuse Réaction de Maillard . Glossaire à la fin du livre. 

Dès le début, il nous propose une expérience à tenter, cuire une cuisse de canard au micro-onde en injectant du Cointreau à l’aide d’une seringue. Les micro-onde chauffant spécifiquement les parties contenant beaucoup d’eau, elles cuiraient le centre de la viande à l’étouffée en lui donnant du goût.
 Si un goût chasse l’autre et que nous pouvons enchaîner et sentir la viande puis le dessert sucré au cours du même repas, c’est grâce aux liaisons faibles entre nos terminaisons nerveuses et la molécule sapide: la sensation s’estompe et laisse place à une autre. Nous avons 9 000 papilles dans la bouche. 

Petit aperçu de ce qu’on peut apprendre en lisant ce livre. 

Qui a écrit le Traité de la physiologie du goût cité par l’auteur ?
Brillat-Savarin, et le livre est dans le domaine public, disponible en epub, texte. 

Quels autres illustres personnages cite l’auteur ?

Le chimiste Chevreul (1786-1889), une légende vivante en son temps, un chimiste connu pour son travail sur les acides gras, la saponification et la découverte de la stéarine. 
Grimot de la Reynière (1758-1837), un véritable personnage dont on devrait faire un film. Il organisait des repas archéologiques et, à coté de son goût pour la gastronomie, c’était un spécialiste du canular et de la mystification. Dans son château, il y avait des ouvertures secrètes, des trappes et des machineries. 
Curnonsky (1872-1956), gastronome, humoriste, critique culinaire. 

Pourquoi le céleri, la pomme, l’avocat noircissent-ils quand on les coupe ?
La coupure d’un fruit libère des enzymes qui provoquent le noircissement en présence de l’oxygène de l’air. Les composés phénoliques du fruit sont oxydés en polymères bruns. 

Quel est le point commun entre le citron, le refroidissement, la cuisson, le sel, le vinaigre et la vitamine C ?
Ils bloquent les enzymes et ralentissent l’oxydation. 

Pourquoi le saumon est-il rose ?
Parce qu’il contient de l’astraxanthine sous forme dissociée. 

Dans la viande où sont les arômes ? 
Ils sont contenus par la graisse car elle est organique. 

Pourquoi les molécules se dissolvent dans un milieu ?
Parce qu’elles établissent avec les molécules de ces milieux des liaisons dites faibles. 

Pourquoi la cuisson sous vide met-elle l’eau à la bouche de l’auteur ?
Les protéines coagulent mais ne perdent pas leur eau d’hydratation: le jus reste dans l’aliment. Les arômes aussi, ils ne sont pas expulsés par la chaleur. 

Pourquoi l’ail est-il à la fois une épice et un aromate ?
Il est piquant et odorant, il sert à exciter la saveur et à développer la fragrance. 

Pourquoi la croute du pain a-t-elle plus de goût que la mie, pourquoi la bière est-elle dorée ? 
C’est du à la réaction de Maillard. 

Que se passe-t-il quand une soupe perd de l’énergie ?
Elle refroidit. Les molécules qui s’évaporent sont celles qui ont le plus d’énergie. 

Pourquoi le lait est-il blanc ?
C’est du aux molécules de matières grasses dispersées dans l’eau qui dévient la lumière dans toutes les directions. 

Qu’est-ce-qui est responsable de la peau du lait ?
C’est la caséine qui coagule à + 80°.

Quel est le principe n°1 des gelées dans la préparation ?
Lente et longue réduction, lent refroidissement sans bouger, pour ne pas bousculer la triple hélice d’ADN. 

A quoi sert le jaune d’oeuf dans une mayonnaise ?
Il apporte les molécules tensio-actives qui permettent de lier l’eau et l’huile en enrobant les molécules d’huile d’une partie hydrophile qui se lie aux molécules d’eau. 

Que se passe-t-il quand ma mayonnaise flocule ?
Elle tourne parce que les gouttelettes d’huile se mélangent les unes aux autres au lieu de se mélanger avec l’eau. Ça peut être du à des ingrédients trop froids ou parce qu’il n’y a pas assez d’eau. 

