Chaissac, gros livre d'art de plus de 300 pages, date de l'année 2000, catalogue de l'exposition que lui a consacré la Galerie du Jeu de Paume.
Je voulais vérifier cette phrase que j'ai mis dans le billet sur Dubuffet "découvreur de Chaissac". La vérité est différente: Dubuffet a aidé financièrement Chaissac, il l'a soutenu moralement et a aidé à le faire connaître, mais ce n'est pas son découvreur.
Le mérite en revient plutôt aux peintres Otto Freundlich et Jeanne Kosnik-Kloss qui croient en lui dès 1937. Il y en a d'autres: Albert Gleizes, Raymond Queneau en 1944 et Jean Paulhan. C'est lui qui attire l'attention de Jean Dubuffet sur ce peintre autodidacte qui vit à Saint-Florence aux cotés de sa femme Camille, institutrice.
Drôles de rapports entre le grand artiste reconnu depuis quelques années et le peintre asthénique et dépressif du bocage vendéen. Chaissac est reconnaissant envers Dubuffet de l'aider, mais il ne peut pas s'empêcher d'être méfiant, il est comme un animal qui s'ébroue et refuse de se laisser enrôler dans le monde de l'art brut où Dubuffet aimerait bien le caser.
Dès le départ, la relation avec Dubuffet est pour Chaissac source d'interrogations. Il a, en février, défini le concept de «peinture rustique moderne» alors que celui d'art brut n'apparaît chez Dubuffet qu'en décembre ; il pense donc avoir une antériorité dans la reconnaissance publique du concept (sa première exposition chez Gerbo date de 1938, celle de Dubuffet chez Drouin de 1944). Toutefois l'attention de Dubuffet, son soutien amical et financier font qu'il n'affirme pas directement son point de vue.
D'un autre coté, Daniel Abadie souligne que Dubuffet est parfois surpris, voire agacé des connaissances de Chaissac sur l'art brut.
Dubuffet organise la première exposition des oeuvres de Chaissac à Paris. Celui-ci finit par s'y rendre, les deux hommes se rencontrent en chair et en os. Voici ce qu'écrit Dubuffet à Camille, la femme de Gaston:
Cette rencontre a aussi fait impression sur Dubuffet, qui, le 8 juillet, écrit à Camille Chaissac:
« J'ai été content de connaître Gaston et de parler avec lui. J'ai été surpris quand je l'ai vu, ce n'était pas comme cela que je I'imaginais. C'est son élégance à quoi je n'avais pas pensé et qui m'a surpris, sa svelte élégance physique.
Et sa tristesse aussi; au premier contact avec lui j'ai été surpris qu'il a I'air si triste; j'avais pensé d'après ses lettres à un dosage de tristesse et d'enjouement mais je ne croyais pas que la tristesse dominait tant dans le mélange. Il est vrai que maintenant que je I'ai vu plusieurs fois, je ne suis déjà plus tant frappé comme au premier abord par cette tristesse. Peut-être que je m'habitue. Peut être aussi qu'il est moins triste qu'au moment qu'il est arrivé »
L'ambivalence de leurs relations est visible dans les lettres contradictoires que Chaissac envoie à Dubuffet. Un coup, il est content que l'expo se fasse, puis il se ravise et exprime son dégoût pour la peinture. Dubuffet répond sans se vexer, il semble conscient de la fragilité de Chaissac et préfère entrer dans son jeu, répondre sur le terrain de l'écriture....
Voilà, la chronologie de Daniel Abadie, basée sur la correspondance de Chaissac (il écrivait plusieurs heures par jour, on raconte qu'il envoyait ses lettres à des inconnus) permet de mieux connaître ce peintre, « un cousin stylistique de Dubuffet, en plus fantaisiste dans ses choix art brut» comme l'écrit le Herald Tribune quelques mois avant sa mort, alors qu'il vend enfin ses oeuvres.
Gaston Chaissac meurt à 54 ans, en 1964.
Photo de Gilles Ehrmann |
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