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vendredi 31 octobre 2014

Le cerveau magicien

Roland Jouvent   Le cerveau magicien (Odile Jacob poches)  9,90 euros, publié en janvier 2013.

Un professeur de psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière échappe de peu à la mort en faisant un saut de coté dans une rue de Paris. Le bus klaxonne et passe, l'accident est évité.
Le professeur de psychiatrie nous explique le phénomène dans son cerveau, héritier de milliers d'années d'Évolution, qui lui a permis d'avoir ce réflexe.
Surtout, ne pas réfléchir.
Et ensuite, la peur rétrospective, la frustration, la salve noradrénergique de son hippocampe. Pourquoi il a besoin d'en parler aux autres, avec lui-même, de refaire l'histoire, pour "essorer le souvenir" dit-il. D'ailleurs, dans les cas extrêmes:
« On sait aussi que la stimulation noradrénergique augmente l'encodage mnésique. C'est pour cette raison que les services du Samu donnent des bêta-bloqueurs de la noradrénaline dans les situations de catastrophe, pour diminuer l'encodage mnésique du traumatisme. »
Roland Jouvent va utiliser une métaphore qui va lui servir de fil directeur tout au long du livre, celle du cheval et du cavalier.  Le cheval c'est notre cerveau héritier de l'Évolution darwinienne, depuis l'apparition des neurones il y a 700 millions d'années jusqu'au 2 mètres carrés de structures cérébrales superposées et repliées en plissements successifs dans notre boîte crânienne.
Le cavalier, c'est notre intellect, cette capacité à faire des opérations symboliques: raisonner, anticiper, planifier, associer. Les animaux ne peuvent pas le faire. Ce qui d'ailleurs ne nous empêche pas d'avoir une "connivence limbique" avec eux (voir le chapitre Citations).

Pour introduire son chapitre sur la simulation, le professeur de psychiatrie se souvient de Jean-Claude Killy capable de visualiser et de chronométrer son parcours mental au ski au point de prédire le temps qu'il va faire. Le skieur olympique avait en fait découvert que le penser peut remplacer le faire. Cela est prouvé par l'imagerie cérébrale une vingtaine d'années plus tard.

La simulation, c'est aussi la capacité à nous représenter un événement agréable: une baignade au bord de la mer ou l'anticipation d'un départ en vacance. Les réseaux de neurones pour faire et pour imaginer une action sont les mêmes.

Ensuite, Roland Jouvent va se pencher sur les gens sans envies, sans désirs, du stade de l'anhédonique à celui du déprimé chronique. Puis sur le corps, l'importance de l'imitation et le rôle des neurones miroirs.
Vers la fin du livre, il veut mettre en rapport ce "cerveau magicien"- notre capacité à nous raconter sans cesse des histoires pour habiller le réel- avec les moyens de soigner, de la psychanalyse aux thérapies comportementales et cognitives (TCC). Il raconte une analyse qu'il a mené en tant que psychanalyste, une erreur qu'il a commis avec un patient, et compare les thérapies, les médicaments.

C'est toujours un crève-cœur d'essayer de résumer ce genre de livre, on ne peut pas tout dire des notions complexes que l'auteur rend limpide et on a peur de trahir. De tous les bouquins sur le cerveau que j'ai commenté sur le blog, c'est le plus abordable.  C'est mieux de lire ce livre de manière linéaire mais il est tellement bien découpé qu'on peut revenir vers les dizaines de petits chapitres d'une manière indépendante.

