Pages

jeudi 11 juin 2015

Contre Télérama (Eric Chauvier)

Eric Chauvier   Contre Télérama (Allia)

Un très court essai d’une densité surprenante, comme une bille de plomb qui viendrait étoiler la surface vitrée du réel ou creuser un profond cratère dans le sable...
L’auteur vit dans une zone périurbaine. Le magazine culturel Télérama consacre un dossier à cette zone et éveille l’envie de l’auteur de la défendre. 
« Qui sont-ils, ces journalistes centralisés pour décréter la laideur de notre périurbanité ? »
Par l'observation et le questionnement, il tente alors de se dégager de la gangue d’un quotidien standardisé, se dépêtrer de la camisole sociale du citoyen ordinaire. Comme un homme qui crierait: je ne suis pas un stéréotype, à l’image du Prisonnier (la série): je ne suis pas un numéro
Le sociologue se veut modeste et questionne ce qu’il vit au quotidien en ingénu. Sa remise en cause produit un effet stimulant sur le cerveau du lecteur, comme s’il traçait une fenêtre imaginaire et nous invitait à l’observation. En plus, il ne cherche pas à être plus intelligent, il subodore seulement, il met en scène son introspection, avec ses faiblesses (provoquer un malentendu avec un groupe d’inconnus, accuser faussement les enfants). 
Son sujet : la vie périurbaine. Défaire l’idée que tout irait de soi. 
Y a-t-il une intention cachée, une machination ourdie par des urbanistes et des politiques dans ce monde élaboré par des hommes pour d’autres hommes ?


Sur 23 pages, on s’interrogera sur la perception de deux poules blanches qui occupent indument une grande parcelle, sur les sujets de conversation des cadres de l’aéronautique, sur l’effet clair de lune produit l’éclairage urbain. Est-ce normal de vivre à coté d’un patatoïde explosif ? Comment se comporter quand on rencontre un ancien condisciple dans la médiathèque de la ville ? Est-ce logique de remplacer un joli (ou moche) bois de hêtres par un écoquartier en bois, de reconstituer une ferme dans la galerie marchande l’hypermarché ? Qui a caillassé l’âne qui dérange le voisinage par ses braiements, est-ce la voisine pleine d’animosité ? Il s’interroge sur les zones de franchise et la clandestinité comme une aire dévolue aux rencontres homosexuelles. Il s’interroge sur la logique et les jugements de classe, sur le pouvoir d’achat...Il note 
Les êtres que l’on relie à des lieux de façon régulière ont du mal à exister ailleurs. Quelle est le mystère de cette maison aux volets clos depuis des années ?

La lecture de ce petit livre rassure le lecteur, le langage recherché de Chauvier cherche à mettre en mots le monde banal qui est sous nos yeux. En le poussant dans ses retranchements, il le domestique un peu. Le verbe console. 

« TEMPS. – Un peu comme on se réveille d'un mauvais rêve, nous nous sommes rendu compte, après avoir décidé de nous arrêter sur notre mode de vie et de réfléchir à notre existence dans ce cadre périurbain, que notre temps s'égrenait au rythme du flux des voitures circulant dans notre rue. Nous avions, certes, des repères de type chronologique, mais ceux-ci n'étaient que la surface illusoire de notre existence. De façon plus profonde, notre temps est rythmé de manière quasi inconsciente par les bruits des voitures aux heures de pointe ou bien le calme total qui, aux heures creuses, s'abat sur notre rue comme sur un enterrement. »


Extrait de: Éric Chauvier. « Contre Télérama. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire