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jeudi 21 mars 2019

Propagande, David Colon

DAVID COLON   PROPAGANDE, LA MANIPULATION DE MASSE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN   (Belin) 2019 


Une formidable synthèse de tout ce qui est manipulation dans notre monde contemporain. L’auteur balaie l’histoire du XXè siècle en ayant assimilé la littérature sociologique et les connaissances sur le sujet. 
La propagande est tellement intégrée à nos vies qu'on ne la voit plus. Ce livre nous fait prendre conscience de tous ces messages que nous gobons à longueur de journée et qui, inconsciemment, dictent notre conduite...En réveillant notre esprit critique, il constitue, à sa manière, un petit guide d’auto-défense intellectuelle. 


La propagande est un produit de la démocratie. Elle s’adresse à un public plutôt éduqué à qui elle donne un cadre explicatif. Elle occupe le terrain et les esprits. Au cours du siècle, elle va s’enrichir de la recherche dans les sciences humaines et cognitives et profiter de chaque medium, de l’imprimerie (affiches) à internet (fakes news, les réseaux sociaux et leurs bulles de filtre) en passant par la photographie (du Leïca au smartphone), le cinéma (de Naissance d’une nation à Top Gun).

1906. Un train de la Pennsylvania Railroad déraille. 53 passagers sont tués. Nous sommes aux tous débuts du chemin de fer. Au lieu de dissimuler les faits, la compagnie fait appel à une des toutes premières agences de communication, Parker & Lee, qui les incite à la transparence et « pose les bases de la communication de crise »...C’est le début des professionnels des relations publiques. 
1917. Les Etats-Unis entrent dans la Première guerre mondiale. Il faut convaincre un peuple isolationniste de soutenir l’effort de guerre. Création de la Commission d’information publique, dite Commission Creel. 

Ensuite...
Trois hommes de l’ombre auront une influence méconnue sur notre civilisation contemporaine: 
Edward Bernays est le plus connu et le plus cité tout au long du livre. Celui qui organisera une campagne victorieuse pour que les femmes puissent fumer dans l’espace public.
Walter Lippman invente le stéréotype (nous n’avons qu’une vue parcellaire du monde et nous le réduisons à un stéréotype) et la fabrique du consentement. 
Harold Lasswell qui a compris qu’il faut contrôler les techniques de communications qui peuvent modifier notre vision du monde. Comme l'écrit Tocqueville: 
Il n'y a qu'un journal qui puisse modifier au même moment dans mille esprits la même pensée. 

Les techniques américaines de propagande fascineront Goebbels qui s’en inspirera. David Colon l’affirme: la propagande est l’outil déterminant qui propulse les nazis au pouvoir.  L’esthétisation de leur campagne, les torches flamboyantes, le son du tambour, arriver en avion, un slogan court et efficace, un symbole facilement reconnaissable, l’exaltation des foules par les chants, leur confère cette impression d’une force irrésistible. 
Au même moment en Allemagne, Serge Tchakotine a pris la mesure du danger propagandiste organisé par Goebbels. Il invente un symbole, les Trois flèches qui s’oppose et permet de couvrir sur les murs la svastika lévogyre, des slogans mais il est trop seul et peine à convaincre. 
 Il écrit Le viol des foules par la propagande politique. 

Après la seconde guerre mondiale, les États-unis continuent à être précurseurs, la propagande politique est utilisée à grande échelle, pour les élections de présidents.

Dans l’espace public, le consumérisme se développe, il faut vendre le surplus de production. Pour cela, on va utiliser les connaissances en psychologie pour générer des besoins chez les citoyens transformés en consommateurs. Et, plus tard, la manipulation prendra la forme d’un lobbyng agressif pour empêcher les lanceurs d’alertes de lancer leur message (sur les méfaits du sel, du sucre, du tabac). Cette invention des besoins va loin, jusque dans l’industrie pharmaceutique avec l’accent mis sur les dangers du choléstérol...
Les journaux dépendent d’annonceurs puissants, les journalistes sont précarisés. D’ailleurs en France, 10 milliardaires détiennent les principaux médias. Ils peuvent décider d’amputer un journal récalcitrant d’une mâne publicitaire (exemple de Bernard Arnauld/LVMH et Le Monde).

