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lundi 25 janvier 2016

Comment des hommes ordinaires deviennent fanatiques

Gérald Bronner, La Pensée extrême, PUF, 363 pages


Face à la violente sidération provoquée par les meurtres commis à Paris en 2015, on a ressenti le besoin d’accuser de folie les terroristes qui ont tué à l’arme de guerre des gens qui nous ressemblent.
Gérald Bronner, sociologue spécialiste des phénomènes de croyances, a écrit en 2009 ce livre qui traite de la pensée extrême, comment des gens en viennent à croire à des choses irrationnelles. Il ne traite pas seulement du terrorisme islamiste mais aussi des phénomènes sectaires, des coups de folie (Maxime Brunerie), des fans et des collectionneurs. 


Il y a une idée reçue qui veut que les terroristes en particulier ou  les personnes adhérant à des idées extrêmes sont fous ou différents de nous-même. C’est une explication qui satisfait  notre « raison paresseuse ». Si nous y croyons c’est aussi que nous prenons la situation à son point ultime, celui du non-retour, nous n’avons pas assisté aux prémices des croyances, au-moment où elle est encore friable et ne s’est pas renforcée avec le temps et la répétition. 
Gérald Bronner explique pourquoi nous nous satisfaisons d’idées toutes faites et il cite des exemples historiques où les chercheurs ont su aller au-delà de leur raison pour comprendre un problème. 

Exemple d’une idée fausse: celle qui lie l’extrêmisme sectaire et le faible niveau social et scolaire. Les auteurs des attentats du 11 septembre avaient des diplômes supérieurs. Ce n’est pas le niveau d’éducation qui nous protège des idées fausses ou des canulars, mais plutôt notre conception trop restreinte de la rationalité humaine. 

Le sociologue préfère comprendre comment Al Quaida a réussi à élaborer un système argumentatif puissamment construit et pourquoi sur le « marché cognitif » leur interprétation de l’Islam est vite apparue compétitive. 
Nous pouvons essayer de comprendre le processus qui s’est mis en place et qui est graduel, ce que l’auteur nomme incrémental. Un processus similaire a été bien étudié dans les dérives sectaires. 

« Entrer dans une secte, c’est comme gravir un escalier dont les premières marches sont toutes petites. »

L’isolement des convertis conduit à un oligopole cognitif qui aboutit à ce que les croyances minoritaires sont endossées de façon plus ferme et durable. 
Par exemple dans l’adhésion par transmission: dans le milieu familial, il y un monopole cognitif et il est difficile de s’émanciper intellectuellement d’une emprise. Et là, on pense bien sûr aux fratries tueuses: les frères Kouachi, les frères Abdeslam, Mohamed Merah qui a reçu le soutien d’un frère et d’une soeur....
Dans l’adhésion par frustration, il montre que les individus de la société actuelle subissent un taux de frustration supérieur à tous les autres systèmes sociaux. 

« La massification de l’enseignement supérieur et l’augmentation du taux de diplôme n’accroît pas mécaniquement la proportion de positions sociales prestigieuses. »
Et il cite le nombre important de gourous de secte qui ont tenté de percer d’abord dans le show biz,  « La frustration et le désir de reconnaissance forment un mélange étonnant ». Nos démocraties sont des sociétés de Tantale...
L’extrêmiste trouve un certain apaisement à endosser des idées extrêmes: il entre dans le temple de la pureté, il fait table rase de son passé. 


Ce livre explore et défriche le domaine mental de ceux qui vivent dans un monde simplifié, avec un but ultime, au point de sacrifier leur vie. Un livre à la lisière de la psychologie sociale et de la sociologie, on le range dans la cognition sociale. Penser l’impensable, expliquer ce qui nous paraît être le mal absolu, c’est prendre un risque dans un pays en état d’urgence...On peut espérer que ces systèmes de pensée soient étudiés par les directions du renseignement afin de prévenir l’endoctrinement...L’article qui m’a donné envie de lire ce livre: http://www.telos-eu.com/fr/comprendre-la-sideration.html

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