Que contient à 50 % le jaune d’oeuf ?
De l’eau. Plus 1/3 de lipides  et 15 % de protéines. 

Où se trouvent la globuline, l’ovalbumine et la conalbumine ?
Ce sont les 10 % de protéines du blanc d’oeuf. 

Quel est le type de cuisson pour la friture ?
Quand le fluide chauffant est un corps gras, la conduction procure les fritures. 

LES CUISSONS
Dans le chapitre sur la cuisson, l’auteur va la définir comme l’action visant à attendrir les viandes et à leur donner plus de goût, plus d’arôme. 
La cuisson est tout d’abord une agitation des molécules par la chaleur. Elles se cognent, se disloquent et se réarrangent autrement, provoquant une réaction chimique et devenant un nouveau composé. 
L’auteur distingue trois phénomènes de cuisson. 

La conduction : le fluide chauffant touche la surface et ensuite les molécules qui s’agitent se communiquent au reste de l’aliment, à la manière de boules de billards agitées. 

La convection se produit quand on chauffe un liquide dans une casserole, l’eau chaude  plus légère remonte à la surface, l’eau froide descend et ainsi il se forme des courants de convection. Elle fut découverte par le comte de Rumford qui se demandait pourquoi ses sauces restaient chaudes contrairement aux soupes. 

Le rayonnement, c’est quand un feu chauffe sur le coté et que les infrarouges se propagent en ligne droite et sont arrêtés par un corps opaque. C’est le principe du rôtissage des viandes. Le micro-onde est un type de rayonnement mais il va chauffer l’eau des aliments. 

Le braisage est un type de cuisson que l’auteur aborde avec respect, en l’appelant la reine des cuissons car elle est considérée comme celle qui garde le plus de goût aux aliments. C’est du au phénomène d’osmose. L’auteur donne l’exemple d’une recette de braisage, on procède par couches, on met des légumes, on met de la viande qui empêchent les sucs arômatiques de la plus grosse pièce de fuir dans le liquide. C’est ce qu’il appelle « nourrir la viande d’un jus corsé ». 
Si le phénomène d’osmose est bien respecté, le phénomène ressemble à celui de vases communicants, l’auteur fait une démonstration de physique en prenant l’exemple de tubes à essai en forme de U dans lesquels on a mis de l’eau normale et de l’eau colorée. 
Dans le braisage, et c’est tout un art, le jus de la pièce à cuire ne s’échappe pas car la place est déjà prise par les molécules sapides du lard et du jambon qui entourent la viande. 

Au contraire du braisage, la cuisson par cocotte-minute (qu’il appelle anti-montagne à cause de la différence de pression) est peu appréciée des cuisiniers. On ne voit pas ce qui se passe, et les réactions chimiques s’effectuent trois fois plus vite. On a pas les échanges en milieu ouvert qu’on peut avoir à la casserole. 

Dans le chapitre sur la rôtisserie, il se demande combien de temps pour cuire une dinde. Il faut tenir compte de la sphéricité de la pièce de viande, des fibres de collagène, de myéline et d’actine. Le but est de cuire le moins longtemps possible à partir du moment où le coeur de la viande est à 70°, qui est la température à laquelle le collagène se transforme en gélatine. Hervé This donne une formule mathématique. 
On enduit la pièce de viande d’un corps gras, on préchauffe le four et on assaisonnera après la cuisson. 

La friture. Il explique pourquoi il faut une grande quantité d’huile très chaude, filtrée et une pièce à frire sèche. La grande quantité d’huile permet de garder le maximum de chaleur car le fait d’immerger les pièces à frire diminuent la température. C’est pour cela qu’on fait une pré-cuisson pour éviter ce problème de refroidissement, on ne remet les frites quand la température de l’huile a remonté.  Ce qui fait le bon goût de la friture, c’est la coagulation des protéines et la caramélisation des sucres. La pomme de terre avec son amidon à la surface était prédestinée à la friture.

Ensuite il va aborder le thème des marinades. Viande + vin + vinaigre + légume. Les acides produisent une dénaturation des protéines et des tissus conjonctifs, la viande s’attendrit et se parfume, on dit qu’une marinade avance de 10 mm par jour. 
Anecdote: le chimiste Kurti a prouvé que le jus d’ananas avec ses enzymes protéolytiques pouvait faire une pré -cuisson d’une grosse pièce de viande. 

Dans la salaison, l’eau sort de la viande, il y a moins de bactéries, on fait ensuite sécher. 

Dans la cuisson des légumes, l’objectif est d’attendrir la paroi fibreuse pour la rendre poreuse. La dénaturation des protéines de la paroi permet de faire entrer l’eau dans le légume. Il explique ensuite pourquoi les légumes verts se décolorent à la cuisson, les cellules éclatent, il y a une bataille d’ions, les ions hydrogènes prenant la place des ions magnésium dans la molécule de chlorophylle. 

Quand on aborde le chapitre des sauces, il parle d’une expérience vérifiée sur des mousses de foie qui démontre que la perception des arômes dépend de la consistance.

« Ainsi, non seulement nous attendons une consistance particulère d’un plat particulier, mais la perception des arômes dépend de cette consistance. »

Pour faire une sauce comme la béarnaise qu’il donne en exemple, il faut des molécules tensio-actives de jaune d’oeuf avec leurs micelles hydrophobes et hydrophiles. D’autres molécules avec deux types d’ions qui se repoussent, l’eau, le jus de citron et le sel. On chauffe ce qui provoque un premier épaississement du à la coagulation des protéines de l’oeuf, attention aux grumeaux puis on ajoute le beurre, lamelle par lamelle et on fouette en accélérant quand l’émulsion commence à prendre. 

Ensuite, il aborde la réaction moléculaire de la farine et du roux. Les molécules qui composent l’amidon s’entourent d’eau et les granules gonflent et la solution devient visqueuse. La température idéale est comprise entre 79 et 96°, ça ne doit pas bouillir. On cuit longtemps pour enlever le goût farineux. Et le gluten, la protéine, par la réaction de Maillard, engendre des composés aromatiques. Attention à l’épaississement lors du refroidissement. On dépouille la sauce en chauffant un seul point du fond de la casserole. 

Dans le chapitre sur le vin, il se demandera si on peut améliorer un vin grâce à la chimie...
Dans le chapitre sur l’alcool, il décrit la distillation avec l’alambic. Le cuivre fixe les acides gras. L’alcool éthylique bout à 78°, il se condense dans un serpentin. Selon lui on pourrait faire un alambic à domicile avec une cocotte-minute et de l’eau froide sur le tuyau relié. Je note aussi son idée de distillation par le froid, toujours au conditionnel, l’eau gèlerait et on récupèrerait l’alcool et les autres composés. Mais attention au méthanol qui rend aveugle !
Et on améliorerait son eau-de-vie en plaçant une baguette de noisetier dans la bouteille, la lignine serait dégradée en aldéhydes phénols et des composés arômatiques apparaitraient, dont il donne les noms savants. 

Voilà, un billet à rallonge qui ne donne qu’un petit aperçu de tout ce que l’auteur nous révèle sur la chimie de la cuisine. On sent qu’il a essayé d’ordonner son érudition scientifique pour la partager. Il le fait avec un entrain un peu brouillon, les chapitres sont courts heureusement. 



lundi 13 août 2018

Les souterrains de Paris

Les Souterrains de Paris, Günther Liehr et Olivier Faÿ

Une plongée dans l’histoire des sous-sols de Paris. Une ville sous la ville, un gruyère de galeries souterraines à des dizaines de mètres de profondeur. Ce « beau livre » dresse un panorama assez complet de ce monde inquiétant. Et il est agréable à lire. 
Quatrième de couverture. 