Les sciences sociales et cognitives apportent de précieuses informations sur les pulsions de l’âme humaine. Il s’agit de manipuler sans en avoir l’air. On distingue 4 pulsions: 
parentale
sexuelle
alimentaire
violence

4 types de leviers: 
la vertu
le rejet
l’autorité
la conformisation

Ernst Dichter a la conviction que les actes d’achat reposent sur des motivations symboliques liées aux propriétés symboliques d’un objet (118). Louis Cheskin s’est consacré au rôle de la couleur, des emballages et a mis en évidence le transfert de sensations opéré chez les consommateurs, de l’emballage au produit (119). 
Page 150, David Colon décrit aussi les 7 techniques les plus courantes de la propagande: l’injure, la banalité, le transfert, le témoignage, l’appel aux gens ordinaires, l’empilement de cartes et l’effet du train en marche. 

Dans les années 60, le fameux Stanley Milgram se désole: les gens se soumettent trop facilement à une figure d’autorité. Le coût de l’obéissance est moins élevé que celui de la désobéissance car on ne se sent pas responsable: on n’a fait qu’obéir...Lien: Expérience de Milgram.

L’auteur étudie chaque medium en détail: 
- La photographie objective le réel et semble plus authentique qu’un simple dessin, même si on peut facilement la retoucher. Une iconographie se développe, les images s’inspirent les unes des autres. 
Elle devient de plus en plus légère et accessible et devient l’arme du faible dans les guerre grâce au smartphone. 
- Le cinéma est très tôt un outil de propagande, de Naissance d’une nation, en passant par Léni Riefenstahl ou aux documentaires de Capra pour l’armée américaine. Dans les années 50, le code Hays et son puritanisme dicte les conduites sociales. 
- La télévision. En France on va passer d’une ORTF aux ordres du pouvoir (Peyrefitte qui se vante d’avoir des sonnettes dans son bureau pour convoquer les directeurs de chaînes) à la dictature de l’audimat des chaînes privées. Il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible. Mais, en insistant sur les faits divers, on en vient à fausser le résultat d’une élection: en 2002, le thème de l’insécurité repris à outrance favorise Le Pen au second tour et l’élimination du candidat socialiste...Et le lecteur de taper le nom de Paul Voise sur un moteur de recherche, pauvre vieil homme passé à la postérité. Propagande de l’audimat...

C’est un livre qui fourmille de tellement de détails, d’anecdotes et d’informations historiques qu’on en sort étourdi. Des images surgissent à notre insu et se téléscopent: une publicité des années 50 pour promouvoir les robots ménagers et la femme au foyer en Amérique, la « Cave » de Chicago où 66 000 machines et 50 data analyst oeuvrent à la réélection d’Obama en 2014, le visage éructant de Trump reprend sans vergogne les canulars, court-circuite les médias traditionnels avec twitter mais bénéficie du ciblage précis d’informations tirés d’utilisateurs de Facebook. Hitler: Peu importe qu’on vous traite de polichinelle ou de criminel, l’important c’est qu’on parle de vous.  
On reste sidéré par le cynisme de certains dirigeants politiques. Comme si l’histoire bégayait : en 1965, alors qu’on sait que la guerre du Vietnam ne peut être gagnée, ce qui compte pour l’administration Johnson c’est de convaincre l’opinion publique. Il faudra le courage des journalistes des Pentagon Papers pour dévoiler l’affaire. En 2003, c’est l’affaire des produits chimiques soi-disant détenus par l’Irak...Même quand la vérité éclate, le mal est fait: le livre note que notre esprit croit plus facilement à un mensonge argumenté qu’à la vérité...
Je sors de chez moi. Dans la rue, les panneaux publicitaires qui me dominent de la taille me vantent les produits d’une chaîne de restauration rapide.
 Dans le bus, des petites affichettes s’adressent à moi « Je suis en mode détente » « Je suis en mode actif » et je pense au Nudge, cette technique de manipulation douce pour inspirer la bonne décision et qui s’appuie sur des biais cognitifs aux effets prouvés (p.137).

 Je marche en me posant des questions: quels sont les moments où j’ai eu peur d’avoir l’air idiot parce que je ne portais pas les bons vêtements ? Qu’est-ce-qui provoque en moi la jalousie sociale ? Est-ce-que je ne ferais pas preuve de conformisme social ? Quelle est la mauvaise décision dans laquelle je persévère parce que j’y suis engagé ?
Ils ne sont pas si courant les livres d’histoire qui vous apportent un tel décryptage du monde, dans un style clair et bien écrit. 

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