Les Anneaux de Saturne, de W. G. Sebald (folio) 8,20 euros. Traduit de l'allemand par Bernard Kreiss.
C'est le troisième récit que je lis de W. G. Sebald parmi les quatre grands livres qu'il a eu le temps d'écrire. Écrivain de l'imprégnation mélancolique, son écriture ressemble à la pluie qui tomberait sur des fleurs séchées pour les ranimer une dernière fois. Avec lui, la vie ressemble à un lent dégradé de couleurs, de formes, de mouvements, qui ralentissent jusqu'à se figer.
Dès qu'il commence à lire Sebald, l'esprit du lecteur entre dans une phase méditative, il s'applique à choisir ses mots et les faire peser. Le regard sur le monde qui nous entoure devient différent, plus lent, plus profond, la pensée va au rythme de la phrase. Nous devenons personnage du livre nous-même.
Le titre de l’ouvrage Die Ringe des Saturn (1995) est la métaphore de l’univers mélancolique de l’auteur. Les anneaux de la planète, débris de satellites, illustrent la méthode sébaldienne qui consiste à accumuler les matériaux autour de ses thèmes principaux. Christine Savaton ( W.G. Sebald, Die Ausgewanderten : radiographie d'une écriture de l'exil _thèse).
Le personnage sebaldien est souvent un universitaire qui narre l'histoire de ses voyages. C'est un autre lui-même que W.G.Sebald met en scène. Les personnages ont-ils vraiment existé ? Mickaël Parkinson, cet homme de peu de besoin, qui travaille sur Ramuz et meurt mystérieusement dans son lit. Et sa collègue romaniste qui parle si bien des scrupules de Flaubert...Elle vit dans un appartement où se développe un univers de papier et elle ne se serait pas remise de ce décès. Mélange de délicatesse et d'ambiguïté:
« ...la perte de Michael, avec lequel elle entretenait une sorte d'amitié enfantine, l'affecta au point qu'elle devait elle-même décéder, quelques semaines après la mort de l'ami, des suites d'un mal qui détruisit son corps dans les plus brefs délais. »Cinquante pages plus loin, Michael Farrar, a créé un des plus beaux jardins de la région avec une prédilection pour les rosiers, les iris et les viola rares. Une phrase transforme un simple accident domestique en vision ardente....
Entre temps, le narrateur aura cherché un crâne dans un musée secret de l'hôpital.
Nous aurons droit à une analyse du tableau de Rembrandt présentant une autopsie de Aris Kindt, nous saurons désormais que le médecin qui opérait devant la bonne société qui avait payé sa place se nommait Tulp. Puis l'auteur nous raconte son voyage raté à La Haye pour voir ce tableau comme si celui-ci portait malheur.
Nous serons descendus vers la côte dans un autorail en roue libre, et nous aurons visité la Seigneurie de Somerleyton, ses enfilades de pièces, et arpenté les rues de Lowestoft, qui porte les stigmates de la crise économique. Ce genre de description nous rappelle d'autres livres de Sebald, d'autres zones décrépites et désolées. Quand on le lit , on s'attend presque à croiser la silhouette de Edgar Allan Poe ou à voir Lovecraft écarter le rideau et jeter un regard soupçonneux dans la rue . Et pourtant, tout se déroule dans un contexte réaliste, les petites histoires des gens se mêlant au passé et à la grande histoire, la politique (la baronne Thatcher) comme l'économie. Les civilisations sont comprimées sur une dizaine de pages extraordinaires à propos du développement de l'industrie du vers à soie dans le monde, de la Chine à l'Angleterre. Le motif du vers à soie illustre les différentes étapes de la vie et de l'éternité de l'âme.
« Ainsi, nous pouvons dire que les réflexions de Sebald sur Saturne sont une analyse minutieuse des événements des deux derniers siècles, tandis qu’il construit, en même temps, un arc de longue durée historique remontant au commencement de ce qui évolue pour devenir un système capitaliste global. » Mary Cosgrove
Le narrateur semble hanté par des personnages historiques comme si il revivait leur vie. Qui connaît Gavrilo Princip qui change le destin du monde en tirant un coup de feu lourd de conséquence à Sarajevo le 28 juin 1914 ? Et Roger Casement qui s'engage contre l'exploitation brutale dont sont victimes les noirs congolais, et qui paiera cher ses désirs d'engagement.
Des écrivains aussi, comme Konrad Korzeniowski, qui deviendra connu sous un autre nom, et qui aura vu des ses yeux l'ignominie du colonialisme. Et faire revivre l'amour de Chateaubriand pour sa jeune américaine au point de confondre son style avec celui de l'auteur. On ne sait plus qui parle, qui écrit.
« Quelle misère que notre vie ! Pleine d'imaginations fausses et vaines au point de n'être que l'ombre des chimère engendrées par notre mémoire. »
Sebald poursuit son voyage sur une côte dont les falaises s'effondrent, les villages disparaissent dans la mer.
« Dunwich avec ses tours et ses milliers d’âmes s’est dissous dans l’eau, transformé en sable, en gravier, évaporé dans l’air léger. »
ou sont abandonnés comme l'isolement total sur ce môle avancé :
«... il me sembla que je traversais un pays inexploré ...au-milieu des vestiges de notre propre civilisation anéantie au cours d'une catastrophe future...»
Il est accueilli brièvement au sein d'une famille "pathologique" repliée sur elle-même dans une vieille demeure anglaise dont la vue donne sur un beau pré ondoyant. Les sœurs cousent et décousent dans leur chambre comme les Moires et les autres membres de la famille errent dans les couloirs et dans les cages d'escalier. Les vivants contemporains ressemblent à des fantômes.
Sebald n'a pas beaucoup écrit alors on le lit avec parcimonie, avant de le relire. Je reste encore hanté par des visions des précédents livres, des arrivées dans des villes inconnues, des personnages mi-réels, mi-imaginaires, son jugement sans appel sur l'architecture de la bibliothèque François Mitterrand...Et Les Anneaux de Saturne ne déçoit pas.
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