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vendredi 1 février 2019

La marche qui soigne


Jacques-Alain Lachant  La Marche qui soigne (petite bibliothèque Payot santé)


Une patiente: « Je suis présente à l’immédiateté, plus chez moi et moins préoccupée dans la relation à l’autre, par l’image que je renvoie. Je vais plus à l’essentiel. Le déclic s’est produit au moment où j’ai réussi à poser le pied au sol correctement. J’ai commencé à aller vraiment mieux lorsque j’ai pu agripper le sol avec les orteils. »

Agripper le sol avec ses orteils, se concentrer sur la propulsion du pied arrière, utiliser les mains comme des antennes perceptives, porter le regard au loin,  bien sentir l’espace qui nous entoure et prendre conscience de sa verticalité, oui, la marche n’est pas un mouvement aussi banal qu’on le pense...

Jacques-Alain Lachant, ostéopathe et responsable de la consultation sur la marche à la clinique du Montlouis à Paris, nous parle de sa longue expérience d’accompagnement des patients. Dans l’exercice de son métier, il peut passer des journées entières debout sans fatigue. Parce qu’il est dans le mouvement, dans une marche dynamique. 
Son expérience de thérapeute l’a conduit à nommer marche portante la rééducation/reprogrammation de certains de ses patients en souffrance. 

Il donne d’abord l’exemple de cet homme, coureur entraîné, qui se déplace difficilement et comment il a corrigé sa posture, séance après séance. Une femme témoigne de comment elle a réappris à marcher après toute une vie de douleur. Une autre femme, linguiste, analyse le langage: « portez vous bien » et ses multiples sens: aller bien, porter son corps, continuer à avancer...
Seul, nous apprenons à marcher. Le bébé se met debout, se dandine et se met à marcher, sous le regard et les encouragements de ses parents qui font confiance à la nature. Lachant dissèque âge par âge cet apprentissage. L’enfant ne devient vraiment marcheur qu’à l’âge de 7 ans. 
Et, à l’autre bout de la vie, la chute au cours de la marche est une principale cause de mortalité chez les vieillards. L’apprentissage de la marche portante peut y remédier. 
De même,il explique quels bienfaits elle peut apporter à des sportifs, des artistes lyriques, des danseurs. 

L’ostéopathe formé à l’haptonomie pose sa main sur le sacrum du patient et ils marchent ensemble, essayant de ressentir leur verticalité. Ce sont des choses subtiles dont il faut prendre conscience : mieux sentir ses orteils permet de sortir d’une marche talonnante traumatisante, on ressent le léger tonus abdominal qui redresse le corps et le regard se porte au loin. Imprégné de psychanalyse mais aussi de la méthode Feldenkrais, Jacques-Alain Lachant observe attentivement l’attitude et les déplacements de ses patients et il les appréhende dans leur unité psychosomatique, se demandant quel manque dans l’enfance, quel traumatisme a pu dérégler leur marche. 

Il y a cette femme à qui il dit de se concentrer sur ses mains et le miracle s’accomplit. 
Subitement, la regardant marcher, je lui demande de s’arrêter et, aussitôt, je lui dis ceci: « Vous allez utiliser d’abord vos mains pour marcher, comme si c’était vos mains qui allaient commander à votre corps, inviter le reste du mouvement de marche.»Ce que je vois me comble d’émotion: Suzanne se déplace totalement et normalement dans un joli mouvement harmonieux et fluide. 

Il y a ce torero dans l’arène: ses jambes ne veulent plus le porter. Le corps ne peut plus suivre l’esprit qui ne veut plus mettre à mort. Il y a Giacometti, le sculpteur de l’homme qui marche, ses problèmes, ses dépressions. 

C’est le beau petit livre d’un humaniste cultivé qui n’hésite  pas à aller dans la digression. 
Si j’ai voulu lire ce livre, c’est parce que je marche beaucoup, tout le temps. Par nécessité, au travail, à la salle de sport sur tapis de course, en randonnée, en marche nordique. Rares sont les journées où je n’ai pas fait mes 10 000 pas. J’ai voulu mieux comprendre cette marche qui soigne, cette marche qui sauve...Et je dois reconnaître qu’il m’a permis encore d’affiner, de perfectionner, de varier ma façon de marcher. Bouger les dix orteils et prendre conscience de leur mobilité et de leur faculté d'amortissement malgré leur maigre force. Sentir comme la position des mains ou le mouvement des bras a une influence sur la vitesse de la marche. D'ailleurs on se rend compte que ce sont en quelques sorte les gouvernails de notre corps, ses pointes les plus exposés qui le hâlent dans l'espace. 



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