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lundi 13 octobre 2014

L'Ange gardien de Jérôme Leroy, la mélancolie du vieux tueur

    Jérôme Leroy L'Ange-gardien    (série noire Gallimard) publié en septembre 2014. 



On est pas loin du polar parfait, on dirait...


Je ne connaissais pas Jérôme Leroy avant que ces deux billets de blogs n'attirent  mon attention sur lui :
   ***note-de-lecture-lange-gardien-jerome-leroy
   *** Le Bloc Jérôme Leroy



L'histoire: on veut tuer Berthet, vieux membre de l'Unité, une organisation occulte.
« Un agent de l'Unité est un fantôme qui travaille pour des fantômes.» 
C'est une mauvaise idée de vouloir tuer Berthet, car il est très expérimenté. C'est  un tueur. Il n'a jamais craqué quand l'organisation lui a proposé de tuer un "lambda". Ce qui rachète sa vie amorale, c'est sa passion platonique, à distance, pour Kardiatou Diop, devenue Secrétaire d'état black d'un gouvernement qui bat des records d'impopularité.

Le quatrième de couverture en dit presque trop. Le plaisir vient de la découverte du roman au fil de la narration et de ses trois points de vue successifs, avec trois personnages qui vont se croiser.

On se retrouve avec un roman de genre qui fusionnerait Mortelle randonnée de Marc Behm, La position du tireur couché de Manchette et un Jonquet avec ses références à la société actuelle.

C'est un polar incroyablement en phase avec la France d'aujourd'hui. Je repense à l'édito de Maurice Szafran du Magazine littéraire de ce mois-ci qui se plaint que les livres et leurs auteurs ne nous parlent guère de la  France
 « ...pourquoi nos « grands » romanciers s'abstiennent-ils soigneusement de s'attaquer aux maux, douleurs, fractures ou non-dits de la société française, de les triturer, de les raconter, de les mettre en perspective et en pièces...»  
Mais monsieur Szafran, il faut lire Jérôme Leroy (et le polar en général) qui parle politique, racisme, extrême-droite, élites incapables de se renouveler. Et tout cela, en évitant tout manichéisme, tout droitisme, tout gauchisme, dénonçant les dérives populistes, mais sans diaboliser l'extrême-droite. Cette façon de se tenir sur une ligne de crête étroite est peut-être le véritable tour de force du roman. Son seul défaut pourrait être  de coller trop près à l'actualité des dernières années, il y a beaucoup de personnages à clés, mais je crois qu'on peut lire le roman sans rien savoir. Et avec plein de scènes d'action.

Pour me souvenir, dans ce roman, il y a : 
- des tueurs qui se mettent d'accord à propos de la laideur du formica rouge
- des tueurs qui relâchent la pression d'une mission délicate en s'octroyant une partie à trois avec une femme ressemblant à France Dougnac...
- Des écrivains embauchés par l'extrême-droite pour rendre ses idées présentables...
- Un mr Losey en éminence grise mr monsieur bientôt dépassé qui adore la choucroute
- Un tueur épris de poésie et de Lisbonne qui se dit non je ne peux pas tuer un lecteur de Michaux...
« Berthet se comporte avec la poésie comme avec les armes ou les substances dangereuses. Varier les endroits où se procurer le matériel, ne pas dépendre d'une seule source d'approvisionnement.»
 - Un homme qui se dit que les femmes seules ne sont fréquentables que dans les librairies désertes.
- Un tueur qui protège une secrétaire d'État noire qui ressemble physiquement à Rama Yade, mais pourrait être aussi Najat Vallaut Belkacem ou Christiane Taubira quand on se souvient des attaques qui les ont visées:
« Et Kardiatou, jeune, belle, intelligente, venue des quartiers, est le cauchemar à la mode du petit Blanc paupérisé qui vote pour le Bloc Patriotique de Dorgelles, pour les néoréacs qui trustent les médias à la faveur d'une crise économique qui rend tout le monde à moitié dingue.
Et depuis que le petit Blanc, le retraité poujadiste, la punaise de sacristie négrophobe, l'imam intégriste que la musulmane athée Kardiatou Diop si éminemment sexuelle rend fou, bref, depuis que toutes ces blattes dysorthographiques ont appris à se servir d'un clavier et se croient en même temps autorisées, derrière leur anonymat, à proférer des saloperies qui feraient passer le Ku Klux Klan pour un groupe de centristes sociaux, Berthet redouble d'attention. C'est fou, ce que ça donne de boulot à Berthet qui, dès qu'il s'agit de Kardiatou, ne prend rien à la légère. »
 
Voilà, ce n'est que le début du roman, le premier point de vue. Ensuite, on nous fait les présentation avec l'écrivain Joubert, pas très en forme, qui, jadis, a lui aussi connu Kardiatou. Et puis le dernier point de vue, dont on ne saura pas le nom il me semble, qui nous racontera la fin de l'histoire, aux premières loges pour les scènes chocs...
A la fin, les événements  feront que tout le pays se remettra à lire l'histoire de France depuis soixante ans avec un autre regard.
Une belle découverte.

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