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jeudi 30 août 2018

Une vie de surf, William Finnegan


JOURS BARBARES, une vie de surf, William Finnegan. Editions du Sous-sol. Traduit par Frank Reichert. 



Dans le gros son de l’océan, Jours barbares orchestre tous les moment de grâce du surf. Glisser sur l’eau, entre jouissance et effroi. Et continuer, jusqu’à ce que le corps se rebelle..William Finnegan est conscient de la vanité de ces sensations uniques, de cette drogue dure qui domine sa vie. Ce funambulisme aquatique érigé en art de vivre nous rend la lecture de plus en plus sublime.
Les longues phrases ramassent les souvenirs comme autant de vagues. Les décennies passent et l’auteur hypnotise le lecteur dans les rouleaux, les houles, comme des zones intemporelles. Sa bienheureuse cachette. 

Le surf a toujours eu pour horizon cette ligne tracée par la peur, qui le rend différent de tant de choses et, en tout cas, de tous les autres sports de ma connaissance. On peut sans doute le pratiquer avec des amis, mais, quand les vagues se font trop grosses ou qu'on a des ennuis, on ne trouve plus personne. Tout, au large, semble s'entremêler de façon perturbante. Les vagues sont le terrain de jeu. Le but ultime. L'objet de vos désirs et de votre plus profonde vénération. En même temps, elles sont votre adversaire, votre Némésis, voire votre plus mortel ennemi. Le surf est votre refuge, votre bienheureuse cachette, mais il participe aussi d'une nature hostile et sauvage - d'un monde dynamique, indifférent. A treize ans, j'avais pratiquement cessé de croire en Dieu. Un nouveau rebondissement dans ma vie qui avait laissé comme un vide dans mon univers: l'impression d'avoir été abandonné. L'océan était un dieu insoucieux, infiniment dangereux, incommensurablement puissant. 
source de l'image
Journaliste reconnu et engagé de The New Yorker pour ses reportages sur les théâtres de guerre du monde entier, William Finnegan, à 65 ans, remonte aux origines de son addiction pour le surf. 

Au commencement...Honolulu. 
Au collège, le petit blanc est un souffre douleur mais il découvre le surf avec ses amis Roddy Kaulukuiki, son frère Glenn le fugueur, Ford Takara le japonais mutique, Domenic Mastrippolito, le David de Michel Ange. Les corps bronzés, les cheveux blondis par le soleil.. Tout en faisant le portrait de ses parents, il montre comment il s'isole de sa famille. Finnegan raconte (ici) qu'un ami lui a renvoyé les lettres très longues qu'il lui avait écrites à l'âge de treize ans et il s'est servi des détails pour nourrir son autobiographie.  

Les époques se croisent, il se souvient de l'enfant, de l'ado qui passe de longues heures à  nager, à déchiffrer les houles. D’un coté, les vagues, de l’autre, l'enfance, les bagarres à l'école où il faut s'imposer, les bandes, les caïds. Il parle d'une époque où les parents fessent les enfants ou les corrigent à la ceinture. 

 Tout d'un coup les "longboard" sont obsolètes, les planches raccourcies - le shortboard- révolutionnent la manière de surfer. Il évoque Domenik, Caryn Davidson la petite amie de ses 17 ans, la liberté sexuelle, Jimi Hendrix qui meurt cinq jours avant un concert à Rotterdam, le voyage en Europe où il se revoit, cruel, avide de mouvement, de départs, d'explorations. Et les vagues, encore et toujours, comme des personnages, les tubes : 
« la traversée réussie de la chambre intérieure d'une vague creuse ». 


Dans un chapitre qu'il nomme La quête, Finnegan a laissé sa petite amie au pays, son métier de "serre-freins" à la Southern Union (sa fierté d’avoir été cheminot), pour aller explorer le monde des mers du Sud avec Bryan Di Salvatore. 

Au bout de quelques semaines, nous avions déjà l’impression d’avoir sillonné le Pacifique Sud la moitié de notre vie durant. Nous nous déplacions en bus, en camion, en ferry, en canoë, cargo, bateau à moteur, petit avion, yacht, taxi, voire à dos de cheval.

Les deux hommes scrutent des cartes marines et rêvent de houles et de tubes. L'océan est souvent inaccessible. L'américain voyageur a le contact facile avec les autochtones et il compare leurs conditions de vie. Le compagnonnage n'est pas toujours facile, Bryan semble perdre la boule. Lui, Finnegan, semble prendre chaque jour des risques qui peuvent lui coûter la vie, par noyade, maladie. Il ne s'appesantit pas sur les douleurs. Il avance, coûte que coûte. 

