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mercredi 22 août 2018

Rafael, derniers jours



Gregory Macdonald, Rafael, derniers jours (The Brave, 1991), Fleuve Noir, 1991. Rééd. 10/18, 2005. Traduit par Jean-François Merle. 191 p.

Pourquoi lire un truc qui te donne l’impression d’être paralysé par une toile d’araignée dans un recoin de pièce obscure. Se débattre et crier ne sert à rien, l'inéluctable va arriver. Puissance de la littérature, nous sommes Rafael le temps de la lecture.

C'est la grande force du roman de MacDonald de nous impliquer et de nous faire ressentir la vie de ces invisibles, souvent les suspects idéaux, alcooliques par atavisme. Le héros éponyme est celui qui commence à remettre en question la fatalité mais qui n'a pas la bonne information pour faire les bons choix. Il n'est pas né au bon endroit. 

La prochaine fois que je verrai un bidonville et des cabanes de fortune sous une bretelle d’autoroute, je penserai à Rafaël l’Indien qui rêve d’un autre destin pour ses enfants. Rafaël et sa résignation naïve, sa fierté d’avoir enfin un travail. Rafael et les trois jours qui lui restent. 

Un entretien d’embauche: l’Indien est méprisé car il est crasseux, pochtron, miséreux, sentant mauvais. 
Il signe un contrat avec l’homme obèse (dit L’Oncle) qui lui explique en détails le rôle qu'il va jouer dans un film réaliste. 

C’est pas du chiqué : un sécateur ça sert à couper un orteil, et même ce qu'il a entre les jambes, et ensuite on lui arrachera le globe oculaire. Hurler, saigner, vomir, se débattre, il a tous les droits, c’est pour la beauté de l’art. Il y a des amateurs qui donnent cher pour visionner un snuff movie.  
Contre 30 000 dollars. Pour arracher sa famille à la misère. 

Nous sommes Rafael. Et en même temps on aimerait être la petite voix qui lui dit méfie toi, à la banque, orthographie bien ton nom, sois sûr que c'est vraiment ton numéro de sécurité sociale. Sauf que Rafael est illettré. 

Ce qui suit dévoile des éléments de l’intrigue. Les derniers instants de Rafaël. 

On l’emmène chez le coiffeur pour qu’il soit présentable sur le film. On menace le coiffeur pour qu’il admette l’Indien dans sa boutique. Rafael va utiliser du shampoing pour la première fois de sa vie.   

Au supermarché. Avec l'acompte, il veut faire des cadeaux: un gant de base-ball pour le bébé, un synthétiseur, un jeu de docteur, deux robes neuves, une énorme dinde et ses vieux vêtements planqués dans la cabine. Les vigiles l'arrêtent et le libèrent. Rafael pousse son caddie dans les rues avant de monter dans le bus avec son énorme dinde qui rend de l'eau.  

Il rentre chez lui, à Morgantown, tout fier des cadeaux qu'il a acheté à sa famille; cadeaux inutiles, et c'est à pleurer, sauf les deux robes pour Rita, sa femme. Dans ce monde de noirceur, sans issue, l'amour que se portent Rita et Rafael est ce qu'il y a de plus beau. 

 Un vigile tire sur un enfant de 12 ans dans la décharge où ils s’approvisionnent pour survivre. Une femme le soigne avec de la vodka car de toute façon aucun médecin ne viendra. Le père de Rafael a une boule sur le ventre, comme la mère autrefois qui est morte dans la douleur. A Morgantown, tout le monde a une maladie. Le père Stratton, alcoolique lui aussi, confesse Rafael. Qui se demande pourquoi ils boivent tous, il n'a jamais vu faire autrement. 

Il y a eu un braquage, une femme a été tuée. Luis, le frère de Rafael, le dénonce à la police. Le policier interroge Rafael. Le chauffeur de bus confirme son alibi: il l'a pris comme d'habitude devant chez Freedo.
 Rafael et Rita rentrent le long de l'autoroute sous le cagnard. Les derniers moments sont doux, Ils mangent la dinde. Ils ont tous mangé à leur faim, ils n’ont pas l’habitude, ils sont en état de choc...

Rafael fait de la musique avec des bols et des cuillers avec ses deux filles, il est mort de rire et Rita regarde la scène avec amour. Dans ce monde désespéré, les descriptions de la vie de famille font un contrepoint poignant avec le regard de la société sur ces gens. 

 Rafael enfile son costume un peu raide et dit au revoir à Rita, il part au travail...Avant de partir il croise Luis qui a foutu son camion en l'air. Il monte dans le bus.

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