Le voyage de Simon Morley de Jack Finney (Folio SF) 1970, traduit de l'américain par Hélène Collon.
Quel magnifique et prenant roman ! Il nous transporte d’une manière incomparable.
Simon Morley témoigne de son aventure à la première personne. Il y a un humour léger chez ce jeune homme qui regarde sa vie monotone sans trop se prendre au sérieux. Il va être mêlé à un projet gouvernemental : reconstituer un lieu pour oublier le présent et s’introduire par l’esprit dans le passé.
C’est peut-être la manière ultime de voyager dans le temps : par l’état de conscience modifié, aidé par une mise en condition particulière. Et découvrir la grande ville cent ans plus tôt, radicalement différente. On sent que l’auteur, animé par un souci d’exactitude obsessionnel, a aimé lui-même s’immerger dans les rues du New York de 1882 et nous faire revivre ces vies si différentes. Il a poussé son imagination jusqu’à décrire les différences de physionomies, d’attitudes et de comportements des hommes et femmes avec ceux de notre époque, qu'il trouve plus tristes. Les crachoirs tiennent une grande place, les hommes portent tous la barbe, les femmes ont des robes longues et n’ont pas la même liberté que cent ans plus tard. Des milliers d’enfants dorment dans les rues glaciales la nuit; les deux guerres mondiales ne sont pas advenues.
source de l'image: article wikipédia Dakota buiding |
Ce que j’ai préféré, ce sont les passages entre les époques. La présence rassurante du Dakota, les paysages de neige qui font silence, la découverte d’un monde de traîneaux tirés par des chevaux, la masse d’information qui sature les esprits des voyageurs du temps (dans les deux sens). C’est drôle, j’ai beaucoup pensé à W.G. Sebald en lisant ce roman d’aventure. Ça tient aux reproductions en noir et blanc, photographies anciennes et dessins mais aussi aux minutieuses descriptions pour faire revivre un monde disparu et la mélancolie de réanimer des moments évanouis dans la tombe.
Ce qui suit dévoile l’histoire :
Simon Morley, graphiste sans histoire, est sélectionné pour une expérience mystérieuse qui va, lui dit un affable visiteur nommé Rube Prien, changer le cours de sa vie. Comme sous une influence inconsciente, Simon démissionne de son agence de publicité et se rend à l’entrepôt de déménagement Beakey qui sert de paravent aux services secrets pour l’expérience proprement dite. Là bas, il entend parler en français médiéval, il voit un soldat allemand combattre un soldat français, une femme danser du charleston. Il surplombe des décors reconstitués comme dans un immense théâtre.
Il fait aussi la connaissance du Professeur Danziger, le directeur du projet, un homme de 68 ans au physique impressionnant. Il vient d’arrêter de fumer car il veut vivre le plus longtemps possible pour le projet de sa vie. Le professeur Danziger lui dit ce qu’il espère prouver: inspiré par les théories d’Einstein, le passé serait toujours présent, en simultané, mais caché. Et les endroits inchangés, intemporels, pourraient briser les millions de fils invisibles mentaux qui agrippent l’humain à son réel d’aujourd’hui pour le plonger dans une autre époque...Ce lieu, pour Simon, ce sera le Dakota, un immeuble dont la vue sur Central Park est identique à celle de 1882. Cette date est liée à un évènement mystérieux du passé de Katerine Mancuso, la femme qu’il fréquente, avec qui il va peut-être se marier.
Nous suivons le conditionnement de Simon Morley, apprendre le vocabulaire de l’époque, scruter de vieilles photos, s’initier à l’auto-hypnose.
Puis Simon investit son appartement du Dakota où il vit sans sortir à la façon d’un homme du siècle précédent. Un soir, le docteur Rossoff l’hypnotise et s’en va. Simon sort dans un paysage de neige, silencieux, hors du temps. Un couple apparaît sur un traîneau, rire dans la nuit. Avant de se coucher, Simon note que les fenêtres du Muséum d’histoire naturelle sont éclairées.
Or, en 1968, on ne peut plus les voir, elles sont cachées par des immeubles. Ce détail prouve qu’il s’est bien rendu dans le passé !
On passe à l’étape supérieure. Kate s’invite de façon clandestine dans l’expérience. Et un jour, après être entrés dans une transe qui leur fait effacer le présent, ils pénètrent dans le passé de 1882...Ce sont des moments lents et suspendus qui rendent le roman magnifique. Découvrir la 5è Avenue, étroite, sans building, des pelouses autour des maisons. Monter dans une diligence et rencontrer pour de vrai des gens du passé, enterrés depuis longtemps, un homme qui respire, une femme marquée par la variole. Voir et entendre une voiture de pompier tirée par des chevaux. Prendre un cab et regarder les rues qui défilent, noter les différences entre les époques. Sarah est obligée de fermer les yeux car la surcharge d’informations, de sensations, est trop forte.