Quelque part au milieu du livre, il y a une vague secrète. C'est dans les îles Fidji. Ils campent au-milieu des serpents de mer (« Trois pas, le nombre de pas que tu peux faire une fois qu'il t'a mordu »). Il dort dans un hamac. Bryan occupe la tente. Et ils vont enchaîner les vagues des jours entiers. Il décrit ça comme des shoot. Une mer transparente. Des vagues qui l'assomme, le tabasse, des falaises, des coraux qui les laissent en sang. Ils sont loin de tout, dans des îles sans téléphone où les autochtones font tout eux-mêmes. 
Tavarua, dans l'archipel des Fidj

Morale de surfeurs, ils font le serment de ne jamais divulguer la position de Tavarua. 

Puis c’est l’Australie (La Contrée chanceuse) et ses très bons salaires. Il fait la plonge dans un restaurant. Il explore le spot de Kirra. Bryan et lui signent leurs premiers articles pour la presse même s’ils ne s’entendent sur rien à propos du style. 

Nous avons atterri à Kirra, ville balnéaire du Queensland proche de la frontière des Nouvelles-Galles du Sud. Nous étions les fiers détenteurs d’un break Falcon de 1964, acheté trois cent dollars près de Brisbane, et nous avions surfé la Côte Est de long en large, de Sydney à Noosa, en dormant dans la voiture. Revenir dans l’Ouest, avec son confort et ses commodités- il y avait même sur les routes des panneaux PLAGE DE SURF- était grisant. 

Ils traversent le pays par son centre dans une voiture asthmatique juste parce qu'on leur a dit de ne pas le faire. 
En Indonésie, dans le train, en regardant au dehors, il se demande si l’occupation principale n’est pas la défécation. Il vivent une tempête sur un ferry. Sur un spot isolé de tout, ils sont obligés de rationner l’eau parce que leurs bidons n’ont pas été bien lavés. 
 A Nias, il est à l'apogée de son surf. Il se sent immortel. 

Sharon, sa petite amie, vient le rejoindre. Il tombe gravement malade, malaria. Il se demande s’il ne doit pas rentrer, s’il n’est pas un raté. Bryan est rentré au pays. Mais ce n’est pas encore l’heure de rendre des comptes.
Départ en Afrique. Découverte de l’Afrique du Sud et de l’appartheid. Il est engagé comme instituteur dans une école pour noirs, sa conscience politique se réveille. 
Et toujours les séries de vagues...

Retour en Amérique. San Francisco et Ocean Beach. 
Encore des personnages: le doc Mark Renneker, sorte de fou animé par une pulsion de mort sur lequel il écrit un article dans le New Yorker, Edwin l'Argentin, Peewee le charpentier. Les débuts de la peur face aux plus grandes vagues quand il se compare à ces têtes brûlées.

L'apnée dans le surf: « Réprimer ce réflexe qui vous incitait à respirer l'eau dans vos poumons était effroyable, frénétique ». Il décrit les vagues comme des pyramides dynamiques. 

En société, dans le monde sérieux, il commence sa carrière de journaliste engagé, il écrit sur l'Afrique du Sud. Ces années-là sont compilées en quelques lignes alors que les sessions de surf s’étendent sur des pages et des pages, comme pour nous les faire vivre en temps réel. Les désillusions, quand soudain, avec son vieux copain Mark (installé à Missoula, la fameuse ville des écrivains), ils se rendent compte que leur vague secrète des Fidji est dévoilée au monde entier dans le magazine Surfer.

Dans les années 90, il découvre Madère avec un nouveau camarade. Encore des dangers dans les vagues, les tonnes de flotte, les bruits de tonnerre de cascade. Plusieurs fois il croit sa dernière heure arriver. On se demande si ce n'est pas ça le surf: le plaisir ultime, jouissif, de filer en vitesse avec l'ombre de la mort à chaque grande vague. L'auteur aura mis tous ses forces d'écrivain pour nous communiquer, à nous simples mortels qui jamais n'avons surfé, les plaisirs et dangers de sa pratique. 
L'âge vient, la peur augmente au fur et à mesure des sessions, son corps n'a plus les mêmes réactions. 
Et en parallèle, expédiée, la vie de grand reporter dans les zones brûlantes du globe d'où il rapporte de longs articles d’immersion. 

Ode au temps qui passe, à l’amitié masculine, Jours barbares m’aura emporté loin avec ravissement. 

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