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mardi 26 mai 2015

Le premier dieu d'Emmanuel Carnevali



Emmanuel Carnevali     Le premier Dieu et autres proses (La Baconnière), traduit de l'Italien et de l'anglais par Jacqueline Lavaud. 


Le premier dieu est une autobiographie de 130 pages, suivi de proses, courts récits, divagations. 
Emmanuel Carnevali se souvient...Une enfance dont il ne guérira pas. La maladie règne en maître dans sa famille: mère morphinomane, tante qui l’élève et qu’il verra morte; cousin mangeur d’immondices qui a des vers énormes dans les intestins et enfin lui, malade dès l’âge de 15 ans. 
Son père les prend en charge, lui et son frère. L’école ne l’intéresse pas vraiment.
« Ces promenades  nous étaient certainement plus utiles que les heures passées dans une salle à l’air vicié par l’haleine des élèves. Tout ce que nous apprenions en classe, nous l’aurions fatalement oublié, car l’école est un lieu où l’on oublie tout ce dont on devrait se souvenir et où l’on se souvient de tout ce qu’on devrait oublier.  »
 Mais elle lui permet de découvrir Venise où il va au collège. 
« Mais le silence de Venise a quelque chose de magique. C’est la seule ville silencieuse du monde et son silence est un silence chaud, feutré, mystérieux. Reine de la lagune, elle se pelotonne dans un angle, mais c’est toujours une reine. »

Majeur, Carnevali s’embarque pour New York sur une vieille carcasse à moitié pourrie où il admire les vagues et fait la connaissance de Misio, le philosophe incroyablement lent. 
Au matin, nous pûmes admirer la rageuse fureur de la mer. Les vagues étaient de celles qu’on appelle en italien “cavalloni“ tant elles étaient compactes, massives, majestueuses, gris-vert. Elles semblaient des plus compactes, elle se brisaient pourtant en millions de brillants, à travers lesquels, incliné, le navire se frayait un passage, un bord pratiquement hors de l’eau. 
Puis il apprend à connaître New Yord en cherchant du travail « J’ai tant marché que je connais toutes les rues et chacune a laissé une empreinte sur mon esprit. » Il est serveur, il se fait souvent virer, les free lunch counter l’empêchent de mourir de faim. Toute une vie d’immigrant précaire. 

« Tous ces emplois ont été pour moi comme de vieilles chaises à demi défoncées sur lesquelles je m’asseyais de temps en temps avant de poursuivre mon chemin.»
« J’étais le capitaine du navire de la misère américaine. »

Avec son frère qui l’a rejoint, ils partagent une paire de chaussure pour deux puis ils se brouillent et Carnevali apprendra sa mort quelques années après. 
Il se marie, écrit de très belles pages sur la vie à deux, mais rencontre et rêve d’autres femmes. Il fait la tournée d’écrivains et essaie de faire son trou dans cette petite société. A Chicago, il côtoie une société d’excentriques, le “le forum de ceux qui arrivent au mauvais moment“. Il décrit ses amis d’alors Louis Grudin, Jack Jones, Annie Glick à qui il voue un amour déséspéré, Harriet Monroe, mère des poètes. Et les écrivains Sherwood Anderson et William Carlos Williams. 
Puis c’est la crise, la folie qui ne le laissera plus en repos. Il est farouchement convaincu d’être un dieu, il parle à l’infini et vit avec une chose, un double invisible qu’il appelle Chosequibrille. 
Le fou insupporte. Il est rejeté. Il se réfugie près d’un lac. Il nage: “l’eau du lac était mon absinthe.“ 
L’encéphalite le tient, il n’est plus qu’un être tremblant aux yeux vitreux. Il est renvoyé en Italie. Fin de l’autobiographie, la biographie officielle prend le relais et contraste avec son style poétique. 

Comme tous les grands livres surprenants, il faut s’acclimater à cette belle écriture épidermique, en tension perpétuelle, à cette vie rongée par le manque d’espoir et la maladie invalidante. On voit s’agiter un être fantasque et bavard pour qui ça finira mal, un poète vraiment maudit. 
C’est en relisant mes notes que je me rends compte que les croix abondent, comme autant de points d’exclamations et d’admiration. Des phrases uniques de poète. J’appelle phrase unique une phrase nouvelle, jaillie d’une cervelle et qui n’a jamais été lue auparavant. On a envie de toutes les noter, se faire une collection de toutes ces comparaisons originales et perçantes.  Il n’y a pas redite. Carnevali brode sur le déséspoir lancinant de sa vie, une enfance dont on ne guérit pas, une pauvreté de tous les instants et la maladie comme une épée de Damoclès. 

Les autres récits sont eux aussi marqués par le pessimisme, des histoire d’êtres solitaires pour qui ça tourne mal, tout en se teintant d’une note contemplative. Le poète interné a le temps de décrire son environnement comme dans Home, sweet home, où il regarde son appartement, la vie au quotidien. L’écriture se glisse comme un fantôme transparent sur la trame du quotidien. 


Merci à Babelio et aux éditions de La Baconnière pour cette belle découverte. 

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