Günther Liehr rappelle la fascination que les souterrains exercent sur les medias. 
C’est aussi un voyage dans le passé assez hallucinant, il fait revivre le Paris de l’exploitation des carrières, où des grandes roues tournent pour extraire le calcaire, le gypse. Cette exploitation éhontée qui causera les risques d’effondrement

Il fait un voyage sous terre avec 2 cataphiles expérimentés et passionnés. Entrés par une des dernières portes accessibles après avoir suivi la Petite Ceinture, il découvre des stalactites qui signalent un espace vert au-dessus, le silence « il n’y a presque rien à entendre » l’odeur « une odeur de pierre »
«  Qu’elles soient humides ou sèches, toujours est-il que les galeries ne sentent pas ou, plutôt, elles ont une odeur de pierre. Mais la pierre ne sent pas grand-chose. Non, on ne constate ici aucune influence olfactive des égouts. Nous sommes en dessous des égouts, à une profondeur qui équivaut à la hauteur de deux immeubles parisiens de six étages. Aucune puanteur ne pénètre aussi loin dans les entrailles de la terre. »

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Chapitres et notes en vrac.  

Les medias font le buzz à propos des soirées sous les pavés. Cela attire l’attention de l’auteur. 

- Rencontre avec des cataphiles et exploration du sous-sol parisien par une des dernières entrées accessibles après avoir suivi la Petite Ceinture. 
- Stalactites sous un espace vert à la surface. 
- Il n’y a presque rien à entendre, il règne une odeur de pierre, nous sommes en dessous des égoûts, aucune puanteur ne pénètre aussi loin. 
- Noms de lieux: Coté du Levant, coté du Couchant, Salle Z, Bar des Rats. 
- Une caverne étonnante qui a servi à l'extraction du calcaire, allumer des bougies. 
- Petite ouverture à mi-hauteur de la paroi, boyau étroit. 
- Une chambre dans le roc, pleine d’ossements. 
- Monument à la gloire de Philibert Aspairt, le St Patron des cataphiles, ce portier au Val de Grâce, parti en exploration, fût retrouvé 11 ans après. 

- Longueur totale des souterrains: 300 kms
-  puits d’extraction des pierres de calcaire  p.28
- Armand Viré, fondateur de la biospéléologie, laboratoire souterrain. 
- Sous la forteresse du Louvre, sous Notre Dame. 
- Galerie de gypse sous Montmartre
- Pour ventiler, puits verticaux, grandes roues en bois, cordages, les roues ont tourné inlassablement pendant des décennies. p. 30 On imagine la scène dans un Paris qui ne ressemble en rien à celui d’aujourd’hui...
-Louis-Sébastien Mercier: le polypode de ce réseau de cavités
- En 1772, on établit un plan de l’étendue des carrières souterraines
- En 1774, la rue d’Orléans se retrouve 25 mètres plus bas (effondrement)
- Des jeunes mariés engloutis par un gouffre, en 1776, on décide de la création du Service de l’inspection des carrières
- On va établir un plan très précis, construire des piliers de bétons maçonnés et reliés entre eux par des murs. 
- Les Mohicans de Paris d’Alexandre Dumas, se passe sous terre. 
- Décure, le sculpteur obsédé
- p.56, rue de la Bourbe (décrit son état) =boulevard de Port Royal
- La numérotation des rues est considérée comme une uniformisation intolérable. 
- p.65, Montsouris, lutte contre la contrebande souterraine, tunnels de contrebandiers pour ne pas payer l’octroi. 
- Le travail des carriers: on prenait des "immigrés" venus de Bretagne ou du Limousin (!) Les carriers étaient taciturnes et sauvages. 
- Des galeries hautes de 4 et 8 mètres de haut, hagues, bourrages, des veines de calcaire exploitées sans scrupule. 
- p. 34, le Diable Vauvert
- Paris souterrain d’Emile Gérards
- Walter Benjamin Livre des passages, montreur de diables. 
- p. 37, un cimetière de têtes de chats.
- p.38, Val de Grâce   Anne d’Autriche, grand système de galeries sur 3 niveaux. 
- Claude Perrault, un esprit très complet
- Bureau international de l’heure, Observatoire. 

