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samedi 22 février 2014

Le sorcier Quiriny se penche sur un village français...

Bernard Quiriny, Le village évanoui (Flammarion). Janvier 2014.


D'abord, il y a le plaisir de recevoir un livre par la poste. On tire la grande enveloppe matelassée de la boîte aux lettres puis on l'ouvre et on découvre le livre neuf. Choisi dans la liste déroulante de Masse critique sur Babelio. Merci à eux, et merci à Flammarion de faire confiance aux lecteurs blogueurs.

Ça commence comme un article de Wikipédia, le village de Châtillon-en-Bierre est présenté d'un ton neutre, descriptif, et le narrateur omniscient conclut:

 « Planter le décor était nécessaire, car de là, nous ne sortirons pas. »

Le lecteur reconnaît ce village si typiquement français, avec son canal, son chemin de halage, sa salle communale, le château à l'entrée du village. On est d'ici, des lieux familiers se superposent dans notre esprit.

 Le narrateur nous transporte d'un bout à l'autre du canton, il nous fait entrer dans les chaumières et il brosse le caractères des vrais gens qui le peuplent: le maire Agnelet, le gourou malgré lui Verviers, le prêtre Delapierre, le gendarme Pakiewicz, le coupable Navolli et bien d'autres encore.

Donc, on a pas de mal à comprendre l'effroi des habitants quand surgit l'absurde, l'impensable: un mal mystérieux frappe les voitures qui stoppent toutes au même endroit. On ne va pas plus loin. Il y a bien le facteur qui tente l'aventure sur son vélo:
Cet athlète expédiait quotidiennement une tournée de vingt-cinq kilomètres avec quatre sacs de courrier accrochés à son cadre (...) autant dire qu'il serait tout de suite à Ruet, le prochain village, cinq kilomètres plus loin. (...) Après vingt minutes d'efforts, toujours rien. Quelque chose clochait. Chaque coup de pédale semblait rajouter à la distance à parcourir. (...) Midi sonnait au clocher quand il rentra à Châtillon épuisé. Il fit sensation en déclarant que quitter Châtillon n'était décidément plus possible, même à vélo. 
Et plus rien ne vient, plus rien ne rentre. Ce n'est pas le dôme mystérieux du roman de Stephen King, c'est juste comme si Châtillon flottait mystérieusement dans un gris isolé du monde.  Les habitants sont soudain précipités en vase clos, directement dans la marmite du fantastique.

Que va-t-il se passer dans ce village sous cloche, condamné à l'autarcie? Comment survivre sans les biens de première nécessité qui ne peuvent être amenés de l'extérieur ? On doit se réinventer, se mettre à vivre comme autrefois quand le jardin, les champs alentours, les bêtes qui y paissent, étaient notre seule terre nourricière. L'agriculteur retrouve sa place essentielle dans l'économie locale. Une denrée exotique comme le café disparaît. On ressort les alambics pour faire du mauvais alcool. Un moulin est construit pour le pain.

A partir de cette situation, l'écrivain Bernard Quiriny, penché au-dessus de son village-test, décrit ce qui s'y passe, comme un apprenti sorcier, comme un chimiste en herbe qui dose ses fioles, met une goutte de crime ici, et ce qui s'ensuit, une dose de sécession là, puis stoppe la réaction en introduisant un accident.  Il essaie de comprendre ce que ses créatures ressentent, fait parler tour à tour les habitants. Toujours avec ce zeste d'irréel plaqué sur la réalité quotidienne.
Autant dire que c'est jouissif avec ce style faussement modeste de fantastique à la Marcel Aymé. Oui, souvenirs de lecture d'enfant, l'histoire du Passe-muraille, inspiration de Bernard Quiriny.
Dans le final, l'auteur ré-insuffle une dose de fantastique, légère, très diluée, suggestive, aiguillant l'esprit du lecteur vers le domaine des rêves possibles. Très bon roman. Évidemment les amateurs de fantastique pur et dur seront déçus, il n'y a pas de grande explication, de résolution. Du coup l'image qu'on garde en mémoire est celle d'une géographie imaginaire de 15 km2 qui ressemble à la nôtre. Et si ça arrivait chez nous...

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