Les crachoirs sont omniprésents dans le bureau de poste où ils se rendent car les hommes chiquent et crachent un peu partout. Ils voient un homme bedonnant et noir de poil qui poste une lettre qui provoquera plus tard un suicide, avec sa formule mystérieuse à propos d’un feu de l’enfer...
Ils reviennent par le métro aérien tiré par une locomotive fumante. Dans l’appartement du Dakota, au chaud, ils se remémorent ce qu’ils ont vécu.
Retour en 68. Pour vérifier qu’il n’a pas modifié le cours du temps, on le fait longuement débriefer. Ils sont rassurés: il n’est qu’une brindille dans le fleuve du temps...
Simon repart en 1882, seul. Il prend une chambre dans la pension de famille où vit l’homme de la Poste. Il fait connaissance avec Tante Ada, sa nièce Julia et le jeune Félix, féru de photographie tout juste naissante.
Ils reviennent par le métro aérien tiré par une locomotive fumante. Dans l’appartement du Dakota, au chaud, ils se remémorent ce qu’ils ont vécu.
Retour en 68. Pour vérifier qu’il n’a pas modifié le cours du temps, on le fait longuement débriefer. Ils sont rassurés: il n’est qu’une brindille dans le fleuve du temps...
Simon repart en 1882, seul. Il prend une chambre dans la pension de famille où vit l’homme de la Poste. Il fait connaissance avec Tante Ada, sa nièce Julia et le jeune Félix, féru de photographie tout juste naissante.
Après le dîner il essaie de participer du mieux qu’il peut aux jeux, comme celui des tableaux vivants, aux chants. Il se produit un malentendu quand il esquisse le portrait de Julia sur une fenêtre givrée. Les gens de cette époque ne sont pas habitués aux représentations tronqués.
Et puis il fait la connaissance avec le terrible Pickering, autoritaire, futur fiancé de Julia, qui manque de lui casser les doigts en lui serrant la main.
Le lendemain, Simon, qui se fait passer pour un provincial, visite le New York de 1882 guidé par Julia. Il voit la main de la Statue de la Liberté sur une place, des bébés drogués sur une balançoire, un génie de l’arithmétique...
Simon et Julia partent chacun de leur coté. Simon assiste au rendez-vous de Pickering et Carmody et se cache pour écouter leur conversation. Pickering, modeste employé, a découvert que Carmody avait fait fortune en vendant du marbre qui n’a jamais été livré. Il le fait chanter: il doit lui donner 1 million pour lundi soir sinon, il révèlera ses méfaits.
De retour à la pension, Simon fait ses adieux à Julia et Tante Ada. Mais il a promis de faire le portrait de Sarah...Pickering, en revenant, assiste à la scène. Fou de colère, il va se faire tatouer le prénom de Julia sur le torse.
Et puis il fait la connaissance avec le terrible Pickering, autoritaire, futur fiancé de Julia, qui manque de lui casser les doigts en lui serrant la main.
Le lendemain, Simon, qui se fait passer pour un provincial, visite le New York de 1882 guidé par Julia. Il voit la main de la Statue de la Liberté sur une place, des bébés drogués sur une balançoire, un génie de l’arithmétique...
« Par ailleurs, je n’avais jamais autant vu de boiteux ou d’individus affligés de handicaps divers, sans compter ceux qui s’appuyaient sur des béquilles, ceux dont le visage était constellés de cicatrices de varicelle ou enlaidi par des taches de naissance.» 298
Simon et Julia partent chacun de leur coté. Simon assiste au rendez-vous de Pickering et Carmody et se cache pour écouter leur conversation. Pickering, modeste employé, a découvert que Carmody avait fait fortune en vendant du marbre qui n’a jamais été livré. Il le fait chanter: il doit lui donner 1 million pour lundi soir sinon, il révèlera ses méfaits.
De retour à la pension, Simon fait ses adieux à Julia et Tante Ada. Mais il a promis de faire le portrait de Sarah...Pickering, en revenant, assiste à la scène. Fou de colère, il va se faire tatouer le prénom de Julia sur le torse.
Simon revient au Dakota qui est pour lui une sorte de sas entre les époques.
« Et je me suis à nouveau engagé dans les allées, sous les réverbères régulièrement espacés, prenant vers le nord-ouest à travers les jardins immuables; bientôt j’ai aperçu devant moi la masse hérissée de pignons du Dakota, avec ses fenêtres éclairées au gaz, puis la lueur palpitante des bougies et des lampes à pétrole dans les fermes en contrebas. »
En 1968, Danziger est prêt à sacrifier l’expérience de sa vie car un autre voyage dans le temps a entraîné la disparition d’une personne : elle n’a tout simplement pas existé. Les autres refusent car il y a des millions de dollars engagés par le gouvernement. Danziger démissionne. Un peu honteux, Simon Morley veut lui aussi continuer à aller dans le New York de 1882, et revoir Julia...