- Paris se développe de plus en plus, exploitation désordonnées des carrières. 

CATACOMBES
Alain Corbin, historien: il y a une diminution de la tolérance olfactive
p.70, les églises sont remplies de l’odeur de cadavre, le niveau du sol est saturé de cadavres. 
p.71, 4 années à transférer tous ces restes, la nuit, convois de morts cahotant sur les pavés. 
A la Révolution, les catacombes vont servir à éliminer des quantités dérangeantes de cadavres. 
- La maladie de peau de Marat l’oblige à prendre des bains fréquents, d’où la baignoire où il sera assassiné. 
Héricart de Thury: aménagement soigné des catacombes, il crée le Cabinet de pathologie. 
- Comte de Rambuteau, 
- Nadar, p.81, va photographier les catacombes. 
- on contrôle le sac des visiteurs à la sortie.
p. 89 Buttes Chaumont sont les restes d’une ancienne zone d’exploitation du gypse
- succès du plâtre à cause de son pouvoir ignifuge
- Faune douteuse près des carrières, mauvaise réputation, les sdf de l’époque peuvent se réchauffer à la chaleur des fours à plâtres. Gérard de Nerval y rôde. 
- Plus tard, il faudra combler des salles hautes comme des cathédrales, transformer les Buttes Chaumont, ce terrain vague et accidenté, en parc anglais. 

CANALISATIONS
-Cloaque collecteur, pour l’élimination des excréments, on a des videurs de cloaques, ce jus dégoûtant. 
- Bruneseau, topographie des égoûts
- Haussmann conçoit des plans pharaoniques « dans les sous-sols de la ville, la haussmanisation fut parfaite »
- On pouvait visiter les égoûts en barque, aujourd’hui, c’est plus limité. 
- Le danger des rats et de la leptospirose, les cafards
- Il y a des petites sources autour de Paris, armées de porteurs d’eau
- Bassin de la Villette
- Haussmann est le seul à mettre en doute la pureté de l’eau de la Seine, il pousse à la construction d’un aqueduc qui apparaît à l’époque comme une construction archaïque.
- Le réservoir de Montsouris. Paris dispose toujours de deux systèmes d’alimentation en eau. 

EXPLOITATION DES SOUTERRAINS  à l’époque bourgeoise, p. 127
- Emile Gérard et l’épisode du coiffeur.
- La première champignonnière
- l’invention de l’air comprimé, l’air comme force motrice,  usine de la SUDAC, Victor Popp, mettre à la même heure les horloges de la ville grâce à l’air comprimé. Sera rendu obsolète par l’électricité. 
- le voyage d’une lettre pneumatique, un pneu fournit la preuve de l’innocence de Dreyfus. 
- Exposition Universelle, il y a les restes d’une reconstruction ressemblant au tunnel sous la Manche. 

LA GUERRE SECRETE
- La Cagoule, complot dans les souterrains, 3000 membres. Fuite, collaboration, L’Oréal. 
- Le 26/04/1944, on compte 475 863 personnes qui s’abritent des bombardements dans le métro. 
- p.152, Sous le lycée Montaigne se trouve un exemple exceptionnel de l’art allemande la construction des bunkers. 
- Résistance: le réseau du Musée de l’Homme. Rol-Tanguy dirigeait le réseau à partir des sous-sols de la ville. 

LES CATAPHILES
- René Suttel
- Les rats de Montsouris, de Léo Malet
- bidonnage de TF1 
- Les accès ont été peu à peu bouchés. Sur les 216 puits et les 45 escaliers, il ne reste plus grand chose aujourd’hui. 
- p. 171, sous Cochin, une zone de patrimoine préservée. 
- p. 172, L’ossuaire de Montrouge, une curiosité difficilement accessible par le biais de galeries très basses. 
- Les vrais cataphiles se choisissent un pseudo afin de séparer le monde du dessus de celui du dessous. 

- Il y a une unité de police spéciale ERIC (Equipe de recherche et d'intervention en carrières). Jean-Claude Saratte, légendaire commandant de police aujourd’hui à la retraite.