Stéréoscopie, Marina de Van (Allia) 2013.
Tout de suite, on est dans le bain avec elle qui dit je, Marina de Van, qui monte les marches à Cannes entre Sophie (Marceau) et Monica (Bellucci).
Noms de médocs, alcools ingérés, Valium, Xanax, Efferalgan codéiné, triple Prozac au réveil + deux ou trois bouteilles de champagne au long de la journée.
« Je perçois la défaillance d'une conscience qui peine à se maintenir. »
Elle décrit une brève aventure avec une connaissance, un homme marié, elle s'essaie à la séduction, voire au viol, sur les serveurs qui l'alimentent en liquide, se demande si elle a uriné sur l'homme avec qui elle dort, se présente nue chez les voisins de son amant.
«Je continue de jouir de la mortification d'un corps qui trahit de plus en plus son épuisement, qui suinte l'odeur de l'alcool mêlées à celles de la sueur et de l'urine.»
Elle décide de réagir. S'ensuivent quelques errances avec le corps médical, avant de trouver les bons interlocuteurs, Michaël le psychiatre et Hector le psychologue, qui viendront à s'opposer autour d'un médicament dont le nom dominera celui des autres : le Keppra. Elle souligne le coté comique des contre-indications de cet anti épileptique, nombreuses et potentiellement mortelles, comme un symbole du coté borderline de la demoiselle et de sa capacité inouïe à se mettre en danger...Keppra devient un personnage du livre, avec ses dosages qu'on augmente, qu'on baisse, en tâtonnant, au gré des fluctuations de l'humeur.
Elle cherche à comprendre ce qui se passe dans son cerveau en lisant des bouquins médicaux. Elle considère que c'est indispensable à sa cure. J'ai aussi fait la liste des autres médicaments qu'elle essaie: Loxapac, Tégrétol, Risperdal, Akinéton, Noctran, Olanzapine, Zyprexa, Lamictal, Tercian, Rivotril et Marinol.
Elle décrit ses rechutes dans la cocaïne, revivant sous l'effet de l'euphorie cocaïnique mais redevenant l'être nécessiteux qui courtise une substance. Jusqu'à vivre et coucher avec son dealer.
Le livre semble être le ressassement d'une douleur qui la taraude, la harcèle, les émotions violentes viennent l'envahir. Le « Je veux jouir encore » entre en conflit avec l'effet des médicaments qui provoquent une anorgasmie qu'elle juge insupportable.
« Je ressens la pulsion croissante de m'agresser au couteau, de m'entailler, de prélever de la peau et de la consommer. »« Je sens qu'on va venir me tuer, des tueurs masqués...»Elle organise l'enterrement de son psychologue, échange des sms d'amour esclave avec son psychiatre.
Aux dernières nouvelles, si on se réfère au portrait que Libé fait d'elle en août 2013, elle va bien, ce qui semble presque miraculeux tant sa souffrance paraît ne jamais devoir s'arrêter.. L'écriture a peut-être été une thérapie.
Ce que j'en pense. Très étrange, l'intimité du lecteur avec cette femme qui se met à nu, décrivant ses tempêtes internes et les conséquences vénéneuses sur sa vie. Elle intimide par son coté extrême, hyper exigeante avec ses proches, avec ses soignants, on a l'impression d'avoir vu ce type de personnalité souffrante dans certains films. Sauf que là, elle se sert des mots pour hurler.
C'est aussi pour l'ermite-lecteur le portrait presque exotique d'une femme issue d'un milieu favorisé et cultivé, vivant dans un cercle social plutôt bobo et artiste, qui texte - le verbe revient sans cesse - au secours sur son iphone, le sms semblant remplacer la logorrhée verbale, qui semble passer son temps à fuir des soirées insupportables en sautant dans des taxis, qui fait valser les amants les uns après les autres et parle ouvertement de sa libido.
Elle décrit son état alcoolique avec une complaisance morbide, le lecteur se pourlèche en voyeur dans les premières cinquante pages avant de crier grâce. On a de la peine à aller au bout de ce livre court mais si dense, si intense et répétitif par son maelström de tourments qu'il se lit à petites gorgées. Une fois terminé, on respire, content d'avoir passé l'épreuve.
Paradoxe de cette autofiction, on est obligé de considérer la narratrice comme un personnage de fiction qui fait partager une expérience de vie limite, surtout ne pas la juger, ce serait passer à coté du texte.
Parce que j'oublie le truc le plus important: elle a un style, direct, au scalpel, qui illustre parfaitement sa lucidité crue et son ego. Et les phrases, littéraires, bien construites, sont un filtre qui rendent possible de supporter la description de cet état-limite.
Est-ce que j'ai aimé ? On ne lit pas ce genre de livre pour aimer, mais pour vivre une expérience. Un truc qu'on a peu de chance de vivre nous, enfin j'espère, mais dont on peut s'approcher parfois au niveau tortures mentales. J'ai aimé le style, les mots, les phrases. Et c'est déjà énorme, d'apprécier la façon dont quelqu'une verbalise sa souffrance. Elle écrit bien.
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