Cela devient presque une routine pour lui de voyager dans le temps. Ce soir-là, il découvre les rues de New York envahies par les traîneaux et un Pickering heureux qui les emmène glisser dans la ville enchantée. Simon se dit qu’il n’a jamais été plus heureux....Mais il apprend que Julia s’est fiancée à Pickering. Dépité, il va marcher dans la tempête de neige. Le roman nous offre une belle scène gratuite. Simon adresse la parole à un conducteur de diligence qui lui décrit ses conditions de travail: 14 heures par jour sur un siège dans l’air glacé, interdiction de s’asseoir pour ne pas s’endormir, pour un dollar par jour...Mais il continue pour ses enfants qui au moins ne dorment pas dehors comme tous ces orphelins dans les barges à foin au bord du fleuve.
Allez donc faire un tour à cette heure-ci sur les bords de l'East River, et éclairez de votre lanterne les barges à foiin qui y sont amarrées par centaines, sur le rivage et sur les quais. Vous verrez les gosses; on dit qu'ils sont des milliers, et je crois qu'on a raison, encore qu'il n'y ait pas moyen d'en être sûr. Roulés en boule dans les petits nids qu'ils se creusent dans la paille. ET certains n'ont pas encore cinq ans ! Alors c'est pour les miens que j'ai appris à supporter le froid. Parfois, je me réchauffe en avalant une lampée de whisky, mais avec la réaction, je trouve qu'on a encore plus froid qu'avant.
Le lendemain, après avoir photographié New York sur plaques sensibles, Simon trouve le moyen de s’introduire dans le bureau de Pickering en copiant une clé. Le soir, il dit à Sarah qu’il est détective privé et que Pickering est un maître-chanteur. A minuit, ils vont se cacher dans le bureau dans un endroit où on a découpé le plancher pour construire un ascenceur.
La rencontre entre Pickering et Carmody se passe très mal, le financier n’a apporté que 10 000 dollars, il assomme Pickering avec le pommeau de sa canne et entreprend de trouver les preuves dans les classeurs archivés. Mais Pickering les a disposés selon un code précis connu de lui seul et Carmody s’épuise. Tout comme Simon et Sarah, pris au piège dans leur réduit inconfortable qui donne sur le vide.
L’allumette d’un cigare, Carmody qui fait brûler des feuilles et puis le feu qui prend dans la cage d’escalier en travaux...Simon et Sarah se dévoilent et s’enfuient. Il est presque trop tard. Il sortiront de l’immeuble en flamme grâce à l’enseigne suspendu du New York Observer, en passant dans un immeuble suspendu.
C’est le le moment de bravoure et de drame du roman: l’incendie de cet immeuble délabré et les gens pris au piège, les pompiers de l’époque, un acte de bravoure de Simon qui sauve Ida Small.
Plus tard après le drame, Simon et Julia trouvent une empreinte dans la neige qui montre que Carmody aurait survécu...
Mais leurs mésaventures ne sont pas terminées. Ils sont arrêtés par le terrible Byrne, le chef de la police de New York, corrompu et aux ordres des puissants. Ils sont pris en photo et interrogés. Ils vont chez Carmody, gravement brûlé, entouré de bandages qui les accuse d’avoir volé l’argent qu’il apportait et d’avoir mis le feu. On a trouvé des liasses de billets dans la chambre de Simon.
En sortant, Byrne leur dit de partir et de rester à disposition de la police. Dès qu’ils se sont éloignés de quelques mètres, il crie que les prisonniers s’évadent et on leur tire dessus. Ils sont traqués dans New York, les agents de police ont leur photo, également affichée dans le journal. Ils finissent épuisés par s’endormir dans l’escalier de la main de la Statue de la Liberté. Leur situation semble sans espoir. En serrant très fort Sarah contre lui, Simon entre en hypnose et réussit à l’emmener dans son siècle.
Sarah découvre New York et ses building du haut de la Statue de la liberté. Les voitures, la télévision qui la fascine, des nouveaux vêtements. Simon fait son rapport à Rube Grabe et Esterhazy. On lui demande d’aller encore plus loin. Il doit modifier le passé pour que Cuba devienne une province américaine en 1968. Castro n’aura jamais existé, ni la crise des missiles. Il feint d’accepter.
Sarah est déjà retournée dans le passé. Elle a deviné que c’est Jake Pickering qui a survécu et qu’il se fait passer pour Carmody. Ils ont donc un moyen de pression sur lui...
Et puis intervient le twist final...Simon détourne l’attention d’un jeune homme de 25 ans en lui demandant du feu. Le jeune homme ne croisera pas le regard de la jeune fille qui passe à coté de lui, ils ne tomberont pas amoureux, ils n’auront pas d’enfant et donc l’expérience des entrepôts de déménagement n’aura pas lieu...Simon s’est souvenu d’un récit de Danziger... Et le lecteur a envie de revenir en arrière pour retrouver ce moment...Simon se dirige vers Grammercy street ou Julia et Tante Ada l’attendent. Il a choisi son époque, celui de la femme de sa vie.
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