Écrire, du roman au SMS.
Un magazine qui stimule l'esprit.
Tout d'abord, dans son éditorial, Jean François Dortier écorne la légende de Socrate. Il est considéré comme un sage, alors qu'en observant la réalité historique, il aurait plutôt été ennemi de la démocratie athénienne, manipulateur et opposé à la lecture et l'écriture car il pensait que la mémoire en pâtirait.
On continue avec une double page contre les idées reçues à propos de la criminalité. Dans tous les pays, les chiffres des statistiques montrent une chute incroyable des crimes et délits. Un mystère qu'on tente d'expliquer soit par le travail de la police, soit le vieillissement de la population ou encore par la multiplication des systèmes antivols et des alarmes. Lire l'article: Pourquoi la criminalité chute.
Le dossier principal: l'écriture aujourd'hui.
On a prédit sa disparition, elle n'a fait que se multiplier, le journal parle de graphomanie. Pourtant, l'écriture reste un art difficile qui expose au jugement des autres. Souvenons-nous des années passées à mémoriser l'alphabet, à ânnoner les règles de l'orthographe, à faire des dictées et des rédactions, bref à suer pour parvenir à une maîtrise imparfaite.
On se lance dans le vide de la page blanche, on se relit sans cesse et le poison du doute vous tenaille sans cesse (tiens, d'ailleurs, cette phrase, ces mots ensembles "poison", "doute","tenailler, ça tient la route ces métaphores ?).
Et puis ça demande de la concentration pour arriver à canaliser dans une phrase les idées, les émotions, les sensations. On doit faire passer ces nuances avec des tournures de phrases, un vocabulaire le plus varié possible. On ne dispose pas des expressions du visage ou du ton de la voix. L'écriture est un code monomedia alors que le langage oral est dit multimedia.
Il y a aussi l'angoisse d'être lu, la peur de l'autre (oui, toi, derrière ton écran) qui va vous juger. En écrivant, on s'expose.
Dire que je n'ai jamais envoyé de SMS ! L'article se conclut sur l'essor impressionnant des messageries: 280 SMS par personnes et par mois en France. L'écrit permet de mettre une distance et d'être bien compris. Tiens, je vais peut-être m'intéresser à cet objet bizarre: le téléphone...
Jean-Claude Monod se penche ensuite sur la graphomanie numérique. Si la bible de Gutenberg signe la fin de l'art du vitrail et de l'enluminure comme récit du sacré au peuple, depuis, l'écriture a réussi à s'émanciper du papier pour conquérir l'espace numérique.
Elle n'est plus réservée à une élite car les outils numériques permettent un usage ludique et décomplexé. Les experts et journalistes divers et variés n'ont plus le monopole de la parole, n'importe qui a le droit de s'exprimer.
L'écriture est le moyen du timide pour s'exprimer, l'auteur compare longuement avec le téléphone. Elle est devenue brève, elle met à distance. Le "seul ensemble" s'est instauré, avec des gens solitaires reliés les uns aux autres avec ses codes, ses allusions.
Quand au mail, qui n'a pas eu peur d'avoir envoyé un message à quelqu'un par erreur, en faisant suivre ? Qui peut lire tous ces messages qui transitent sur le réseau ? La NSA, tiens... C'est tout de même incroyable quand on y pense ces phrases qu'on lance dans l'espace immatériel et incontrôlé du web. L'écrit sur papier, avec ses sceaux, les lettres de cachet, paraissait plus sûr.
Les écrivains.
Pourquoi écrivent-ils ? Reconnaissance, argent, nécessité vitale ? Pour aller au bout, il faut de la détermination, du labeur et un lecteur avisé qui vous donne un retour.
L'écrivain va mettre des mots sur toutes ses sensations, ses souvenirs, ses idées et ainsi les clarifier. Il crée des mondes. La fiction lui permet de transposer les démons qui le hantent dans un petit théâtre extérieur et virtuel. Il échappe à lui-même en endossant d'autres identités qui lui offrent des libertés. Écrire devient une manière d'apprendre à vivre. Il peut aussi capter l'air du temps, les mentalités et le fonctionnement de la société: les romanciers deviennent les historiens de l'intangible, de tout ce qui ne peut pas être mis en chiffres dans les rapports. Il vient saisir la vie dans ses filets.
Journal intime.
3 millions de personnes tiennent un journal intime. Souvent tenu en périodes de crise, ruptures, maladie, il permet d'exprimer des choses confuses, de clarifier. C'est "l'ami idéal".
Ma pratique (depuis l'âge de 17 ans): je n'aime pas le mot intime accolé à journal, pour moi, c'est un exercice quasi méditatif, un travail de mémoire, un herbier de choses vues.
Lister.
Les listes se croisent et s'imbriquent, du petit rien au grand tout. La liste-reine, celle qui voudrait tout contenir, n'est qu'une chimère.
Autres noms: inventaire, catalogage.
Ma pratique: j'ai des dizaines de carnets remplis de listes de mots glanés, capturés au cours de lectures. Décomposer le texte en deux ou trois colonnes (noms, verbes, adjectifs) était une manière d'essayer de percer son secret, son alchimie.
Des carnets remplis de mots |
Jack Goody montre que la liste écrite a changé l'esprit des hommes au cours de l'histoire. Elle a créé de nouvelles aptitudes dans l'esprit humain en organisant, classant l'information. La liste pratique décrit la vie domestique. Le ticket de caisse du supermarché notre consommation à un moment donné. Elles sont faites à 73,5 % par des femmes. Et puis il y a les listes à valeur compétitives de nos sociétés modernes: le CV est une liste, un bilan (de compétence, socio-pro...) est une liste....
Et encore une envie de livre: Jack Goody, La Raison graphique.
Dernier article, Jacques Riffault parle de la difficulté et les scrupules du travailleur social pour transcrire la vérité des autres. Parler des autres, c'est aussi parler de soi. La production des écrits des travailleurs sociaux (signalements, rapports, enquêtes, compte-rendu) a explosé depuis les années 90. En décrivant, en évaluant une situation donnée, il la fige, il a donc une responsabilité qui l'oblige à se poser les bonnes questions.
Citoyenneté des sourds
Pour finir, un article de saine colère d'un formateur en langue des signes sur la situation des sourds, victime d'une citoyenneté de second ordre. Il revient sur l'histoire de la langue des signes, la répression dont elle a été victime. Cela m'a rappelé une biographie de Braille lu il y a quelques années, et la logique erronnée des "valides", le point de vue biaisé, sur la situation des gens en situation de handicap. Retenons l'essentiel: la LSF est le moyen essentiel pour les sourds pour se développer intellectuellement, cognitivement. Il y a une culture des sourds qui désigne la façon dont on perçoit le monde, dont on le nomme.
Connue depuis le Ve siècle av. J.‑C., la langue des signes a été souvent rejetée par les institutions. Le récit de son histoire montre qu’elle mérite d’être reconnue aujourd’hui comme une culture à part entière.
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