Pages

samedi 14 septembre 2013

François Augiéras, hors la raison, un barbare dans la steppe

François Augiéras, Le voyage des morts (Fata Morgana). Écrit en 1957, réédité en 1979.
Beau livre sur papier vergé
aux éditons Fata Morgana


Résumé: un jeune homme dit "je", il parle de lui, ses émotions au contact de la terre, de la pierre, de la peau. Le sommeil, le sexe, la douleur même sont vécues avec une vraie intensité. Il est sans morale, il se traite lui-même de barbare. Furieusement libre. Et blessé. Violé dans sa chair par son oncle. Auquel il reste lié, qu'il admire et hait à la fois, maître et esclave.
« Des plaisirs qui m'avaient été imposés par la violence et non sans larmes étaient devenus pour moi des habitudes nécessaires.»
Il faut lire ce livre en abandonnant nos filtres et nos repère moraux de tièdes démocrates. Parfois, on a envie de rire, mais la folie de l'extase d'Augiéras n'accepte aucune ironie, aucune espèce d'autodérision. Il est dans la sensation crue. Les chapitres sont donnés par des noms de lieux: Tadmit, Gardaia, El Golea, Agadir, sauf le dernier, sorte d'épilogue au Mali: le Fleuve.

François Augiéras est un barbare qui a vécu trop seul. Il écrit le soir à la lueur d'une petite lampe. Il aime marcher dans le désert, sous le ciel devenu clair, dans le silence de la campagne déserte. Il va au bordel aimer des putes de quinze ans ou suit dans la nuit des garçons indigènes et nomades dans l'espoir d'une étreinte amoureuse, au risque de la mort, armé de son revolver.

 Il fait un stage dans une contrée dangereuse, l'Algérie des années 50, juste avant la décolonisation. Il est destiné à devenir moniteur de la SAR  (secteur d'amélioration rurale) et mène une vie de berger, faire paître les bêtes, les vacciner, les passer au bleu de méthylène.
Sous la luminosité d'une extrême violence, on le prend pour un simple d'esprit. Il écrit avec ses tripes, uniquement concentré sur la sensation, ce qu'il éprouve au contact des forces de la nature, de la vie qui s'écoule si forte en lui. C'est ce qui frappe le lecteur, cette intensité à vivre la moindre sensation, le sommeil
«L'approche du sommeil était pour moi le moment le plus agréable de la journée, les yeux fermés, mais la lueur du poêle traversait mes paupières, je m'endormais au plus profond de moi-même. »
« Quel sommeil ! (...) Comme une bête au fond d'une étable, la tête sous les couvertures, je me nourrissais de sommeil comme j'aurais tété ma mère, yeux fermés, tout l'être palpitant de joie, suçant la vie à l'état pur, sans rêve. »
 
l'envie de sexe, la nature, le froid, le chaud, l'inconfort, la dureté. Il jouit de tout et nous le fait savoir par son écriture limpide, ses phrases dures et lumineuses. Sa prose consacre le silence et décrit des instants de solitude et d'extase. On découvre un frère un peu fou qui côtoie la mort. Exemple, quand il se couche près d'une bête morte et l'accompagne dans son agonie. 
« Elle bêla, ferma les yeux: pas un cri de douleur, un cri d'appel. Je la berçais. Elle vomit dans mes mains, je la savais condamnée. Son cœur battait à coups rapides: le bruit même de la vie. Qu'avait-elle connu de la vie, cette brebis née en décembre ! Je chantai doucement, pour elle. Elle ne bougea plus. Avait-elle passé ? La vie reprit dans son corps chaud, mais faiblement, comme soutenue par ma présence; il me semblait mourir moi-même.
Elle mourut à six heures du soir, ses yeux grands ouverts.  (...)»
Il vit tout à fleur de peau. Il écrit qu'il est délirant de gaieté, qu'il danse de joie, saoulé par l'air et la vie « ...mon îvresse incomparable devant l'amour, dans la plénitude de ma joie de vivre. »

« Je goûtai quelques instants de paix comme un dieu qui rêve. La fatigue provoque l'apparition dans le sang d'un poison qui drogue vraiment; j'étais éreinté, mais très lucide, l'esprit très libre. »

Il mourra jeune, c'est écrit. François Augiéras meurt à 46 ans, seul, pauvre, à l'hospice de Montignac. L'auteur maudit dans toute sa splendeur.
______________________________________

L'objet papier: déniché à la bibliothèque Astrolabe, un livre qui n'avait été emprunté qu'une seule fois, le 5 décembre 1998, d'après la fiche collée sur la dernière page où, autrefois, on notait les dates de retour.
« Achevé d'imprimer le 13 décembre 1979, huitième anniversaire de la mort de François Augiéras, par l'Imprimerie de la Charité à Montpellier, ce volume a été tiré à mille exemplaires sur vergé ».
Un beau papier, épais, Le papier vergé est un papier qui laisse apercevoir par transparence de fines lignes parallèles horizontales dans l'épaisseur du papier. Elles sont laissées par les vergeures et les fils de chaîne (fils de couture qui fixent la vergeure aux pontuseaux) qui sont les fils en métal qui forment le tamis avec lequel est fabriqué le papier. Les pontuseaux sont les baguettes de bois qui soutiennent les vergeures et les fils de chaîne. Wikipédia


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire