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jeudi 18 septembre 2014

L'errance d'Alma dans la nuit

L'oubli     Frédérika Amalia Finkelstein   (L'Arpenteur/Gallimard)


J'ai aimé: 
- Le pari réussi d'un monologue intérieur qui s'accorde à l'unité de lieu (Paris, ses rues) et de temps ( une nuit) sans ennuyer le lecteur. 
- Le rythme du texte et sa simplicité. 
- Des échappées par l'imaginaire dans le temps (les déportations, les nazis) et l'espace ( Buenos Aires, la forêt de Compiègne)
- L'évocation des fantômes ( 6 millions de morts, le labrador Edgar, le pur-sang, le grand-père, le frère absent)
J'ai moins aimé: 
- Certaines banalités qui se voudraient des vérités profondes
- Un manque de vocabulaire, les mots qui surprennent et colorent le texte, lui donnent son poids. Elle n'est pas encore tout à fait écrivaine. 


Quand on marche, parfois, il y a ce flux de pensée qui épouse notre rythme, qui se déroule sans accroc et s'accorde au mouvement, une voix off intérieure sur le paysage qui défile.
Je me sens mieux quand je marche, je crois que je pense mieux, avec un meilleur taux de cohérence: le cerveau est plus fluide. Le mouvement de la marche s'accorde à celui de mes pensées. Elles ont constamment faim...
Et on se dit, quel dommage que je ne puisse noter tout ça, les phrases s'envolent et ne reviendront plus, les pensées se suivent et se remplacent les unes les autres. On oublie ce qu'on a pensé.  Ce serait bien si on inventait un traitement de texte télépathique pour les sauver de l'oubli.
Alma, le personnage du récit, le double de l'auteur, semble avoir déniché ce traitement de texte télépathique. Son monologue intérieur se déroule comme un continuum, à la limite de la logorrhée verbale. Ce n'est pas la langue littéraire de quelqu'un qui écrit et pèse ses mots, le vocabulaire est dépouillé comme quelqu'un qui pense.
Je pourrais dire que mes pensées fonctionnent comme une montre à mouvement automatique. Il n'y a rien à toucher; rien à remonter manuellement ... elles s'auto alimentent. 
Elle marche dans Paris, elle voudrait oublier...
Il fait nuit, je marche rue d'Hauteville avec pour seuls compagnons des morts. 
 Elle porte ce nom "Finkelstein" qui l'empêche d'oublier.
Suis-je emmurée vivante par la trace qu'ont laissée sur moi mes ancêtres ? 
Elle se demande pourquoi les nazis ont voulu l'empêcher de naître, en essayant de tuer son grand-père comme les six millions d'autres juifs en six ans, ils ont échoué, mais elle connaît par coeur les noms des camps de concentration. Et elle ne peut s'empêcher d'imaginer cette scène: son grand-père, émigré à Buenos Aires, a forcément croisé Eichmann dans un café. Eichmann, dont elle rencontre la petite-fille à Paris.
Mais on raté Hitler. Il s'est suicidé dans son bunker, c'est une défaite, une blessure. C'est pour cela que notre société tient tellement au virtuel. 
Nous suivons donc Alma sur 110 pages, elle parle dans notre tête, c'est comme une jeune amie aux pensées un peu trop graves, une fille de son temps qui adore le coca-cola, les jeux vidéos et les écrans en général, mais se laisse rattraper par l'angoisse de la mort. Un beau texte qui dissimule sa profondeur dans le mouvement de la marche. Ce sera intéressant de suivre Frédérika Amalia Finkelstein sur la durée. . C'est la critique de Marine Landrot qui m'a donné envie de le lire. Je ne partage pas totalement son enthousiasme, ça manque de mots, il faudrait une sémantique plus riche, moins dépouillée, pour nourrir  cet univers sombre. Mais ça reste un beau texte, on verra si l'auteur peut aller plus loin.
Il m'arrive de rêver de la forêt de Compiègne, et souvent Edgar vient me rejoindre dans mes rêves. Il aboie au cœur de la forêt vide, jonchée d'arbres immenses, sans aucune limite géographique, un paysage sans fin, un vrai paysage de rêve. Edgar aboie pour que je lui lance une balle. 



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