✍ Citations: 
  • « Cela peut paraître trivial ou simpliste, de dire que la compagnie d'un animal domestique repose le cerveau, mais c'est tout à fait exact physiologiquement. Il faut juste ajouter que notre néocortex est moins sollicité  qu'avec les congénères humains: l'échange repose sur une  confraternité limbique. Des études épidémiologiques ont montré que la tension artérielle baisse significativement lorsqu'on possède un animal de compagnie. C'est aussi démontré, et c'est plus surprenant, chez des étudiants mis en présence d'un chien inconnu. » 
  • S'il pleut et que je dis: « Ça tombe bien, je voulais aller au cinéma », je transforme un événement qui s'impose à moi en quelque chose qui m'appartient, comme si je l'avais souhaité, anticipé, presque décidé. Je tenterai de montrer que, souvent, le mécanisme central de la magie cérébrale consiste dans ce commerce subtil entre l'analyse des péripéties du monde et leurs transformation en intentions, en une création de sens. 
  • Pour optimiser cette croissance cérébrale aux plans à la fois anatomique et dynamique, le génie de la Nature a inventé le procédé du plissement (les plicatures et les sillons) . Cette procédure du plissement comporte deux avantages décisifs, une augmentation considérable des surfaces et un raccourcissment des distances. p.22
  • Le bercement, p.34: C'est l'un des exemples les plus significatifs de ce que les Anglo-Saxons appellent l'embodiment: le mécanisme développemental à l'origine du fait que, tout au long de la vie, le sentiment d'être soi, d'être l'agent de ses actions physiques et mentales, sera renforcé, étayé par des sensations corporelles. 
  • L'hippocampe est l'organe principalement impliqué dans la gestion de la mémoire. Le fait qu'une structure aussi importante n'a pas migré vers le néocortex et demeure au seins du système limbique à proximité des ganglions de base est très significatif. Les racines émotionnelles de la mémoire sont restées dans l'animal en nous, au plus près des humeurs et des instincts. p.45
Killy: On dit que le soir dans sa chambre, le futur triple champion olympique chronométrait son parcours mental. Puis il recommençait sa simulation pour essayer de gagner quelques dixièmes de secondes. Le lendemain, il paraît qu'il pouvait prédire avec un écart de moins d'une seconde le temps qu'il mettrait à effectuer un slalom qu'il n'avait encore jamais descendu dans la réalité. Plus de vingt ans avant les scientifiques( Jean Decety et Marc Jeannerod) , Killy avait découvert que l'imagerie mentale motrice était une simulation synchrone de l'action.  p.73
La synchronie entre la simulation et l'action semble altérée chez nombre de patients anxieux. Lorsqu'on demande à un agoraphobe de faire mentalement puis réellement le trajet d'un bout à l'autre d'un couloir d'une quinzaine de mètres, la durée du trajet mental est souvent raccourcie. 

Il n'y a pas d'un coté les réseaux de neurones pour faire et de l'autre des réseaux pour imaginer qu'on fait. Pierre Janet en avait eu l'intuition. En s'interrogeant sur les mécanismes de la volonté, il suggéra qu'« un acte volontaire ne pouvait s'intercaler entre l'idée et le mouvement qui sont toujours indissolublement unis, c'est dans l'idée même, dans le phénomène intellectuel proprement dit, qu'il faut aller chercher. »p.76
Craindre de se gratter les fesses en public (donc de le simuler) est probablement le meilleur moyen de ne pas le faire. La pensée folle n'est pas à l'origine du comportement, elle est une adaptation pour éviter le passage à l'acte. p.84
Analysez en détail le discours d'un pessimiste, vous pourrez remarquer qu'il est sémantiquement restreint et son lexique rudimentaire. Le "ça ne marchera pas" évite l'inventaire du réel, dispense de chercher dans le monde environnant des prétextes à création, des motifs de croire et d'entreprendre. p.135 >>> ça me fait penser à une critique d'un livre: j'avais noté à la fois le pessimisme répétitif de l'auteur et son manque de vocabulaire. 
Avant même de savoir qu'il est lui, le bébé imite la mère. Dans notre laboratoire, Jacqueline Nadel  a montré qu'à 15 minutes de vie, un nouveau-né pouvait imiter sa mère ! Ses vidéos font le tour des conférences spécialisées du monde entier. Surtout, elle a eu le mérite de montrer les capacités néonatales qu'impliquait cette imitation ultraprécoce: reconnaissance de la face humaine versus une non-face, et reconnaissance du mouvement biologique versus non-biologique. Ces premières acquisitions motrices et émotionnelles vont se complexifier vers le deuxième mois, nous le verrons. p.139
Psychanalyse: C'est la découverte de ce type particulier de métacommunication entre deux individus, révélées par la procédure particulière du divan, qui paraît être la découverte scientifique pérenne de Freud.  p.186










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