C'est un genre en soi: le thriller manipulateur. Le lecteur s'abandonne à l'histoire et tourne les pages à un rythme effréné.
- Quel est le nom de la folie de Sophie qui sème les cadavres autour d'elle, fuit sans relâche et tente de se reconstruire une nouvelle identité ? Est-elle manipulée ou pleinement responsable de ses actes ?
- Qu'est-ce-qui motive les actes diaboliques de cet homme qui nous narre son obsession dans son journal intime jusqu'à provoquer le malaise chez le lecteur. J'en suis arrivé à sauter des passages et à survoler...Ce journal fictif est à peine supportable, j'avais hâte que cette partie prenne fin !
Est-ce que ça va bien finir, est-ce que ça peut bien finir ?
Voilà toutes les questions qui traversent l'esprit du lecteur tandis qu'il avance dans l'histoire.
C'est un beau travail de technicien du roman avec une belle maîtrise des points de vue. D'abord fixé sur Sophie dans la première partie. On est collé au personnage, on observe de près cette animale traquée, son corps et ses réactions, les montées d'adrénaline et le fonctionnement de son esprit, parfois ultra efficace, "Dans les situation d'urgence, c'est drôle comme les idées s'enchaînent" et souvent étrangement défaillant, notamment la mémoire....Elle ne se voit jamais tuer. Elle se réveille et découvre les cadavres...
Puis dans la deuxième partie, le journal d'un génie du mal, ou l'écrivain épouse à la perfection le regard d'un pervers sur la normalité.
«...je les ai vus faire. Je ne distinguais pas tout, hélas, mais c'était tout de même assez excitant. Mes tourtereaux ne semblent pas avoir beaucoup de tabous (...) une belle jeunesse bien tonique. J'ai pris des photos. L'appareil numérique que j'ai acheté est parfait lui aussi. Je retravaille mes clichés sur mon petit PC portable et j'imprime les meilleurs, que j'épingle sur mon tableau de liège. » P.146Et la vengeance finale, inattendue... Le tout servi par un style très concret, un vocabulaire nourri par le réel « Jondrette lui tend un stylo bille à l'enseigne d'un garage», « Un thé très fort qui ne laisse aucune haleine ». Bref un polar "turn over" dont on peut ensuite se faire le plaisir de disséquer l'horlogerie romanesque. Pour les amateurs !
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Ce qui m'a donné envie de lire Pierre Lemaître: un portrait dans le Monde des Livres, à l'occasion de la sortie de son dernier roman. Voici un extrait:
Jusqu'au milieu des années 2000, ce conteur né s'était résolu à n'être qu'un passeur, un autodidacte dispensant des cours de culture générale aux agents des collectivités locales et assurant des séminaires pour les bibliothécaires: histoire de la littérature française ou européenne, panorama des lettres américaines, analyse de texte...« Toutes ces années où j'enseignais, j'ai moi-même beaucoup appris. J'ai consolidé ma culture, systématisé mes connaissances, comblé mes lacunes. » Se libérer de ses doutes écrasants fut plus douloureux, un travail patient.
« Mes parents, petits employés de bureau, sacralisaient la littérature. C'est un truc qui vous inhibe. » résume-t-il avec pudeur. Dès la création du livre de poche, en 1953, sa mère fit l'acquisition de tous les romans paraissant dans ce petit format qui révolutionna l'édition. « Ils constituaient l'intégralité de notre bibliothèque. » Et son unique évasion. Élevé à Drancy, entre des parents qui sortaient peu, Pierre Lemaître eut une enfance heureuse mais triste. Au vrai, il y a encore un peu de ça chez lui: une fébrilité inquiète doublée d'une joie presque enfantine lorsqu'il évoque des écrivains.
A l'entendre au Café Livres, le troquet parisien où il travaille lorsqu'il n'écrit pas chez lui, à Courbevoie, pendant que sa fille de 3 ans est à l'école, on imagine aisément quel pédagogue il a pu être: un homme de méthode et de fièvre, communiquant avec tripes et cervelle.
« J'ai une carrière atypique, c'est vrai, mais je dispose aujourd'hui d'un bagage. » Car, par son commerce intime avec les livres, Pierre Lemaître a formalisé un certain nombre de règles préalables à l'écriture: « Pour commencer un livre, il faut une situation de départ, un enjeu et la fin. » Et soigne d'abord ses personnages, assure-t-il. « Si vous n'êtes pas attentif, la mécanique de l'histoire phagocyte l'humain. Les bons personnages font les bonnes histoires, l'inverse est rarement vrai. Ce sont eux qui rendent l'histoire passionnante...»
Pierre Lemaître avait perdu confiance jusqu'au jour où sa seconde épouse demanda à lire quelque chose. « Je lui donne le manuscrit de Travail soigné. Elle est sûre qu'il sera publié. Je le réécris un peu, l'envoie à 22 éditeurs, reçois 22 lettres de refus. Carton plein ! Mais mon épouse n'en démord pas. De fait un éditeur me rappelle huit jours plus tard: il avait changé d'avis ! » Travail soigné (Le Masque, 2006) obtient le Prix du premier roman du Festival de Cognac. Suivent Robe de marié, prix Sang d'encre des lycéens, Cadres noirs, prix du polar européen, Alex , prix des lecteurs du Livre de poche, Dagger international...Le quotidien britannique le surnomme « the new Stieg Larsson ». Macha Séry.
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